Anthony Passeron reçoit le prix Première pour « Les Enfants endormis »

Anthony Passeron, lauréat du prix Première 2023 pour "Les Enfants endormis". © © Jessica Jager
Nicolas Naizy Journaliste

Dévoilé à la Foire du Livre ce jeudi, le prix Première a été attribué à l’auteur français Anthony Passeron pour son premier roman Les Enfants endormis. Le récit conjoint d’une tragédie familiale minée par l’héroïne et le sida et d’un combat scientifique.

Dix premiers romans étaient en lice pour ce prix remis par La Première. Une sélection au sein de laquelle on retrouvait notamment Tenir sa langue de Polina Panassenko ou Trois sœurs de Laura Poggioli. Et c’est finalement le livre d’Anthony Passeron, Les Enfants endormis (paru aux éditions Globe), qui a le plus séduit le jury composé de dix auditeurs et auditrices. Dans ce premier ouvrage, ce professeur de français et d’histoire-géographie de 39 ans revient sur la tragédie qui a secoué, pour ne pas dire fait éclater, sa propre famille: à savoir le sida qui a touché son oncle Désiré, au mitan des années 1980, alors que l’on connaît à peine les tenants et aboutissants de ce qui allait apparaître rapidement comme une épidémie mondiale. Une évocation doublée de la véritable guerre scientifique que se sont livrée la France et les États-Unis sur le terrain de la recherche de ce qui allait être désigné par trois lettres, VIH, pour virus de l’immunodéficience humaine. « Un premier roman qui mêle l’histoire particulière faite d’ignorance, de larmes, de colère et de honte, au long travail des chercheurs pour comprendre le virus« , communique le jury du Première pour expliquer son choix.

Lors de son apparition, le virus du sida, que l’on ne nommait pas encore de la sorte, est d’abord qualifié de « cancer gay », les premiers malades recensés étant majoritairement des homosexuels hommes. Une spécificité qui « autorisera » autorités scientifiques comme politiques à minimiser le problème et détourner les yeux d’un mal qui se répand à grande vitesse. Il faudra la pugnacité et l’obstination d’un certains nombres de chercheurs pour convaincre que c’est un bien plus large public qui est concerné. On parlera bientôt, pour diverses raisons, du syndrome des 4 H, initiales d’homosexuels, héroïnomanes, Haïtiens et hémophiles. Avant encore de voir le cercle des victimes s’élargir.

Un acte double de mémoire

C’est sur ce point que le roman d’Anthony Passeron fait premier acte de mémoire. En retraçant l’histoire de son oncle Désiré, jeune noceur, fils de boucher travailleur acharné, il montre combien une maladie injustement attribuée à une certaine communauté a atteint une petite vallée de l’arrière-pays niçois. Un virus qui s’est répandu par seringues échangées, insouciance et dépendance à la drogue. Sur base de ses souvenirs d’enfance et au gré d’une histoire familiale faite de non-dits, l’auteur déroule la déliquescence d’un noyau familial jusque-là soudé comme il peut l’être dans un petit village rural où tout le monde se connaît. La maladie devient phénomène honteux que l’on doit cacher. C’est aussi le combat déchirant d’une mère courage pour son fils chéri, la grand-mère d’Anthony Passeron devenant la combattante d’un double ennemi invisible: le virus et le préjugé. Virus qui devient héritage cruel aussi dans une deuxième partie de roman déchirante.

Dans un souci de raccrocher le malheur intime au monde extérieur, le livre alterne épisodes du cercle familial à la véritable course scientifique des deux côtés de l’Atlantique. Doutes, tentatives, obstinations, nouvelles certitudes, intérêts nationaux et pharmaco-industriels jalonnent le parcours chahuté de la recherche. Le cynisme n’est jamais loin. Les Enfants endormis rappelle que la coopération internationale, sans être innée, est majeure et que l’attribution du Nobel de médecine en 2008 attribué à Luc Montagnier, Françoise Barré-Sinoussi et Harald zur Hausen n’est qu’une étoile cachant une galaxie d’acteurs et d’actrices du monde scientifique. « En suivant ce fil qui va de l’intime à l’universel, Anthony Passeron rééclaire l’histoire de façon magistrale« , écrit encore le jury du prix Première.

Dans une actualité éditoriale qui revient à plusieurs reprises sur l’histoire du VIH -on pense au 95 de Philippe Joanny ou à L’Expérience Helena de Hannah Bervoets-, le roman d’Anthony Passeron apporte un éclairage romanesque et historique aussi touchant qu’essentiel sur une épidémie qui, même si elle bénéficie aujourd’hui de découvertes et de traitements encourageants, n’est certainement pas endiguée.

Les Enfants endormis, d’Anthony Passeron, éditions Globe, 288 pages. ****

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content