Le Centre belge de la bande dessinée en recherche de partenaires

En 2019, le CBBD avait accueilli plus de 250 000 visiteurs avec un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euros. Suite à la pandémie, l'institution table plutôt sur un million. © DANIEL FOUSS/MUSEE DE LA BD
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Au Centre belge de la bande dessinée (CBBD), la situation est grave mais pas encore désespérée. Après une « annus » en tout point « horribilis », sa nouvelle directrice entame 2021 sous le signe de l’apaisement, et de la recherche de partenaires.

En accédant il y a tout juste un an au poste de directrice générale du Centre belge de la bande dessinée (CBBD), à Bruxelles, Isabelle Debekker devait s’attendre à tout – sa nomination avait d’emblée suscité bien des remous (voir encadré ci-dessous) – mais certainement pas à ça: depuis mars dernier et le premier confinement, le CBBD, plus connu sous le nom de Musée de la BD (même s’il n’a d’un musée ni les moyens ni les attributions), n’est, comme tout le pays, plus que l’ombre de lui-même. Et inutile de se fier à la présence, qui fait plutôt chaud au coeur, de quelques familles et visiteurs en ce jour de vacances pluvieux: « Non, ça ne va pas du tout. En matière de fréquentation, on devrait avoir une centaine de personnes aujourd’hui. Mais d’habitude, un jour comme celui-ci, pendant les vacances de Noël, on accueille plus de 2.000 personnes! Et c’est comme ça depuis longtemps… Les caisses ne se remplissent pas, on freine juste les pertes. Elles ne sont pas encore vides, mais on ne sait toujours pas si on va devoir encore tenir cinq semaines ou cinq mois. » Une situation de fait intenable à long terme pour une asbl totalement privée, et qui tire 90% de ses ressources de ses fonds propres et, donc, du ticketing.

Cette période doit aussi nous permettre de repenser les priorités, d’aller à l’essentiel.

Les bilans chiffrés de cette maudite année 2020 sont évidemment au diapason. En 2019, le CBBD avait accueilli plus de 250.000 visiteurs avec un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros. « En 2020, on sera plutôt aux alentours du million. Et on fonctionne désormais avec un personnel réduit: trois temps plein et demi, dont le gardien et le responsable de l’entretien, alors qu’on en comptait, avant, vingt, plus une série d’indépendants. »

Mais en un an Isabelle Debekker a appris à relativiser, même les pires catastrophes. « Comme quelqu’un m’a dit, sacré karma! On n’a jamais connu ça, mais personne n’a jamais connu ça. Tous, on doit se sentir bien seuls dans cette situation, sans savoir forcément où aller chercher de l’aide. Même les conditions de réouverture ont été difficiles. On nous a annoncé le vendredi soir qu’on pouvait rouvrir le mardi. Mais ici, on expose du papier, et des planches originales fragiles qu’il a fallu enlever, renvoyer, protéger, ressortir ou faire tourner pour ne pas les laisser exposées trop longtemps – c’est cinq mois et demi maximum sous la verrière, par exemple. Le tout avec le jeu des assurances, 685 autres paramètres, et beaucoup de frais incompressibles. Il y a eu des facilités de paiement, oui, mais annoncées après les échéances… Si on revenait à une situation normale, on a les capacités de remboursement. Si les choses reprennent, le centre est financièrement sain, il l’était avant la Covid. Le tout est de garder le bon équilibre entre être ouvert pour rien, pour assez de visiteurs ou fermer, option qui coûte le moins cher tant qu’il y a le chômage économique. Et de trouver le bon partenaire aujourd’hui, qui nous fait confiance pour faire le lien jusqu’à la réouverture dite « normale ». Là, on a ouvert la salle de l’horloge pour avoir plus de mètres carrés et accueillir plus de monde, on a dû faire un parcours à sens unique, fermer l’espace galerie, ouvrir une porte, en fermer d’autres… On a presque fait un nouveau musée. »

Isabelle Debekker, directrice générale du CBBD.
Isabelle Debekker, directrice générale du CBBD.© DANIEL FOUSS/MUSEE DE LA BD

Réseautage et campagne de mécénat

Cette recherche de nouveaux partenaires, désormais vitale, s’incarne ainsi dans les deux projets annoncés, quand même, pour 2021 – en plus d’un préprogramme qui englobe déjà des expositions autour de la BD coréenne, de l’auteur flamand Charles Cambré ou de Petit Poilu, « très ludique et interactive et qu’on avait donc dû annuler » – une exposition United Comics of Belgium pour laquelle le CBBD lance une campagne de mécénat à hauteur de 78.000 euros avec l’aide de la Fondation Roi Baudouin (et offrir ainsi 60% de déduction fiscale aux donateurs), et le projet Comic Art Europe, « qui réunit quatre organisations européennes et préfigure une communauté européenne de la BD ».

L’embryon d’un futur réseau capable de fédérer le secteur au niveau européen, pour l’instant constitué par le CBBD en Belgique, Lyon BD en France, The Lakes International Comic Art Festival au Royaume-Uni, et l’Escola Joso, Centre de Comic i Arts Visuals, en Espagne. Le tout soutenu financièrement par le programme Creative Europe de l’Union européenne. Isabelle Debekker précise: « Il n’y avait jusqu’ici rien d’institutionnalisé, mais là, on plante trois piliers: un appel à projets, deux années de suite, avec des dotations et des résidences ; des summer camps organisés en 2021 à Barcelone et en 2022 chez nous, à Bruxelles ; et, enfin, un projet autour de l’usage de la bande dessinée comme outil d’alphabétisation. La question est également de faire évoluer nos pratiques. Cette période doit aussi nous permettre de repenser les priorités, d’aller à l’essentiel… La gestion de notre fonds et la défense des auteurs en fait évidemment partie. »

On aimerait aller plus loin dans ce rôle muséal. Mais on ne pourra pas le faire seuls.

Et d’annoncer une bonne nouvelle qu’elle pourra mettre à l’actif de 2020 et de sa première année en tant que responsable: « Nous sommes enfin en passe de finir l’inventaire de notre fonds, qui compte des milliers de planches et de documents. » Un inventaire surtout administratif: qui a déposé quoi, pour combien de temps, avec quel contrat… Le Centre compte en effet des milliers de documents mis ici en dépôt depuis des décennies, que l’asbl ne peut vendre, mais qui dorment, faute de mieux, dans les tiroirs et les archives.

« Désormais, on va pouvoir identifier et aller revoir tous les auteurs et ayants droit, repenser la manière dont les planches sont conservées et montrées, et peut-être repenser, avec des partenaires comme la Fondation Roi Baudouin, le meilleur usage qu’il y aurait à en faire. » On sait en effet que la gestion de cet énorme patrimoine culturel belge que sont les originaux de bande dessinée échappe de plus en plus au secteur public, qui ne possède aucune politique d’acquisition en la matière – et ne pourrait sans doute plus se le permettre autour des pièces justement dites muséales, lesquelles s’arrachent dans les salles de vente. « On aimerait évidemment aller plus loin dans ce rôle muséal, conclut Isabelle Debekker. Mais on ne pourra pas le faire seuls« .

Une expo pour calmer les auteurs

La succession du démissionnaire Jean Auquier par Isabelle Debekker, jusque-là discrète secrétaire générale et dont la famille gère déjà le catering du centre et la brasserie de la rue des Sables, à l’entrée du splendide bâtiment Horta qui accueille le musée bruxellois, n’était pas passée inaperçue: les auteurs, Bernard Hislaire et François Schuiten en tête, avaient eu des mots très durs sur cette nomination et sur la gestion plus générale du Centre, qui n’est pour beaucoup ni un centre de recherches, ni un musée digne de ce nom. Une grogne qui a eu le mérite de fédérer nombre d’auteurs de bande dessinée autour d’une association de fait baptisée l’Aka par son meneur Bernard Hislaire, aux contours encore flous, et qui, quelques mois après ses premières réunions, ne grogne déjà plus: le CBBD organisera en mars prochain, si sa campagne de mécénat aboutit, sa première exposition United Comics of Belgium. Un « miroir de la création belge en 2020 » et un « instantané de la création » qui fait d’un coup beaucoup d’heureux, puisqu’on y comptera pas moins de…vingt-sept auteurs et neuf commissaires, là où le Centre brillait jusqu’ici, et brille encore, par son absence de direction artistique.

Le Centre belge de la bande dessinée en recherche de partenaires
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Une première et évidente concession aux auteurs fédérés par Hislaire? Isabelle Debekker nuance à peine: « Des doléances ont été présentées. Et nous avons commencé à discuter du projet avec Bernard Hislaire et Thierry Van Hasselt quand le musée était encore fermé, fin mai. Elle va remplacer – tout un symbole! – l’espace Boule & Bill, dans une exposition temporaire de quatre mois qui sera peut-être appelée à être régulièrement renouvelée. C’est un galop d’essai, il faudra aussi voir la réaction du grand public. Et quand on lui fait remarquer que neuf commissaires, c’est peut-être beaucoup pour une seule exposition, la directrice du CBBD opine: « Ça fait beaucoup, mais il y a une volonté assumée d’avoir une représentation des différents genres de bande dessinée, mais aussi des genres tout court, des différentes communautés et des différentes générations. Et, dès les premières réunions, les commissaires avaient très envie de présenter des gens jusqu’ici sous-représentés au CBBD ». Rendez-vous donc en mars pour voir des planches de Johan De Moor, Olivier Grenson, Hermann ou Hardy côtoyer celles de José Parrondo, Max de Radiguès, Romain Renard, Léonie Bischoff ou Judith Vanistendael. Sacré choc des cultures.

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