Festivals belges: la chasse aux subsides

Les festivals étouffent par manque de subsides. © REUTERS
Sophie Deprez Stagiaire

Depuis la crise économique de 2008 et les politiques d’austérité qui l’ont suivie à la trace, les entités fédérées et les autorités locales se serrent la ceinture d’un cran de trop. Les festivals étouffent. On fait le point.

En France, c’est l’hécatombe. Cette année, une centaine de festivals ont été supprimés ou annulés à cause de coupes budgétaires pratiquées par les collectivités locales ou régionales, mises sous pression par l’Etat, quand il a fermé le robinet de sa dotation.

Le journal français Le Parisien a même fait de cette mort culturelle une carte interactive pour situer visuellement les 143 fermetures ou suppressions de festivals ou structures dans le domaine de la musique, du théâtre, de la danse, des arts plastiques, des arts de la rue, de la littérature ou dans d’autres domaines.

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La Belgique n’est pas épargnée par la mort lente de cette espèce festive en voie de disparition.

Gil Mortio, producteur et musicien.
Gil Mortio, producteur et musicien.© DR/montage Focus

À qui la faute? Gil Mortio, producteur et musicien, attribuait dans nos colonnes en décembre dernier la déconsidération de la musique commercialement faible aux élus peu soucieux de maintenir le lien communautaire existant en Belgique. « En retirant son soutien à un pan entier de la production culturelle, la Fédération Wallonie-Bruxelles asphyxie un secteur économique pourtant porteur de nombreux emplois et elle empêche la construction d’une identité culturelle au-delà des Arno ou Stromae. Etrange calcul au moment où la « nation belge » est tellement fragilisée. (…) Par ailleurs, on a les politiciens que l’on mérite, votez pour des imbéciles haineux ou des gens sans vision d’avenir et vous descendrez encore d’un cran dans la fange. Tous coupables! »

L'écrivain, chroniqueur et humoriste Thomas Gunzig.
L’écrivain, chroniqueur et humoriste Thomas Gunzig.© BELGA

Tout commence comme dans n’importe quel documentaire animalier. En haut de la chaine alimentaire, l’Etat Fédéral n’a plus rien à se mettre sous la dent. Il établit alors un budget pour l’année à venir et demande aux Régions et aux Communautés de prendre leur part d’effort budgétaire. Les Régions à leur tour demandent aux Communes et Provinces de faire la diète et puisque « effort budgétaire » veut en réalité dire « lissages dans les investissements, subsides revus à la baisse et aides rognées », la culture (en première ligne) se fait manger toute crue, comme le résumait l’écrivain, chroniqueur et humoriste Thomas Gunzig en janvier dernier dans une carte blanche dédiée aux principaux concernés par des diminutions d’aides à la culture. « Les acteurs culturels, eux, sont clairement en danger: dès qu’il y a des économies à faire, on va directement vers la culture, qui apparaît comme un luxe superflu en temps de crise. Il y a quantité de petites compagnies pour qui ça va devenir quasiment impossible de s’y consacrer de manière paisible. »

Un rien et deux « tu l’auras »

Le Belgian Music Festivals recense les nouveautés et les affiches des festivals belges. Bertrand Viellevoye, cofondateur du site, insiste sur l’aspect « politisé » de l’octroi d’aides financières. « Un festival dépend énormément des subsides, liés aux hommes et femmes politiques en place, à la proximité ou non des élections, à la couleur politique du bourgmestre de la ville dans laquelle est organisée le festival etc. Au final, on ne saura vraiment les dommages des coupes budgétaires que l’année après les élections, car les « promesses » de subsides peuvent durer longtemps. »

Parmi les festivals disparus ou annulés pour des raisons politiques, il cite le Tempo Festival, anciennement à Tournai, qui a décidé en 2013 de déménager à Mouscron quand la nouvelle majorité politique de la commune a proposé un appel d’offres à d’autres organisateurs de festivals, ce qui avait grandement vexé le Tempo Festival.

Rock The City annulé en 2009.
Rock The City annulé en 2009.© cc

La liste est taillable et déroulable à merci. Le Rock the City a été annulé en 2009 à cause de l’impossibilité de trouver un lieu l’accueillant dans les délais, suite à son expulsion du parc de la Woluwe. Namur en Mai a été (temporairement) annulé cette année après une édition 2014 qui a amené le « festival des arts furieux » en cessation de paiement. La ville de Namur, qui s’était portée garante d’un prêt bancaire pour le compte de l’asbl, déjà en difficulté financière, avait perdu 200.000 euros dans l’affaire. Cette année, touchée par les vives protestations des habitués du festival, la ville a alloué un subside de 55.000 euros euros pour l’organisation du nouveau Namur en mai. Les voiles du festival se sont gonflées à nouveau, alors qu’au cabinet de l’échevine de la culture de Namur souffle une légère brise de conflit d’intérêt, puisque le dossier a été préparé et traité par l’ancienne présidente de l’asbl namuroise l’Isolat, qui gérera le budget de l’organisation du festival et dont le compagnon est le trésorier de l’Isolat.

Aide logistique plutôt que budgétaire

La pluie peut ruiner l'édition d'un festival.
La pluie peut ruiner l’édition d’un festival.© Pierroleblog

Plutôt qu’une aide budgétaire, les communes apportent davantage aux festivals une aide logistique: elles prêtent volontiers du personnel d’encadrement, du matériel et des infrastructures. Mais il arrive aussi (moins souvent) qu’elles mettent la main au portefeuille pour les festivités organisées sur leur sol. Même si les subsides communaux sont rares, ils sont parfois nécessaires sous peine de raz-de-marée festivalier, comme en 2013, quand le collège communal de Hotton n’avait pas accédé à une demande de subsides communaux de l’ordre de 40.000 euros pour que LaSemo prenne racine dans sa commune après une édition 2012 déficitaire. Hotton n’avait encore jamais fourni d’aide financière à LaSemo, mais cette année-là, le festival en avait grandement besoin. « Nous avons d’autres investissements à concrétiser pour nos concitoyens et nous y mettons toute notre énergie. » Concluait le document officiel publié sur Facebook (!) par l’Entente Communale de Hotton en février 2013 avec l’accord du collège et du bourgmestre de Hotton. Résultat des courses, LaSemo a déménagé à Enghien. Même topo pour l’édition 2014 du Jazz Comblain Festival où, malgré une belle affiche, le festival avait connu un gros déficit, notamment en raison de la pluie et… d’un match de coupe du monde impliquant la Belgique. Pour éponger les dettes, la commune de Hamoir avait dû sortir 25.000 euros de sa poche. Cette année, le festival de jazz se déroulera les 4 et 5 juillet (deux jours de programmation au lieu de trois l’année précédente) mais sans aide financière de la commune, mis à part l’engagement d’un chargé de comm’ pour l’événement. L’organisation n’a pourtant pas vraiment dû revoir son envergure à la baisse. Le système D a payé; les subsides sont finalement venus d’ici et d’ailleurs. La Province de Liège, la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région Wallone… même l’ambassade des États-Unis a mis la main au portefeuille.

À ces festivals privés de la cerise sur le gâteau des subsides s’ajoute Vibrations. Le célèbre festival malmédien annuel devait normalement se tenir le week-end du 21 juin mais a été annulé faute de subsides communaux et de sponsors. Pour revenir en force l’année prochaine.

Pauvres provinces!

Esperanzah!2010, avant le lancement du festival.
Esperanzah!2010, avant le lancement du festival.© Christophe Losberger

Les provinces aussi ont droit à leur portefeuille culturel qu’elles ouvrent volontiers. Pratiquement tout le monde est susceptible d’obtenir sa petite pièce et le montant alloué tient compte de l’importance de la manifestation, de son caractère unique ou récurrent, des besoins spécifiques de l’organisateur et des moyens déjà disponibles. En 2011, la Province de Namur avait subsidié douze festivals (dont le Verdur Rock de Namur, le Dinant Jazz nights – disparu depuis 2014 à cause de la faillite de la société organisatrice Covadis -, Esperanzah,…) pour un montant total de 50.000 euros en plus d’aides techniques ou logistiques, des supports promotionnels, des appuis via le service audio-visuel et des mises à disposition de locaux. La province avait même demandé un peu de reconnaissance publique de leur gratitude aux organisateurs de ces festivals en les conviant à l’exprimer lors d’une conférence de presse commune.

L’aide provinciale est généreuse autant qu’elle est faible. Pourtant, elle est significative, comme dans le cas de la marche Septennale de Fosses de 2011, où son soutien avait été la condition sine qua non à la mise sur pied de ce festival folklorique organisé tous les sept ans.

Communauté quand tu nous tiens

Ce sont principalement les communautés du Royaume qui ont pouvoir de vie ou de mort sur les festivals.

Clap dernière pour le 10 Days Off.
Clap dernière pour le 10 Days Off.© 10 Days Off

Le Festival Théâtre au vert de Thoricourt (dans l’entité hainuyère de Silly) sera à jamais reconnaissant envers la Fédération Wallonie-Bruxelles de lui avoir accordé la grâce d’une subvention vitale de quatre ans. Stupeur et tremblements provoqués par cette épée de Damoclès qui, depuis 2013, menaçait les subsides de non reconduction. Soulagement lorsque la Ministre de la Culture Joëlle Milquet a consenti à renouveler l’accord liant la Fédération Wallonie-Bruxelles au festival Théâtre au vert. D’abord supprimée en 2012, le ministère de la Culture avait octroyé en 2014 à l’asbl organisatrice la même subvention qu’en 2013, soit 31.000 euros. La 14e édition de l’événement culturel aura donc lieu du vendredi 20 au dimanche 23 août 2015.

La Communauté flamande a regardé les 10 Days Off danser leur dernière valse en 2014, suite à une longue agonie. En 2009 déjà, la réduction des subsides par la communauté flamande et la baisse du sponsoring culturel avaient poussé le festival à se recentrer sur la salle principale du Vooruit de Gand. Puis la suppression pure et dure des subsides en 2012 avait poussé le programmateur du festival Philip De Liser à nous prédire la fin du festival électro. « Ces 3 dernières années, on pouvait compter sur des subsides structurels. De la part de la Communauté flamande, cela représentait quelque 345.000 euros par an sur un budget total d’1,5 million. Cet argent, on ne l’aura plus. Ce qui risque de rendre la situation invivable. » Il avait vu juste.

Le Grand Manitou Fédéral n’y est pour (presque) rien

Les festivals meurent à petit feu.
Les festivals meurent à petit feu.© BELGA

Les subsides dont nous parlons ne viennent pas du Fédéral, qui, lui, est seul responsable direct de l’asphyxie de « ses » établissements fédéraux (La Monnaie, l’Orchestre National de Belgique, le Bozar) qui essuient des baisses de subsides de 15 à 30% depuis l’entrée en fonction du gouvernement Michel en octobre 2014.

Certains festivals étaient déjà morts bien avant l’accession au trône de ce gouvernement, quand les entités fédérées ont revu leurs priorités. « Quand on entend ce qu’un Mons 2015 peut pomper comme subsides, on imagine bien que l’argent qui va là ne va pas ailleurs », résume Bertrand Viellevoye, de Belgian Music Festivals. Des 70,5 millions d’euros de budget alloués à Mons 2015, 43% viennent de subventions accordées par la Fédération Wallonie-Bruxelles (de l’ordre de 30 millions d’euros), 21% sont des ressources venues de la Région wallonne, celles de la Loterie nationale s’élèvent à 10%, celles de la province de Hainaut à 6%, celles de la Ville de Mons à 4%. Et comme la solidarité n’a pas de prix, la Communauté flamande subventionne pour sa part l’événement montois à hauteur de 250.000 euros.

Pour plusieurs raisons, les festivals belges ont du mal à tenir le cap. Les politiques budgétaires sont un des maillons faibles. Le cachet exponentiel des artistes, la concurrence, les sponsors infidèles et même la météo et les vols low cost feront, eux, le buzz de trop d’un jeu qui ne fait pas rire les festivals.

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