Orphée revisité – Marcel Camus transpose le mythe dans une favela brésilienne, alors que Jean Cocteau en tire un fascinant poème fantastique pour l’éternité.

(1) De Marcel Camus. Avec Breno Mello, Marpessa Dawn, Lourdes de Oliveira. 1 h 45. 1959. Twin Pics. – (2) De Jean Cocteau. Avec Jean Marais, Maria Casarès, François Périer. 1 h 30. 1950. Twin Pics. – (3) De Jean Delannoy. Avec Jean Marais, Madeleine Sologne, Jean Murat. 1 h 55. 1943. Twin Pics.

Hasard du calendrier: les deux versions cinématographiques les plus fameuses du mythe d’Orphée sont l’objet, quasi simultanément, d’une fort belle édition DVD. L’occasion d’apprécier ces deux lectures de la légende qui, pour avoir été réalisées l’une et l’autre dans les années 50, n’en diffèrent pas moins radicalement dans leur approche.

Avec Orfeu Negro, Marcel Camus faisait £uvre aussi exotique qu’originale, une démarche couronnée de la Palme d’or à Cannes en 1959, même si la critique tiendra longtemps le film dans un mépris sévère. Transposant le mythe grec dans une favela de Rio à la veille du carnaval, Camus fait d’Orphée un conducteur de tram doublé d’un danseur et chanteur émérite. Le jeune homme insouciant rencontre bientôt Eurydice, jeune fille de la campagne venue à la ville retrouver sa cousine et tenter d’échapper à la mort rôdant dans son sillage. Débute alors une ronde endiablée, adoptant le rythme de la salsa et épousant les contours exubérants de la folle sarabande carnavalesque, non sans glisser insensiblement vers la tragédie.

Si l’on a pu reprocher à Camus une vision quelque peu caricaturale du Brésil, vu sous l’angle quasi exclusif d’un folklore idéalisé, Orfeu Negro n’en brûle pas moins d’une profonde intensité, combinant encore sensualité et frénésie rythmique. Une réussite, par-delà les clichés, que des compléments passionnants recadrent dans une perspective musicale et brésilienne.

Cocteau ou l’éternel retour

Quelques années plus tôt, en 1950, Jean Cocteau avait réalisé une première transposition moderne du mythe, dans un cadre imaginaire celle-ci. Incarné par Jean Marais, Orphée, le poète éternel, est amené par un étrange concours de circonstances à traverser le miroir, sur les pas d’une énigmatique princesse (Maria Casarès). S’ensuit un étonnant ballet entre les deux mondes que sépare la Zone, pour un film reprenant, de l’amour à la mort et l’immortalité, les thèmes chers à l’auteur, et s’inscrivant dans la continuité de son £uvre (Cocteau ne laissera d’ailleurs à personne d’autre le soin d’interpréter le poète dans son Testament d’Orphée). Conte fantastique, certes d’un autre temps quoique intemporel, Orphée fond joliment réalité et imaginaire, et s’appuie à cet effet sur force trucages magiques. Marc Caro et Claude Pinoteau, qui fut l’assistant de Cocteau sur le film, les détaillent parmi les nombreux compléments de cette édition, parue dans une collection vouée à Jean Marais. Ce qui nous vaut par ailleurs de redécouvrir L’éternel retour, film culte de Jean Delannoy, adapté en 1943 par ce même Cocteau de Tristan et Yseult, afin de lancer la carrière cinématographique de son protégé. Marais y excelle, de même d’ailleurs que sa partenaire à l’écran, Madeleine Sologne, avec qui il forme un couple emblématique. Le film vibre d’une troublante intensité en même temps que d’un romantisme exacerbé, culminant dans son final venu conférer à son couple d’amants une aura mythique. L’éternel retour devait connaître un succès considérable, imposant, pour l’anecdote, le pull-over et les blonds cheveux au vent dans la France d’alors. Soixante-cinq ans plus tard, son charme envoûtant opère toujours, et vient rappeler que Delannoy valait mieux que les gémonies auxquelles le voua la Nouvelle Vague.

Jean-François Pluijgers

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