Lous & the Yakuza: portrait de l’une des futures nouvelles stars de 2020

Nom de scène: Lous, l'anagramme de soul, et la musique ancrée comme certitude depuis longtemps. © LAURA MARIE CIEPLIK
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Alors que son premier album est annoncé pour le printemps prochain, la Bruxelloise Lous & The Yakuza affole tous les radars de la hype, avec sa pop audacieuse, en français dans le texte, et ses clips ultra-léchés. Rencontre.

>> À lire également: 2020 sera leur année (vidéos)

Une veille de réveillon de Noël, pas loin de l’hôtel de ville de Saint-Gilles. Alors que la nuit tombe, Lous & The Yakuza arrive engoncée dans une large doudoune fluo. Malgré un regard qui ne cache pas tout à fait la fatigue accumulée ces dernières semaines, la jeune femme affiche un large sourire. Il est barré par des grills dorées -elle devra les retirer quelques minutes plus tard pour boire son thé noir. Ce sont les mêmes « décorations » dentaires qu’elle portait dans le clip de Tout est gore, son dernier single en date. Il succède à Dilemme, étrange ballade pop-trap-chanson au visuel ultra-travaillé. Sortie fin septembre, elle est un peu l’acte de naissance artistique officiel de Lous & The Yakuza.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Cela fait pourtant un moment que Marie-Pierra Kakoma, de son vrai nom, promène sa silhouette longiligne sur la scène musicale locale. Dès 2016, elle apparaissait par exemple dans le clip de Bruxelles Vie, de Damso. On l’a vue également en première partie de G.A.N. ou croisée en concert, dans un bar, pas loin du canal, accompagnée de Primero (L’Or du commun) et du guitariste Youri Botterman (actuellement en tournée avec Aya Nakamura). Elle a également publié plusieurs projets sur SoundCloud. Mais hormis une paire d’anciens titres comme Rose ou Mon ami, en version live, on n’en trouve plus trace sur le Net. « Je les remettrai en ligne dans deux ans. Mais aujourd’hui, j’ai envie qu’on se focalise sur ce que je considère comme mon premier véritable album. Au fond, avant, ce n’était que des esquisses. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

À vrai dire, ce n’est pas tant un nouveau départ qu’un grand saut dans le vide que s’apprête à effectuer Lous & The Yakuza. Désormais signée sur une major -Sony-, les grandes manoeuvres ont commencé. Il y a quelques semaines, elle était invitée par exemple par les Transmusicales de Rennes, l’un des festivals français les plus influents, pour occuper la scène de l’Aire libre, traditionnellement réservée aux créations. De quoi titiller les médias hexagonaux, à l’instar de Quotidien, l’émission de Yann Barthès, où elle est venue chanter Dilemme en direct. Entre-temps, le clip du titre en question se rapproche tout doucement des trois millions de vues… Quand on la rencontre, elle revient d’ailleurs tout juste d’Italie, où le morceau est en train de devenir un tout gros hit.

Pour autant, on n’a pas l’impression que toute cette agitation effraie particulièrement l’intéressée. Raccord avec les audaces d’une génération qui a décidé que le doute était plus paralysant que stimulant, Lous & The Yakuza est bien décidée à foncer et saisir toutes les opportunités qui se présenteront. Ce n’est pas tant de l’arrogance qu’un appétit vorace. Les galères n’ont pourtant pas manqué pour la jeune femme. Mais jamais au point de refroidir l’enthousiasme, ni son envie de tout bouffer. Cette boulimie ne s’arrête d’ailleurs pas à la musique. Mannequin à ses heures, Lous est également peintre. Il y a trois mois, explique-t-elle en s’attablant en terrasse, elle a également décidé de se lancer dans la décoration intérieure. Elle est déjà occupée sur un premier chantier, un « château » à customiser de fond en comble…

De tout cela, la chanteuse parle avec une excitation dont la sincérité fait peu de doute. Il ne faut pas être fin psychologue pour comprendre que la demi-mesure n’est pas vraiment son trait de caractère principal. « Attends-toi à ma folie », prévient-elle sur Tout est gore. « J’ai toujours été un peu chelou », glisse-t-elle encore. Loquace, elle évoque ainsi son parcours, en multipliant les digressions, le verbe rapide et saccadé, aussi spontanée qu’attachante. Voici donc le récit de Lous, en Yakuza dans le texte.

« Je me rappelle que, très jeune, je structurais aussi très précisément mes journées -ce qui est encore le cas aujourd’hui. En agissant de la sorte, j’avais l’impression de pouvoir vivre les choses pleinement et plus intensément. »© LAURA MARIE CIEPLIK

Rat de bibliothèque

L’histoire démarre au Congo. Marie-Pierra naît à Lubumbashi en 1996. Ses deux parents sont médecins, milieu plutôt aisé et cultivé. « Je me souviens que la maison était vraiment grande. Je ne trouvais par exemple jamais ma chambre. Du coup, souvent, j’ouvrais une porte et je dormais dans la première pièce que je croisais. » Dès 1998, c’est toutefois le début de ce qu’on a appelé la deuxième guerre du Congo. À l’époque, le président autoproclamé Laurent-Désiré Kabila se retire précisément dans la chef-lieu de la province du Katanga. La situation se complique alors pour la famille: si le père reste sur place, la maman, d’origine rwandaise, doit se réfugier en Belgique. Lous a quatre ans quand elle la rejoint à Bruxelles… « Je débarque alors dans un micro-appartement à Saint-Josse. Je me retrouvais tout à coup à dormir dans la même chambre que ma grande et ma petite soeur. C’était le choc total. » Hypothèse: c’est à ce moment-là, quand elle expérimente une nouvelle promiscuité, que la gamine commence à s’inventer des mondes imaginaires dans lesquels elle peut s’échapper et se réfugier. « Je sais en tout cas que l’on me trouvait déjà bizarre à ce moment-là. J’étais tout le temps en train de créer des choses. J’inventais des tas de jeux, dont je déformais les règles en permanence -aussi parce que je suis la pire perdante qui soit, une vraie tricheuse en série (rires) . Je me rappelle que, très jeune, je structurais aussi très précisément mes journées -ce qui est encore le cas aujourd’hui. En agissant de la sorte, j’avais l’impression de pouvoir vivre les choses pleinement et plus intensément. Je me dépêchais par exemple de nettoyer ma chambre ou de faire la vaisselle pour filer faire l’autiste dans ma chambre, à écrire, à dessiner, etc. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Dès qu’elle peut lire, elle se met également à dévorer tout ce qu’elle trouve. « Je pouvais me plonger pendant deux heures dans l’encyclopédie. Cela me fascinait. Chaque année je demandais même la nouvelle édition, comme si elle était complètement différente de la précédente (rires). » La bibliothèque du salon est bien remplie. Lous va souvent y piocher des classiques. « J’ai lu Le Prince de Machiavel à dix ans. J’adore aussi Maupassant: Bel-Ami, c’est quand même un livre complètement ouf! Ou Marcel Pagnol, qui explique pendant dix pages comment tendre sa canne à pêche, je trouve ça super. En fait, j’ai toujours aimé les choses vieilles. » La preuve dans le clip de Dilemme: entre deux plans au milieu des tours des cités HLM, Lous se retrouve notamment à danser sur les escaliers monumentaux d’une grande demeure baroque, façon Beyoncé paradant entre les chefs-d’oeuvre classiques du Louvre. « Dans le même ordre d’idées, mes parents n’écoutaient pratiquement que du classique: Bach, Beethoven, Mozart… Jusqu’à mes douze ans, je n’ai d’ailleurs chanté quasi que des airs d’opéra. » (rires)

Gamine, sa vraie passion est cependant le manga, fan de Naruto ou Detective Conan. « J’adorais le voir résoudre toutes ces histoires sanglantes. La passion qu’il y mettait, son sens de l’organisation très méthodique: tout cela m’inspirait énormément. » Aujourd’hui encore, le Japon continue de l’obséder. L’un de ses premiers EP s’intitulait Okaido. Accolé à son nom de scène, The Yakuza est quant à lui le terme qu’elle a choisi pour désigner non pas un groupe particulier, mais tous ceux qui la soutiennent et participent à sa musique…

« On me dit souvent que je suis hyperdéterminée. Mais je ne fais aucun effort, je ne me lève pas le matin en me disant que je dois tout défoncer. « © LAURA MARIE CIEPLIK

Kigali transit

L’exil belge ne dure pas. Nouveau déracinement: en 2005, la famille repart vers l’Afrique, pour le Rwanda cette fois. « On était censé passer deux mois, pour les vacances. Finalement, on s’y est installé pour de bon. » À Kigali, les traces du génocide sont encore visibles partout. « Je voyais les gens estropiés à chaque coin de rue. Enfant, je n’arrivais pas à comprendre que des gens qui habitaient le même pays aient pu s’entre-tuer comme ça. »

À l’adolescence, les envies de musique se précisent de plus en plus. Lous n’a pourtant jamais appris à jouer d’instrument. Mais elle en est sûre: la musique est son destin, ce à quoi elle veut consacrer toute son énergie. Ce qui la décide à… repartir vers l’Europe. « J’avais envie de produire des choses et de les faire écouter. Au Rwanda, c’était impossible. » Elle supplie ses parents de l’envoyer en pensionnat en Belgique. Ils finissent par céder. À 15 ans, elle débarque au Val Notre-Dame, à Wanze, internat installé dans une ancienne abbaye cistercienne, fréquenté par les bonnes familles de la région. « J’ai toujours estimé que j’ai eu une enfance privilégiée. Mes parents nous ont toujours gâtés. Mais là, tout à coup, je me retrouvais au milieu de jeunes filles qui se promenaient avec un sac Gucci à 4.000 euros. J’hallucinais. » Coup classique: Lous est également l’une des seules Noires de l’établissement. Avec tout ce que cette situation peut susciter de fantasme, de bêtise et de racisme. En a-t-elle souffert? Aujourd’hui, en tout cas, elle en rigole. « Pendant deux semaines, j’ai réussi à faire croire que j’étais arrivée du Rwanda à la nage. » Quand certaines de ses camarades s’étonnent qu’elle ait un compte Facebook, elle explique que chez elle, en Afrique, un pygmée tient l’antenne pour capter Internet… « Je ne leur en veux pas. Ce n’était que de l’ignorance. Ce qui n’est pas incurable, c’est quelque chose qu’on peut soigner », glisse-t-elle.

Après ses secondaires -option latin-sciences-, elle entend se lancer pour de bon dans la musique. Ses parents rechignent. Elle s’entête et finit par se brouiller avec eux. Elle s’inscrit pourtant bien en philo à l’UCL. « Mais ce n’était qu’un hobby. Je n’ai jamais eu l’intention de passer les examens par exemple. La seule fois que je l’ai fait, c’était par curiosité, pour voir en quoi cela pouvait consister. » À Louvain-la-Neuve, elle croise Damso, qui l’invite à chanter avec lui -plus tard, le numéro uno du rap game belge la citera même dans un morceau (« J’ai marque sur le front, tel Lous », dans Kietu). « À l’époque, j’étais un peu sur ma planète. Il a dû me trouver un peu tordue. Je me souviens qu’il m’a dit: « Attends, je vais un peu te montrer le monde extérieur, te faire rencontrer de vraies gens« . » (rires). Parmi eux, il y a notamment Krisy, producteur-rappeur incontournable de la scène bruxelloise. Avec Lous, ils ne se quitteront plus. « Au fil du temps, c’est devenu mon bras droit. Il comprend exactement ce que j’ai dans la tête… » Ce jour-là, il est d’ailleurs assis à la table d’à côté…

Récit de la street

Dans la trajectoire chahutée de la jeune femme, il y a un épisode plus sombre que les autres. À 19 ans, Lous se retrouve en effet à la rue. Pendant six mois, elle n’a plus d’endroit où loger. « C’était un 13 décembre. Je m’engueule avec ma coloc’ qui me fout dehors. Je trouve à loger chez une copine mais qui me vire aussi après quatre jours. Quand je décide alors d’aller sonner chez mon oncle, la seule famille que j’ai à Bruxelles, il ouvre la fenêtre, me voit, et la referme aussitôt. Fin de l’histoire. Il est une heure du matin, je suis dehors sous la pluie avec mes valises. Sur le coup, cela m’a un peu dégoûté de l’humanité. «  Il lui reste bien l’un ou l’autre numéro à appeler. Mais par fierté, elle décide qu’elle s’en sortira seule. Sur le plateau de Quotidien, elle a raconté les soirées passées du côté de Montgomery, autour des bouches de ventilation du métro. « On se mettait tous là entre SDF et tous les soirs, ils me disaient, vas-y chante! » La musique donc, encore et toujours, y compris dans les moments les plus compliqués, désespérés. « Même quand j’étais au fond du trou, je n’ai jamais perdu espoir. J’ai essayé pourtant, mais je n’y suis pas arrivée », rigole-t-elle.

Quatre ans plus tard, les événements ont tendance à lui donner raison. Lous & The Yakuza est en effet annoncée un peu partout comme l’une des futures stars de 2020. Elle en a certainement le charisme, le talent et l’audace. Elle en est d’ailleurs la première consciente. Peut-être trop? Sa maison de disques a décidé en tout cas de mettre les moyens pour transformer l’essai. Envoyée récemment à New York, elle a pu croiser par exemple la star Alicia Keys. Prévu pour le mois de mars, son premier album a été produit par El Guincho -oui, le même qui a mis la main sur El Mal Querer, le blockbuster international de l’Espagnole Rosalia…

Ce n’est évidemment pas parce que tous les signaux sont au vert que le succès arrive forcément. Une part de hasard rentre toujours en compte. Et si la pièce ne tombait pas du bon côté? À vrai dire, ce serait tout de même étonnant. Et quand bien même, on a tendance à croire que l’intéressée retomberait rapidement sur ses pattes. À plancher sur son premier manga. Se lancer dans de nouvelles peintures. Ou s’attaquer à la décoration d’un nouveau château, allez savoir…

Lous & The Yakuza en concert le 24/03 au Botanique, Bruxelles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content