Il faut sauver le soldat BD

Le musée de la Bande Dessinée rouvrira ces portes le 3 juin © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Schuiten et Yslaire veulent créer une « Académie belge de la Bande Dessinée » pour secouer le cocotier de la BD belge, et le Centre Belge de la Bande Dessinée en particulier. Compte-rendu de la situation, et de cette première réunion.

Ceci est une version mise à jour de l’article paru dans Le Vif/L’Express du 16 janvier.

La nomination d’Isabelle Debekker à la direction du Centre Belge de la Bande Dessinée (CBBD) (lire aussi « L’avenir du Musée de la BD compromis par des bachibouzouks?« ) a-t-elle été la goutte d’eau qui fera déborder le vase du petit monde de la BD belge? Après une carte blanche au vitriol signée par une soixantaine d’auteurs qui dénonçait en vrac l’opacité de cette nomination en interne, l’immobilisme de l’institution, le flou de ses missions et « un temple dirigé par ses marchands« , ce sont cette fois François Schuiten et Bernard Hislaire, qu’on ne présente plus et déjà signataires, qui annoncent la création rapide d’une « Académie belge de la Bande Dessinée » (AbBD). Cette nouvelle association qui regrouperait les professionnels de la profession entend « défendre la qualité de l’art de la bande dessinée en Belgique et son patrimoine » et donc s’inviter dans les instances publiques ou privées en charge de la BD en Belgique, en obtenant a minima « une meilleure représentation des auteurs à l’Assemblée générale du CBBD ». Une ouverture et un dépoussiérage auxquelles la nouvelle directrice, « surprise par l’ampleur des réactions » n’est pas opposée, jouant la carte de l’apaisement: « je préfère la collaboration à la confrontation; tant mieux si cette Académie permet d’y arriver« . François Schuiten, lui, tient un tout autre discours: « Les bonnes intentions, personne n’y croit plus. Il ne suffira pas d’un toilettage. » Discours répété ce jeudi devant une quarantaine de collègues à la Maison des auteurs de Bruxelles. Collègues auteurs et autrices qu’on a rarement l’occasion de voir réunis dans une même pièce, et encore moins de les entendre parler d’une même voix, parmi lesquels Dominique Goblet, Philippe Geluck, Benoît Feroumont, Eric Lambé, Judith Vanistendael, Philippe Capart, Cyril Elophe, Johan De Moor, Abdel de Bruxelles, Etienne Schréder ou encore Dany, un des rares auteurs à faire partie du Conseil d’Administration du CBBD… Mais qui en a démissionné après ce rififi (pour être aussitôt remplacé par Denis Lapière).

Dialoguer, ou tout péter?

Rappel des faits: en août dernier, le CBBD lançait la procédure pour remplacer, à l’aube de ses 30 ans, le directeur Jean Aucquier, en place depuis 12 ans. La crème des « penseurs » de la BD belge (journalistes, universitaires, galeristes, auteurs) y ont vu l’occasion d’enfin reprendre en main ce qui devait être à l’origine un centre d’études et de conservation devenu au fil du temps une attraction touristique et un musée… sans en avoir ni les prérogatives, ni les moyens, ni de véritable direction artistique ou scientifique. Mais fi des trente candidatures extérieures: le poste s’est finalement joué en interne, en nommant celle qui en était jusque là la discrète mais déjà incontournable secrétaire générale – en même temps que la soeur des patrons et de la brasserie et du « catering » liés au CBBD. L’affront de trop sans doute, même si Isabelle Debekker a préféré nous parler, elle, de « malentendu: il est ici question de gestion. Gérer l’institution, le bâtiment, son personnel, ses activités… Il ne s’agissait pas se prononcer sur ce qu’est, ce qu’était ou ce qu’aurait dû être le Centre, même s’il n’est pas figé, et qu’il faut le faire évoluer. » Et d’annoncer un semblant d’ouverture: « nous ferons appel à l’extérieur pour mettre en place des comités scientifiques, un poste de directeur artistique peut s’envisager, le Conseil d’Administration peut s’ouvrir… Il faut en discuter, surtout. »

Mais le temps est-il encore au dialogue? À entendre François Schuiten, très remonté, on en doute: « Les manques sont criants depuis 30 ans: la notion patrimoniale, le rapport aux maisons d’éditions indépendantes et aux jeunes auteurs, les questions de précarisation, de numérisation, de représentativité à l’étranger… Les béances sont énormes. Avec le temps, et en profitant de la faillite complète des pouvoirs publics autour de la BD, cette petite ASBL s’est donné un rôle qu’il n’assume pas. Il faut enfin se fédérer et obtenir de réelles remises en question. »

Vider le Centre de sa substance?

D’où cette première réunion organisée ce jeudi par Schuiten et Yslaire avec le soutien de la SCAM et de l’ABDIL (deux organisations censément déjà représentatives des auteurs…). Après avoir résumé la situation, les auteurs ont donc échangé sur les moyens en leur possession pour s’inviter dans les structures du CBBD et enfin entrer de plain-pied dans son organisation: y aller en masse ou boycotter les comités consultatifs qui seront mis en place? S’inviter en force à la prochaine Assemblée Générale? Exiger un quota minimal d’auteurs au sein d’un nouveau conseil d’administration? Proposer à tous les auteurs concernés le retour de leurs planches mises en dépôt au Centre? S’adresser à d’autres opérateurs pour défendre et présenter la BD belge, en Belgique et à l’étranger? « Tout est possible« , nous expliquait François Schuiten avant cette première réunion, précisant, un peu, sa pensée sur place: « Le bâtiment Horta qui accueille le CBBD (NDLR: Rue des Sables à Bruxelles) est en très mauvais état, sa rénovation sera un chantier immense. Et avec les nouveaux bâtiments qui arrivent et qui seront eux aussi consacrés à la BD (NDLR: entre autres Le Musée du Chat en 2022, La Fondation Boon dès cette année peut-être), le site va être rapidement ringardisé. »

Reste à savoir que faire de ces leviers que les auteurs tentent désormais de reprendre en main… Il faudra sans doute plus d’une réunion – et sans doute, un recensement précis du nombre d’auteurs belges, flou mais aux environs de 500 – pour faire parler d’une même voix autant d’individualités et de perceptions différentes du métier. Et si on sent déjà que le terme même de « Académie » aura du mal à passer la rampe (beaucoup s’en sont émus ou se disent effrayés, refusant l’idée même d’une organisation qui jugerait la qualité de ses pairs), tous semblent d’accord sur « la nécessité de trouver une forme qui puisse nous fédérer et représenter tous les métiers de la BD, et soucieuse avant tout de création« . À suivre donc.

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