The One (Netflix): et s’il était possible de trouver l’âme soeur grâce à l’ADN?

Rebecca Webb (Hannah Ware), femme fatale et gourou high tech d'un Tournez Manège algorithmique.
Nicolas Bogaerts Journaliste

Observant de loin les bouleversements technologiques de nos comportements amoureux et les dysfonctionnements du couple, The One est un polar classique qui laisse de précieuses questions dans ses marges.

Et si? Et s’il était possible de trouver l’amour de sa vie grâce à la compatibilité indiscutable des ADN? C’est la promesse que fait Rebecca Webb face à son auditoire surchauffé, à l’occasion de l’une de ses conférences messianiques où elle vient régulièrement afficher la réussite de son application The One. Des millions de personnes ont eu recours à ses services afin de « matcher » avec leur âme soeur. La première d’entre elles n’est autre que Rebecca elle-même, qui a fait d’un inconnu l’homme de sa vie, le bien fade Ethan, hissé comme un trophée à la fin du speech. Sauf que derrière les sourires de façade, la success story et les bisous, une multitude de drames se jouent. Et dans les eaux troubles de la Tamise, un cadavre remonte littéralement à la surface.

Cette nouvelle série issue d’une abondante germination pré-printanière sur Netflix (Mon amie Adèle, Ginny & Georgia, Tribes of Europa…) analyse de manière un peu superficielle les enjeux éthiques et sociétaux d’une application sur laquelle tout un chacun laisse traîner des données personnelles sensibles. Elle se centre davantage sur son pouvoir d’aliénation sur des individus obnubilés par la sainte institution du couple. Parallèlement, le cheminement de The One, petite start-up transformée en à peine deux ans en puissante compagnie internationale capable de faire plier les États, pourrait lorgner les GAFA. Mais, dans ces arches secondaires-là, la série privilégie les conflits et ressentiments individuels, la soif de pouvoir étanchée par des coups tordus, des chantages et des manipulations. On est là plus proche de Dallas que de Successions, tant la personnalité opaque et essentiellement ambitieuse de Rebecca (Hannah Ware) tisse sa toile pour y laisser faisander ceux qui sont prêts à révéler ses plus terribles secrets: James, son associé à l’origine du projet, et Damien, son business angel. Le pitch high tech de The One est un prétexte pour développer un polar un peu banal. Son axe principal est le meurtre d’un jeune expert en informatique, Ben Naser, dont les restes ont été repêchés dans la Tamise quelques années après sa disparition. L’inspectrice Kate Saunders (Zoë Tapper) mène l’enquête, qui ne tarde pas à tourner autour de Rebecca. Elle était, à l’époque des faits, coloc de la victime, qui formait avec elle et leur ami James une curieuse triangulation d’intérêts croisés pour la génétique, la technologie et leurs applications possibles sur le marché de l’attention et de la relation amoureuse.

Shopping amoureux

The One n’est pas la première série à s’aventurer dans le domaine des algorithmes amoureux et de la manipulation des données personnelles, de la marchandisation des affections biberonnée au mythe de l’amour absolu ou à l’utilitarisme sexuel boosté à l’intelligence artificielle. Un terrain de jeu privilégié par la série dystopique Black Mirror, dont le quatrième épisode de la quatrième saison, intitulé Hang the DJ, avait en son centre une application informatique, Coach, qui connectait des partenaires potentiels pour des périodes fixes. L’épisode soulevait une série de questions pertinentes sur le libre arbitre et les errements de l’IA. The One semble elle suivre le même cheminement narratif que la série américaine Soulmates (Amazon Prime, 2020) qui explore les conséquences, dans un futur proche, sur les individus et les couples, d’une application chargée de trouver l’âme soeur avec 100% de certitude. Dans les deux fictions, les enjeux de ce besoin de contrôle et de rentabilité des rapports sont posés: quelle est la valeur du choix d’une personne, d’une relation? Comment se forgent les liens, sur quelles bases saines ou quels malentendus? Quelle tyrannie ce modèle de l’amour absolu exerce sur nos systèmes intimes et collectifs? Comment appréhender la marchandisation du sentiment amoureux, la transformation d’un champ d’exploration sensuel et affectif en marché de l’évaluation? Las, on ne trouvera pas, ni dans The One ni dans Soulmates, les questions sur l’amour 2.0 que se sont posées brillamment, dans leurs livres respectifs, Judith Duportail (L’Amour sous algorithme) et l’acteur Aziz Ansari (Modern Romance) à propos des applications type Tinder et des nouveaux modes de shopping relationnel (1).

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Préférant se centrer sur un thriller où l’égotisme, l’insécurité psychique et la solitude urbaine s’unissent pour faire advenir le pire et empêcher sa résolution, The One ne s’attarde pas trop sur les questions éthiques que pose sa formule algorithmique ni sur son impact sociétal. Tout juste la plus véhémente protestation émane-t-elle du gouvernement, tétanisé à l’idée de voir la courbe des divorces monter en flèche et s’écrouler l’institution du mariage, pilier inamovible d’une société raisonnable. La sainte folie du couple n’est remise en question ici que par les excès des cas particuliers, métabolisés dans les arches secondaires. Ainsi, l’agent Saunders n’est pas épargnée par le pouvoir d’attraction qu’exerce cette promesse d’amour absolu: elle a trouvé son « match » en la personne d’une jeune Barcelonaise prête à faire le voyage à Londres pour la rencontrer. Et, au passage, ouvrir une intrigue parallèle faite de mystères, de mensonges, de révélations et de réparations qui vont empêcher Saunders de mener à bien son enquête. En revanche, les mésaventures du couple trognon composé de Mark (Eric Kofi-Abrefa) et Hannah (Lois Chimimba) amorce une intéressante observation in vitro des ravages de l’insécurité, de la dépendance affective et de la jalousie dans une relation, et de leurs destructeurs effets d’induction. Tous ces personnages auront leur place dans la partition de ce drame choral qui, in fine, pérennise une vision datée du couple (essentiellement hétérosexuel), son modèle sentimental monolithique et ses illusions de bonheur éternel et intangible.

(1) Judith Duportail, L’Amour sous algorithme, éditions Goutte d’Or, 2019. Aziz Ansari & Eric Klinenberg, Modern Romance: An Investigation, Penguin Press, 2015.

The One, une série créée par Howard Overman. Avec Hannah Ware, Zoë Tapper, Dimitri Leonidas. Disponible sur Netflix. ***

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