Big Thief: « La musique n’est pas plus ou moins importante que notre amitié »

Ensemble plus que jamais. © Alexa Viscius
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Infatigable, Big Thief embrasse ses différences facettes sur un disque indie-folk aussi touffu qu’inspiré. Toutes les couleurs et nuances de l’un des meilleurs groupes américains actuels… Entretien.

L’annonce fut moins surprenante qu’inattendue. En juin 2020, Big Thief publiait un long message sur son compte Instagram. Un peu plus d’un mois après le décès de George Floyd, le groupe rejoignait le mouvement Black Lives Matter. « Dans le passé, nous avons pu hésiter à utiliser cette plateforme pour nous engager activement -de peur que cela passe pour de l’autopromo. Nous avons besoin d’abaisser cette barrière. » Avant d’ajouter plus loin: « Nous avons pleinement conscience que la grande majorité de notre public est blanche. Et c’est à lui que nous voulons parler. » Un an et demi plus tard, Adrianne Lenker (voix, guitare), Buck Meek (guitare), Max Oleartchik (basse) et James Krivchenia (batterie) ne tergiversent plus. De l’autre côté du Zoom, Meek explique: « C’est vrai que pendant longtemps, on a évité de lancer des discussions qui pouvaient éventuellement diviser. Mais pour le coup, la cause nous semblait tellement importante. Au moment des événements, Adrianne était à Minneapolis (là où Floyd fut tué par la police, NDLR). Elle était très proche du mouvement. À un moment, il est devenu évident que nous devions utiliser nos réseaux pour nous exprimer sur le sujet. »

C’est sûr, l’ère Trump aura laissé des traces. Que reste-t-il de notre attirance pour l’Amérique, dont l’imaginaire des grands espaces a tant fait fantasmer? À cette question, la musique de Big Thief a réussi à amener son lot de consolation. Rares sont en effet les groupes qui sont parvenus ces dernières années à réenchanter ce qu’on a pu appeler l’americana. Chez Big Thief, folk, country et indie rock se retrouvent dans une sorte de petit théâtre gothique à haute teneur émotionnelle. Une musique sensible et brute, qui doit beaucoup à la personnalité d’Adrianne Lenker, sa chanteuse et principale compositrice. Buck Meek: « L’une des choses que j’admire le plus chez Adrianne, c’est sa manière d’écrire: quand elle démarre une chanson, elle ne la lâche pas tant qu’elle n’est pas terminée. Elle peut se lancer à minuit, et s’acharner jusqu’à l’aube. Et quand même jeter le morceau plus tard, si elle ne le trouve pas assez bon… »

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Big Thief se forme précisément avec la rencontre d’Adrianne Lenker et Buck Meek. Les deux se croisent à Boston, avant de se retrouver à Brooklyn. « On jouait dans la rue, essentiellement des morceaux country: Townes Van Zandt, John Prine, etc. J’ai grandi au Texas et c’est la musique que j’ai toujours pratiquée -dans les bars, les ice houses (sorte de guinguettes locales, NDLR) ou les festivals folk. L’année de notre rencontre, j’ai emmené Adrianne au festival de Kerrville. Elle s’est tout de suite retrouvée dans cette écriture old school. Cette culture country-folk roots constitue une bonne partie de notre histoire ensemble. »

Lenker et Meek finiront par se marier, avant de divorcer quelques années plus tard. Une séparation douloureuse, mais qui ne les a pas empêchés de continuer leur route musicale ensemble au sein de Big Thief. À force de tournées incessantes, le groupe semble être devenu en effet une sorte d’entité sacrée. Un collectif intouchable, dont personne ne se contente -ces deux dernières années, Lenker a sorti deux albums solo, Meek un, Krivchenia un autre-, mais ne peut davantage se passer. « Vous consacrez déjà tellement de temps dans la vie à régler les différends qui surviennent immanquablement dans les relations humaines… Alors quand vous tombez sur des personnes qui vous permettent de dépasser ça, vous n’avez pas envie de vous en défaire. Il y a dans le groupe un sentiment de sécurité, l’impression de former une famille. Ça permet à chacun de se montrer tel qu’il est, mais aussi de se perdre dans la musique des autres. »

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Voleur de grands chemins

Cet attelage unique, ses quatre membres ont voulu le sublimer avec le nouveau Dragon New Warm Mountain I Believe in You. Un album copieux, d’une vingtaine de titres, conçu pour refléter les différentes obsessions musicales du groupe. « En fait, on a enregistré quelque 45 titres que l’on pensait publier sur cinq disques différents. Mais ça faisait quand même beaucoup de musique à absorber et ça aurait fini par brouiller le message. »

Dès le départ, le groupe a programmé quatre sessions d’enregistrements dans quatre studios différents. « L’idée était de sortir chaque fois de notre zone de confort. L’enregistrement d’un disque est un processus fragile. En restant tout le temps au même endroit, vous pouvez facilement tourner en rond. On a voulu multiplier les astuces pour ne pas tomber là-dedans. » Big Thief se rend d’abord dans les montagnes Catskills, au nord de New York, chez Sam Evian. « Un pote de toujours. On cuisinait ensemble, on allait nager dans la crique pas loin. C’est là qu’on a gravé les morceaux les plus intimes, les plus honnêtes. » La session suivante se déroulera en Californie, au Topanga Canyon, décor des chansons les plus sauvages, psychédéliques. Avant d’enchaîner avec les Rockies du Colorado -« au milieu des nuages, à 3.000 mètres d’altitude, pour capter les titres les plus mystiques« -, et de terminer à Tucson, Arizona, au bord du parc national de Saguaro, afin de retrouver le feeling country. « Scott McMicken (Dr Dog) y a son home studio. On était tous rassemblés dans cette unique petite pièce, avec le train qui passait pas loin, toutes les 30 minutes. Le matin, on pouvait sentir l’odeur de la rosée sur les cactus. » Un vrai décor de western.

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De cette hyperactivité résulte l’album le plus touffu de Big Thief. Décousu au point d’y mêler country tongue-in-cheek (Spud Infinity), ruminations quasi new wave (Blurred View), confessions folk décharnées (Promise Is a Pendulum) et cavalcades électriques (Little Things). Forcément, ça vous fait un disque un peu hirsute, bizarrement fagoté. Mais aussi terriblement attachant, célébrant la magie qui peut naître d’un collectif d’âmes soeurs. « La musique n’est pas plus ou moins importante que notre amitié. En réalité, c’est la même chose. On ne peut pas les séparer. Dès que vous le faites, vous êtes foutu. »

Big Thief, Dragon New Warm Mountain I Believe In You, distribué par 4AD. ****

En concert le 28/06 au Cirque Royal, Bruxelles.

Big Thief fait évidemment son entrée dans notre playlist Radio Focus, en compagnie des 11 autres artistes chroniqués cette semaine.

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