Retour sur l’adaptation en bande dessinée du best-seller « Sapiens »

© albin michel
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Sapiens, le livre de Yuval Noah Harari, fut un véritable phénomène éditorial à sa sortie. Sapiens, la BD adaptée par le belge David Vandermeulen, est bien partie pour suivre le même chemin. Du jamais-vu pour ses auteurs.

« Tous les chiffres sont WTF. » WTF, pour What the fuck: l’expression, sans appel, du scénariste David Vandermeulen, convient de fait très bien aux chiffres qui entourent la sortie de son dernier album, réalisé avec le dessinateur français Daniel Casanave (Sapiens (1/4) – La Naissance de l’humanité, par Yuval Noah Harari, David Vandermeulen et Daniel Casanave, Albin Michel, 248 p.). Lui qui en compte déjà plus d’une vingtaine au compteur pour autant d’années de carrière n’avait jamais vu ça, comme personne d’ailleurs: le premier tome de Sapiens, l’adaptation en bande dessinée du mega best-seller de Yuval Noah Harari, est sorti fin octobre dans… trente pays, en quatre langues et donc à plusieurs centaines de milliers (quelques millions?) d’exemplaires. « Tous les curseurs sont hors norme, le tirage, je ne sais même pas où on en est exactement. Je sais qu’on est premier dans les charts allemands, que les Pays-Bas sont en rupture, qu’on a droit à des doubles pages partout… Mais on essaie de ne pas trop se pencher là-dessus, ce serait trop vertigineux (NDLR: comme on le devine avec cette photo de l’actrice Natalie Portman enlaçant « son » Sapiens, qu’il a postée sur son Facebook). On doit garder le minimum d’insouciance nécessaire pour s’attaquer à ce défi absolu, et essayer de le faire bien, avec cette boussole que Yuval nous a mise en tête dès le début de cette adaptation, que je considère plutôt comme une transposition, une traduction, mais en images. Sapiens a une vocation véritablement internationale, elle doit pouvoir être lue et comprise partout dans le monde, qu’on soit au Brésil, à New York, au Bangladesh ou à Bruxelles. C’est un principe inhérent à son contenu. »

Un contenu qui s’est vendu en moins de dix ans à 13 millions d’exemplaires et en 42 langues, un phénomène qui a dépassé la seule sphère éditoriale pour devenir culture pop: Barack Obama, Mark Zuckerberg ou Bill Gates s’étaient ainsi pris en selfie avec le livre. On attend de pied ferme un Joe Biden ou une Kamala Harris s’affichant avec sa traduction graphique, due en partie à un auteur bruxellois, valeur sûre de sa scène alternative!

Quatre à cinq albums sont prévus pour l’adaptation des quatre tomes de Sapiens.

Esprit de synthèse

Si vous ne faites pas partie du million de lecteurs francophones qui connaissent déjà le contenu de Sapiens, un résumé s’impose, même s’il ne pourra en dire que peu sur l’enchantement qu’en procure la lecture, en livre ou en BD.

Sapiens, sorti en quatre tomes, d’abord en hébreu en 2011, puis en anglais, puis en français chez Albin Michel en 2015, se propose de raconter pas moins que toute l’histoire de l’humanité, du Big Bang à l’actuelle révolution scientifique. L’historien israélien y fait la synthèse, véritablement universaliste, de multiples courants de pensée et de tous les domaines scientifiques sur les questions entourant l’Homo sapiens et son évolution.

Un historien probablement génial, comme ont pu le constater Daniel Casanave et David Vandermeulen en travaillant avec et chez Yuval Noah Harari: « C’est un type tout à fait attachant mais particulièrement brillant et hors norme », explique le premier au cours de notre conversation par Skype. « Il n’a pas de permis, pas de portable, gère tout avec son mari et agent et une douzaine de collaborateurs. Mais il dégage une telle impression de vivacité d’esprit, une telle culture sur l’histoire, le christianisme, le Coran… Et il est plus jeune que nous! », continue le second. « De tous les esprits très brillants que j’ai pu rencontrer, notamment en m’occupant de La Petite Bédéthèque des savoirs, il est sans doute l’un des plus singuliers. »

Retour sur l'adaptation en bande dessinée du best-seller
© doc

La rencontre éditoriale entre la nouvelle mégastar pop des sciences humaines et notre duo d’auteurs franco-belge ne doit effectivement rien au hasard ; elle est même le fruit de leur long travail autour de la pédagogie et de la vulgarisation scientifique en bande dessinée, tel que le duo Casanave-Vandermeulen l’a déjà maintes fois exprimé en albums, que ce soit en duo autour des récits de Hubert Reeves (trois albums chez Le Lombard), ou en solo, dans le cas de David, en ayant mené l’aventure éditoriale de cette Petite Bédéthèque des savoirs, soit 29 tomes publiés entre 2016 et 2019 et qui, à chaque fois, associaient un spécialiste à un dessinateur pour des Que Sais-je? graphiques souvent remarquables.

Logique donc qu’Albin Michel et l’éditeur Matin Zeller aient pensé à eux au moment de lancer leur grande offensive en bande dessinée (lire aussi l’encadré en fin d’article), et ce en commençant par le plus best de tous leur best-sellers. « On a d’abord pris ça comme une blague, ça paraissait impossible: un livre mondial, un auteur israélien, nous qui ne parlons même pas anglais… Mais on a fait un essai, pour lequel on a choisi un passage compliqué, sur l’argent. Peut-être l’un des plus théoriques et le moins « bande dessinée ». Mais Yuval a été enchanté, à un truc près: il n’était pas très chaud pour apparaître comme personnage, pour devenir un héros de BD, là où dans le livre, il s’efface derrière d’innombrables notes de bas de page et des courants de pensée dont il se fait le relais. Il a fallu le convaincre. On a beaucoup été retoqués! »

Car avant d’être une réussite commerciale annoncée (et presque poussée, en France, par des librairies forcées au click & connect, qui promeut de facto des titres déjà connus du grand public), ce Sapiens version graphique, s’avère aussi un joli tour de force éditorial, et un vrai bon album de bande dessinée.

Retour sur l'adaptation en bande dessinée du best-seller
© Albin Michel

Pas de concession

Le duo utilise en effet tous les codes propres au neuvième art pour raconter cette fantastique histoire, tout en conservant les points de vue très originaux que développe Harari dans son propre récit et cette première partie qui décrypte le comment du pourquoi l’Homo sapiens est devenu un animal pas comme les autres, se développant plus vite que son propre ADN et prenant le pas sur au moins six autres espèces humaines qui existaient avant et en même temps que lui: l’importance de la sociabilité et de notre goût du commérage qui nous ont permis de communiquer au-delà de nos cercles proches, ou l’importance fondamentale de la fiction dans notre évolution, l’Homo sapiens étant le seul être de l’univers capable de se raconter des histoires, et d’y croire – presque une mise en abyme pour nos deux raconteurs d’histoire chargés d’adapter celle-ci en BD. Lesquels prennent donc toutes les libertés nécessaires avec le récit d’origine – notamment en multipliant « les récits dans le récit » – pour alléger le propos et garder un rythme de lecture agréable et ludique qu’ils devront tenir sur plus de 1.200 pages (quatre à cinq albums sont prévus pour l’adaptation des quatre tomes de Sapiens).

Sapiens (1/4) - La Naissance de l'humanité, par Yuval Noah Harari, David Vandermeulen et Daniel Casanave, Albin Michel, 248 p.
Sapiens (1/4) – La Naissance de l’humanité, par Yuval Noah Harari, David Vandermeulen et Daniel Casanave, Albin Michel, 248 p.

Le tout sans rien concéder, et encore moins que jamais, aux vérités scientifiques sises aux fondements de cette « naissance de l’humanité ». « Si on s’éloigne parfois de son texte, celui-ci a été scruté à la loupe par ses équipes, qui ne nous passaient rien, et c’est parfois une gageure: l’anthropo-paléontologie est une des sciences humaines qui évolue le plus vite, remplie de découvertes permanentes et qui nous demandait à chaque fois de repréciser certains détails. Tout a dû être très réfléchi, à commencer par la mise en images de ces Homo sapiens, où tout à un sens: la taille, la couleur de peau… » « C’est là qu’intervient tout le talent de Daniel », souligne David: « Outre le fait que je l’appelle Danny la flèche pour sa capacité à dessiner ainsi 280 pages en un an, son dessin a cette capacité d’être à la fois non scientifique mais précis, et suffisamment « flou »pour ne pas emprisonner l’imaginaire du lecteur dans une représentation figée. Comme Yuval dans son texte, on fait appel à son intelligence. »

Des livres à la BD, la grande offensive

Ce Sapiens, cas unique de sortie internationale et simultanée pour une bande dessinée, n’est que le premier coup d’une grande offensive lancée par les éditeurs littéraires sur la bande dessinée, art et média qui fut longtemps regardé de haut par des maisons d’édition réfractaires aux images, et qui laissaient jusqu’ici d’autres qu’elles, cette fois spécialisées BD, se charger des adaptations issues de leur catalogue. Albin Michel a sonné le glas de cette externalisation habituelle, en relançant avec force un département BD qui promet au moins quatre romans graphiques par an issus de son catalogue : Sapiens marque le coup, bientôt suivi par le Vernon Subutex de Virginie Despentes adapté par Luz. D’autres grands pôles éditoriaux se sont créés de nouveau labels spécialisés dans le principe, tel Philéas, nouvelle maison d’édition BD du groupe Editis, qui publiera exclusivement des BD très mainstream issues de son immense catalogue, et de ses propres romans. Premiers exemples qui ne dépassent pas pour l’instant le sous-produit: Le Syndrome E de Franck Thilliez et Gravé dans le sable de Michel Bussi.

Retour sur l'adaptation en bande dessinée du best-seller

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