Coup de foudre pour Noé Preszow
Débarqué il y a un an en pleine pandémie, le Bruxellois Noé Preszow ravive la chanson française de ses joies et chagrins hautement romanesques, dans un important premier album générationnel. Entretien.
Axiome de départ: écouter le même morceau dix fois de suite peut être le signe d’une addiction. À l’automne dernier, on se fait donc une dépendance preszowienne (prononcez « préchovienne »), via un premier EP de quatre titres, dont deux tournent toujours en boucle en ce printemps 2021. Plutôt tard le soir et en écoute solitaire. Coup de foudre ou quasi pour Noé Preszow. Ses titres À nous et Que tout s’danse -intégrés à l’album qui paraît en ce début avril (lire l’encadré)- ont la peau douce des mélodies voraces et la textualité tellurique. Avec des phrases qui, l’air de rien, creusent la psyché, façon « J’suis un vieillard/J’suis un gamin« . On est comme attiré par cette jeunesse d’une époque suspendue dans l’actuel no man’s land des incertitudes, des doutes, de l’amour, des rêves plus ou moins floutés. « Oui, il y a quelque chose de générationnel là-dedans, confirme le Bruxellois. Et de dualité. Je fonctionne avec une forme de pudeur et de désir de donner tout ce que j’ai. Je n’ai jamais eu de journal intime. Mais depuis l’âge de treize ans, je lâche tout dans mes chansons. J’ai dû en écrire des centaines. Histoire aussi d’évacuer pas mal de choses. Ma part autobiographique est comme si je semais des cailloux. Par exemple, sur l’album, Les Poches vides parle clairement du moment où, gamin, j’ai accompagné mon père à l’hôpital auprès d’un de ses amis qui partait. » Moment où l’art sublimant la chanson donne en tout cas l’impression de gommer une indicible part de douleur.
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Un mardi de mars dans les locaux intégralement déserts de Pias au centre de Bruxelles, Noé, 26 ans, éternelle barbe gainsbourgienne de trois jours, cheveux prêts pour la bataille, parole loquace, articulée, généreuse. Même si les photos le montrent volontiers bras croisés, un rien sévère. Ce qu’il est occasionnellement, de son propre aveu, évoquant quelques épisodes de colère et plus encore de poésie. « J’ai un rire un peu incontrôlable, qui déborde, celui du Joker, celui surtout de la dernière version ciné (sourire). La meilleure façon de me comprendre est peut-être de voir quel élève j’étais: j’avais zéro partout et au moment des examens, si j’avais pas 100 dans toutes les matières, j’avais en tout cas assez pour mettre les profs dans l’embarras. J’étais un cas de délibé. C’était ma façon de faire fonctionner le système, ce que je dis dans ma phrase « Tout donner tout devant/Tout derrière ». J’étais un enfant très solitaire, fait de montagnes russes. J’adorais m’enregistrer, partir à la campagne en vélo et passer toute la journée à capter des sons. »
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Travailler la terre
Texture forcément intime: on est dans la chanson en je. Comme dans ce formidable plan du clip bonne franquette de Que tout s’danse où Noé lâche un regard gris et opaque sur son voisin de divan. En fait, son frère aîné de quatre ans, Elias, « celui que j’appelle quand ça va mal ou quand j’ai des questions essentielles« , partenaire d’écriture sur deux titres de l’album À nous. « Parfois, il est mon aîné, parfois, je suis le sien. Il a un formidable talent d’écriture. Physiquement, il ne me ressemble pas. Il est grand et mince. Nos parents étaient souvent occupés, donc le soir, Elias et moi étions pas mal seuls, sans véritable désir familial de nous surveiller. ça m’a donné la possibilité de pouvoir faire au plus vite ce que je voulais faire de ma vie. Donc, je termine mes humanités à 17 ans et je pars travailler la terre en Irlande. » On y décèle un lien avec Renaud, qui a aussi sorti son album irlandais (Molly Malone-Balade irlandaise, 2009) -« on dit que c’est son pire, moi, je l’adore« . À son tour, Noé passe quelques mois en zone gaélique dans des fermes où c’est parfois bien, parfois plus bouseux, le museau dans le quotidien. Avec aussi le culot du francophone d’aller balancer des chansons au pub du coin, des classiques anglophones à la Dylan ou à la Cohen, entre autres. Avec une pointe de préférence pour son groupe fétiche de tous les temps, The Waterboys: « La voix de Mike Scott est ce qui me bouleverse le plus au monde« .
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Poète, vos papiers
Complicité d’une inexorable fratrie à deux: le jour où on le rencontre, Noé trimballe en poche un bouquin donné par son frère, une histoire de guerre et de judéité. L’héritage polono-gréco-moldave de Noé plante aujourd’hui les graines d’un disque qui embrasse les 25-30 ans sans frontières. Même si cet héritage multiple n’est pas forcément à mettre, comme cela, sur la place publique. L’automne dernier, on lui avait déjà posé la question des racines juives. Noé avait alors marqué un temps d’arrêt, de recul. « Juif? Je pense qu’il faudrait une longue réponse qui passe par la politique. Être juif, ça ne veut rien dire. Ou quoi? Être juif comme Barbara, Dylan, Cohen ou Woody Allen? Il y a mille façons d’être juif comme il y a mille façons d’être tout. Je suis emmerdé avec cette question-là. Pour être clair, je viens d’un milieu qui se pose aussi par rapport à la question palestinienne, un milieu cultivé (maman est productrice à la RTBF, papa documentariste, NDLR), sans lien avec Israël. Je ne connais pas ce pays et beaucoup de gens ne comprennent pas ça. Je ne maîtrise pas suffisamment la question israélo-palestinienne pour en parler des heures, mais en même temps, c’est trop en moi pour ne pas pouvoir l’évoquer. Je ne fais pas partie de la « communauté juive », mais je fais partie des Juifs d’extrême-gauche. Dans une famille où les parents ont donné le maximum, où les enfants ont eu la priorité. J’ai eu cette chance-là. »
En termes d’identité musicale, l’univers de Noé se pose en équilibre entre les mondes comme entre les vibrations musicales. Trop variété pour la critique indie, trop indie pour le Top 50. Son talent -épatant- permet à ses chansons sinueuses, complices, empathiques, imprégnées et nourries de doutes d’avoir ce que Ferré (dont Noé a enregistré une version de Vingt ans, peut-être à paraître un jour) nourrissait de son génial piment: la reconnaissance d’une fraternité au-delà des idéologies, des genres, des modes. Un écho radiophonique d’un réalisme contagieux qui se retrouve dans le clip de Que tout s’danse, où Noé filme ses potes, filles et garçons, avec un naturel fort et touchant. On y assiste au film d’éternelles amitiés existentialistes, de proximité charnelle et de fun, qui traduisent le Bruxelles actuel. Du vrai, du vibrant, des couleurs urbaines contagieuses donnant l’impression que le collectif pourrait sauver du naufrage individuel. L’univers de Noé Preszow cousine les références du chanteur –Lou Reed, Dick Annegarn, Leonard Cohen, Barbara, Dylan et Renaud- et se démarque du marché actuel. Avec cette conclusion partagée avec les susnommés d’une qualité mélancolique supérieure, plutôt rare en Belgique.
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Dualité
Au fil de l’entretien, c’est un portrait sans langue de bois qui se dessine. De ceux qui tanguent sans cesse entre deux planètes: celle de la solitude voulue, notamment dans l’écriture, et celle du vivre ensemble, Noé partageant aujourd’hui une coloc’ bruxelloise. « J’ai toujours eu cette dualité, celle d’avoir le désir intense de monter sur scène, et puis, en société, de raser les murs. Il n’y a pas de posture, les deux sont vrais. » C’est au Botanique qu’on le retrouve en ce mois de mars. Noé y est en résidence pour trois jours qui se termineront par une captation diffusée en streaming. L’ex-ket, étudiant en violon, est devenu guitariste gaucher. Après six-sept années d’essais musicaux qui ne trouvent pas de dialoguiste, Noé signe donc avec l’excellent label parisien Tôt ou Tard. Le présent album connaîtra deux versions: une première avec des musiciens parisiens, « des pointures« , et puis une seconde avec une équipe bruxelloise. Noé ne s’est pas vraiment retrouvé dans les enregistrements de Paname. Il s’associe alors à Romain Descampe et Ziggy Franzén de Puggy pour refondre tous les titres à Bruxelles.
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Quant à l’avenir d’une vie-carrière, Noé dit juste ceci: « Je ne sacrifierai jamais quelque chose pour mes chansons. Dans L’Étang, je parle de mes incapacités: je peux rester trois heures devant une table pour me demander ce que c’est! » Là, il faudrait davantage de temps, de pages, pour tenter de comprendre vraiment la perspective de qui est et sera Noé Preszow. Un brillant feu follet 2021? Un prochain Brel, dont il partage l’obsession pour l’enfance? Un Ferré à la barbe de trois jours pour le flair lyrique? Instinctivement, on dirait simplement un talent majeur. Les paris sont ouverts comme la conclusion du sujet par lui-même: « Ce n’est ni une pirouette, ni un joker, mais j’ai besoin de comprendre ce qui arrive. Il est trop tôt pour en tirer les conclusions. Mais c’est cela que je veux comme vie, je ne veux pas être statique. J’ai maintenant moins de temps pour regarder des films de trois heures et demie ou pour enregistrer des maquettes. Mais en même temps, j’ai eu cette période de 17 à 24 ans où j’ai pris tellement d’avance sur moi-même que là, je peux me permettre d’être un peu en retard… »
Noé Preszow – « À nous »
Chanson. Distribué par Pias. ****(*)
« Je n’ai pas voulu que ce soit un album de confinement », précise Noé. Beh non, c’est plutôt un disque d’oxygène et de porte de sortie, face à tout ce que l’on sait. Quand on balance un 9 comme cote, c’est aussi parce qu’on imagine que Preszow est à l’aube d’un parcours qui pourrait tutoyer des semblants de grandeur. Il est rare ces dernières années qu’un album de chansons pose autant de questions, de routes et de sensations possibles. Avec des titres immédiats mais aussi des morceaux qui demandent du temps et de l’attention, de la patience et de l’observation. À peu près tout ce que l’on ne s’accorde pas au quotidien. Ce que l’on se dit en écoutant les superbes Je te parle encore, Exils, Ce silence, Faire les choses bien ou encore La Vie courante, celle « d’une époque où nous étions grands ».
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