L’être-noir au cinéma

35 Rhums, de Claire Denis, un film "révolutionnaire", car la "négritude de ses acteurs n'est jamais la question".
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Des race pictures aux oeuvres d’avant-garde, un essai collectif envisage le cinéma noir dans une perspective historique et analytique.

À l’origine de Black Light, pour une histoire du cinéma noir, l’ouvrage collectif publié par les éditions Capricci, il y a la rétrospective organisée en 2019 par le festival de Locarno, et confiée à l’écrivain et programmateur indépendant Greg de Cuir Jr. Un curateur qui explique dans l’avant-propos avoir envisagé ce panorama sous un angle diasporique, pour s’intéresser exclusivement aux films produits hors du continent africain, mais avoir aussi voulu ouvrir la définition et la conception dominante du « cinéma noir », en refusant de le « limiter à l’idée basique d’un corps noir derrière ou devant la caméra. Le cinéma noir doit être discuté en termes d’esthétique, de politique et d’éthique. » Son cadre théorique ainsi posé, cet essai s’articule autour de deux axes majeurs, une approche historique et son pendant analytique, que complètent des observations sur différents films constituant autant de jalons importants. Un échantillon signifiant débordant du seul cadre américain pour s’étendre du fondateur Within Our Gates, conçu par le pionnier Oscar Micheaux comme « une réponse formelle et idéologique aux stéréotypes raciaux véhiculés par Naissance d’une nation », au 35 rhums de Claire Denis, dont Alice Diop confie combien il fit office pour elle de révélateur, avec son histoire « révolutionnaire, car elle est portée par des acteurs noirs dont la négritude ne sera jamais l’objet, jamais la question. Cela, en France, je ne l’avais jamais vu« , avec encore des arrêts sur Orfeu Negro de Marcel Camus, ou Une saison blanche et sèche d’Euzhan Palcy.

Une saison blanche et sèche, d'Euzhan Palcy
Une saison blanche et sèche, d’Euzhan Palcy

Si la matière est passionnante, c’est aussi parce qu’elle s’écarte résolument des productions « mainstream », pour s’ériger en histoire parallèle arpentant un territoire trop souvent méconnu. Le panorama historique courant du début du XXe siècle au début des années 70 que dresse Adrienne Boutang est ainsi révélateur d’un cinéma puisant sa source « dans un rapport d’opposition fondamentale à l’industrie hollywoodienne » et s’étant épanoui dans la marge. L’autrice se focalise sur trois mouvements principaux, les race pictures des premiers temps, le courant de la « L.A. Rebellion » et sa révolution stylistique portée par Charles Burnett ou Hailé Gerima à compter des années 60, et les films de « blaxploitation » apparus avec d’ailleurs leur part d’ambivalence dans la décennie suivante, questionnant notamment les stratégies de représentation(s) mises à l’oeuvre par les uns et les autres. Un champ de réflexion que Michael Boyce Gillespie élargit pour sa part aux productions contemporaines (de Moonlight, de Barry Jenkins, aux oeuvres expérimentales de la New Negress Film Society, collectif de réalisatrices noires s’employant à briser les barrières du cinéma sur le plan politique et artistique), en quête de « possibilités de penser plus loin l’être-noir au cinéma« . Vaste programme que cet ouvrage éclaire d’une Black Light stimulante.

Black Light, pour une histoire du cinéma noir, ouvrage collectif, éditions Capricci, 176 pages. ***(*)

L'être-noir au cinéma
Sweet Sweetback's Baadasssss Song, de Melvin Van Peebles
Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, de Melvin Van Peebles
Killer of Sheep, de Charles Burnett
Killer of Sheep, de Charles Burnett

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