Critique | BD

[la bd de la semaine] La Fuite, de Nicolas Moog: Fight Club

4,5 / 5

Nicolas Moog, Editions 6 Pieds sous Terre

La Fuite

88 pages

4,5 / 5
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

De Metz à Tucson, Nicolas Moog se lance à la recherche de la tête de Pancho Villa. Il nous emporte dans un polar existentiel au réalisme magique.

Le pitch et la couverture de son dernier album, jusqu’à la vie même de l’auteur et musicien Nicolas Moog, habitué aux allers-retours entre France et Amérique centrale, promettent d’emblée du rêve, des paillettes et de la poussière du désert mexicain -puisque La Fuite semble vouloir nous narrer une folle aventure torride sur les traces de Pancho Villa, le révolutionnaire à la tête coupée. Mais rangez tout de suite vos colts et vos sombreros: cet album inclassable démarre au contraire, et longuement, par le quotidien répétitif et pas très gai d’un auteur de Metz en plein doute -« le monde de l’édition est un cloaque« – coincé entre les strips censés joyeux qu’il doit produire, une séparation visiblement pénible, une garde alternée insatisfaisante, une consommation d’Orval trop prononcée et ce boulot qui le laisse incompris et exsangue. Jusqu’à sa rencontre -si rencontre il y a- dans un festival à Hambourg, avec Juan Buenaventura Diaz, Espagnol aussi pochtron que lui mais pour le reste, son exact contraire: Juan est explosif, bagarreur, inconscient, excentrique, et bientôt lauréat du prochain Pulitzer, car Juan dit savoir où retrouver la tête de Pancho Villa, découpée de son cadavre une nuit de 1926. Grâce à elle, Juan veut devenir célèbre. Nicolas, lui, y voit peut-être la relique qui « ravivera la flamme de la noble révolution« , et au passage, celle de sa propre inspiration. À la lecture de cette Fuite qu’on a effectuée pour l’essentiel bouchée bée, et sans rien dévoiler de sa chute, on peut affirmer que c’est le cas: quel album formidable!

Abouti de bout en bout

Être surpris presque à chaque page par l’univers d’un livre et celui d’un auteur que l’on croyait connaître et déjà apprécier (après, entre autres, Qu’importe la mitraille, En roue libre ou Underground, sa somme sur les rockers maudits), ça n’arrive pas tous les jours, et à y réfléchir, même pas tous les ans. Gloire donc à Nicolas Moog qui sublime ici tout ce qu’il sait faire en bande dessinée, que ce soit narrativement avec de longues séquences muettes ou un découpage aussi original qu’abouti, graphiquement avec ses bichromies pleines de sens et son trait faussement simple et humoristique, capable soudain d’une grande gravité, mais aussi et surtout dans le récit qu’il déploie ici. Il nous emmène sans cesse là où vous ne pensiez pas aller, y compris dans la violence et l’effroi. Le tout débordant aussi de clins d’oeil aux amis et collègues, d’amusantes mises en abyme et de multiples références allant de Franquin à Fight Club en passant par Paco Ignacio Taibo II, auteur mexicain de polars et de récits historiques dont l’ombre tutélaire plane d’évidence sur ce roman graphique qui se mérite, à la fois métaphysique et exotique.

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