Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Loin de la Guadeloupe – Claire Denis filme avec chaleur et complicité quelques trajectoires intimes, dans une banlieue parisienne où se sont établis de nombreux Guadeloupéens. évidence, émotion.

De Claire Denis. Avec Alex Descas, Mati Diop, Nicole Dogue. 1 h 40. Sortie: 3/06.

Des rails à n’en plus finir, et le crépuscule qui vient. Des trains qui filent vers le soleil couchant, vers une banlieue incertaine de ce Paris qui s’éloigne, à mesure que le jour s’éteint. Au bout de la ligne, dans un de ces grands ensembles où vivent tant de familles immigrées, habitent un père et sa fille. Il conduit des locomotives, elle fait des études supérieures. Lui c’est Lionel, elle c’est Jo (pour Joséphine). Il est noir et guadeloupéen, elle métisse car sa mère – décédée – était allemande et blanche. Nous les voyons l’un et l’autre rejoindre séparément l’appartement sans chaleur, mais où l’affection qu’ils se portent crée comme un doux cocon. Images de gestes simples, quotidiens, banals et si précieux pourtant. Claire Denis nous emmène ainsi dans son nouveau film, un 35 rhums intimiste et tendre, aux belles résonances humaines et à la très pure clarté.

Poésie des petits riens La réalisatrice de Chocolat, de S’en fout la mort et de J’ai pas sommeil n’a sans doute jamais aussi bien épuré sa démarche, réduite à l’essentiel d’un regard solidaire, chaleureux mais dépourvu de pathos, d’une infinie douceur face aux rugosités de la vie et à la mort qui frappe, parfois là où on l’attend le moins. La cinéaste française retrouve son interprète fétiche Alex Descas et sa formidable – même si discrète – présence. C’est lui qui joue Lionel, père dévoué, ami fidèle, collègue de travail aimable, veuf que le souvenir de son grand amour empêche d’accueillir les élans qui portent vers lui une voisine chauffeuse de taxi. Face à lui, lumineuse, Mati Diop campe Joséphine avec un art de la nuance qu’approche aussi le plus extraverti Grégoire Colin, voisin solitaire et seul Blanc à évoluer dans le petit milieu où nous plonge le film.

Ce dernier sera tissé de peu de choses. Un départ à la retraite, un taxi qui tombe en panne, une faculté en grève, un bar fermé qui rouvre ses portes pour une danse et un bref baiser, et puis l’énigme de ces 35 rhums que Lionel pourrait bien boire avant la fin du récit… Presque rien, et pourtant aucun ennui, aucune impatience. Même si l’excursion en Allemagne vers le souvenir de la mère disparue, l’apparition maladroite d’Ingrid Caven, ne convainquent guère, et qu’on est heureux de revenir ensuite dans cette banlieue de Paris, même sous la pluie, même dans la grisaille, si loin des îles où le soleil luit sur les peaux d’ébène. Ces peaux, Claire Denis les filme avec sa sensualité coutumière, d’une caméra caressante, attentive au geste d’un bras qui s’abandonne, à la douceur d’une nuque offerte, à la dureté d’un visage qui soudain se ferme sur de trop lourds regrets. A la limite d’une approche documentaire, libérée de toute exigence narrative, la réalisatrice nous propose, à pas feutrés, une des expériences cinématographiques les plus justes et les plus troublantes qu’il nous ait été donné de voir ces derniers mois. l

Louis Danvers

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