Critique | Livres

L' »autobiographie hallucinée » de Conrad Detrez rééditée

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Conrad Detrez, Espace Nord

Ludo / Les Plumes de coq / L'Herbe à brûler

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Nicolas Naizy Journaliste

Prix Renaudot en 1978, le Belge Conrad Detrez voit ses trois romans autobiographiques réédités. Témoignages d’une époque passionnante.

La réédition par Espace Nord de la trilogie publiée Conrad Detrez (1937-1985) dans les années 70 vient nous rappeler la singularité de son écriture et raviver le témoignage d’une copieuse tranche du XXe siècle. Comme le résume Clément Dessy, professeur de lettres belges, qui signe les dossiers documentaires de ces rééditions, les trois tomes de cette “autobiographie hallucinée” -expression que l’on retrouve sur l’édition originale de L’Herbe à brûlermélange étroitement autofiction et réalisme magique. Dans Ludo (1974) et Les Plumes du coq (1975), Detrez raconte une enfance rurale en bord de Geer et une adolescence dans un internat catholique comme un quotidien teinté de baroque. “Je demande des paysages, des climats, du fantastique, je veux des visions”, écrira par ailleurs, pour exprimer cette envie de (faire) voir, celui qui mêle à ses souvenirs la découverte des corps et des sentiments au fil de scènes à la fantasmagorie explosive, tout en maintenant en arrière-plan le contexte politique de l’époque (la Seconde Guerre mondiale pour Ludo et la question royale dans Les Plumes).

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Ces deux romans préparent le terrain de L’Herbe à brûler, récompensé du Prix Renaudot en 1978. Moins fantasque et sans doute plus politique que ses prédécesseurs, le roman suit le parcours du jeune adulte Detrez -et son double littéraire, personnage de Candide moderne- de ses études au séminaire de Louvain en pleine deuxième guerre scolaire des années 50 à la découverte des mouvements révolutionnaires en Amérique du Sud. Là, il découvre la flamboyance littéraire du réalisme magique en même temps qu’une effervescence intellectuelle nouvelle pour lui. Séminariste, traducteur, journaliste et futur diplomate, Conrad Detrez se détourne alors de la voie théologique pour soutenir les combats aux régimes autoritaires. Une évolution politique qui se double d’une révolution affective, le narrateur tout comme l’écrivain assumant dans un véritable conflit intérieur une homosexualité fortement marginalisée à l’époque. Il est intéressant à ce sujet de lire dans les annexes de cette nouvelle édition les extraits du texte que Detrez gomme lui-même, une restitution réalisée grâce aux Archives et Musée de la Littérature. Malgré cette autocensure, le corpus reste fortement explicite par endroits, une non évidence pour l’époque. Jouant avec les lecteurs comme avec sa vie, Detrez nous embarque dans le tourbillon des événements qui emporte son personnage.

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Décédé en 1985 des suites du sida, le Belge ne connaîtra pas la même postérité que ses contemporains. Les thèmes porteurs et l’écriture où le sensuel et le végétal débordent présageaient pourtant un succès pérenne. La ressortie de ces ouvrages et leur mise en contexte passionnante et documentée viennent magistralement remettre sur pied un auteur qui aura marqué les lettres par son originalité et sa sincérité.

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