Nicolas Michaux: Amour, colère et beauté

"Les gens en ont marre du papier glacé. De ce qui sent le coup marketing à plein nez. Certains se rendent compte quand on leur vend le truc surgelé et plein de bobards." © MAYLI STERKENDRIES
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

En anglais et en français dans le texte, Nicolas Michaux signe avec Amour colère un grand album pop. Il y réfléchit aux choses fondamentales de la vie et à la difficulté de trouver sa place dans un monde qui ne tourne définitivement pas rond. Rencontre.

Veste de costard, lunettes noires. Nicolas Michaux, même masqué, est facilement repérable en ce début d’après-midi d’août dans le parc de Forest. La guinguette est fermée. Un banc ombragé fera l’affaire. Le Liégeois d’origine habite dans le quartier. Du moins quand il n’est pas au Danemark. Michaux et sa petite famille se sont installés il y a quelques années sur l’île de Samsø. Connue pour ses pommes de terre et ses fraises, elle est surtout autosuffisante en électricité renouvelable (hors transports) et abrite le plus grand labyrinthe du monde. Un décor à rendre jaloux Jack Nicholson… La compagne de Nicolas est directrice du musée d’ethnologie local qui raconte l’île, sa vie agricole et son passé.

« Samsø est un très bel endroit du monde mais pas non plus un havre de beauté et de pureté idyllique. Tu as beaucoup d’agriculture industrielle, des grands champs dans lesquels les mecs tapent du glyphosate. 3.000 personnes y vivent à l’année mais plein de gens s’y pressent en juillet et en août. On a des plages tout du long. C’est un accès à la mer pour beaucoup d’Allemands sans être Ibiza pour autant… Tout n’est pas rose mais c’est un chouette coin. Tu es dans quelque chose de rural. On cherchait le dépaysement, le recul, la prise de distance. Et ça, on l’a trouvé. Surtout les mois d’hiver. C’est une expérience assez rude. Je l’ai plutôt bien vécue quand je bossais sur le disque. Mais en novembre et décembre derniers, c’était autre chose. Il fait noir vers 15 heures. Ça se lève timidement à 9 heures-9 heures 30. Au début, ça a un certain charme mais l’an passé, ça m’a débordé. »

Michaux, sa compagne et leur fille vivent sur une centaine de mètres carrés dans une ancienne ferme au milieu des agriculteurs et de quelques rares newcomers, des néo-ruraux. La grange est inhabitable et délabrée. Il s’est aménagé son petit studio dans le salon. « C’est une recherche en fait. Une recherche de ce qu’on aime vraiment dans la vie. De ce qu’un environnement auquel on n’est pas habitués nous apporte et nous enlève. Qu’est ce qui nous manque vraiment? On ne va pas faire notre vie à Samsø mais ma fille a quatre ans et ça en fait trois qu’elle est dans un jardin plutôt que sur une terrasse. Je verrai de toutes façons toujours ce disque comme le souvenir d’un moment très spécial. »

Nicolas Michaux: Amour, colère et beauté
© MAYLI STERKENDRIES

Convaincant de bout en bout, épatant dans ses mélodies et son songwriting ciselé, Amour colère est le successeur d’À la vie à la mort, premier album solo sorti en 2016. À la vie à la mort était né sans que Michaux ait pris conscience de travailler sur un disque. Il avait au fil des années écrit des chansons, travaillé en studio, multiplié des expériences avec un tas de musiciens. « C’était presque une compilation. J’avais trouvé son titre juste avant qu’il ne parte au pressage. Cette fois, j’ai voulu commencer par là. Je me suis cherché une direction dès le début. J’ai voulu aller droit au but. J’ai su très vite que ça allait être un disque avec deux pôles. Un disque qui comme moi et comme le monde allait être tiraillé. Je me suis demandé ce que l’amour et la colère avaient à se dire en ce moment. Ce sont des émotions qui nous travaillent presque à chaque instant. »

Une critique qu’on peut adresser à Nicolas Michaux et qui lui est d’ailleurs parfois faite, c’est d’être un peu touche-à-tout. « Je suis le contraire de l’artiste conceptuel. J’observe ce qui se passe et j’essaie d’en faire un truc. Plutôt dans une démarche documentaire. J’ai toujours aimé les artistes comme Neil Young, Lou Reed, qui ont ces différents visages. Ils peuvent te balancer un solo grunge de huit minutes avec des larsens et en même temps enregistrer des ballades incroyablement poignantes au piano. Si j’avais dû choisir une facette de moi, j’aurais eu l’impression de me mentir. J’essaie de donner une vision complète du tableau. »

Entre ESG, les Dury, Belin et Connan Mockasin…

Musicalement aussi, Michaux se dévoile dans toute sa diversité avec Amour colère. Ses dix nouveaux morceaux laissent entendre l’amoureux de la chanson française, le fan des grands songwriters américains, l’amateur de brit rock et son goût pour l’indie délavée… Il y chante, décomplexé, en anglais et en français. « Je lutte un peu contre les fausses contradictions, les faux problèmes, les fausses polarités. J’aime jongler avec les deux langues. En Belgique et en France, on les confronte, mais c’est quand même le même sport. Ça reste du songwriting. J’y vais beaucoup à l’intuition. Parce qu’intellectuellement, je n’ai pas encore été au bout de l’analyse de la différence profonde entre ce que les cultures anglaise et française font de la langue dans le cadre de la chanson. Il est clair qu’elle n’a historiquement pas été utilisée de la même façon. »

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Nicolas évoque en Belgique le cas d’Arno, qui a jonglé avec l’anglais, le français et un peu de flamand tout en rencontrant le succès populaire et artistique. « Historiquement, le mélange des langues se fait beaucoup chez les peuples colonisés. Quand tu as des rééditions du Ghana, ils chantent beaucoup dans les langues traditionnelles mais aussi en anglais. Et certains groupes alternent. Ça se fait énormément, tout le temps. Même dans la bossa nova… Et ça a un peu nourri ma réflexion. Culturellement, nous sommes colonisés depuis la Seconde Guerre mondiale par la culture anglo-saxonne. Tu ne peux pas coloniser culturellement les gens et leur dire: « En fait, non, tu ne peux pas chanter en anglais ». Je n’ai pas la maîtrise d’un gars d’Oxford mais je suis légitime quand même. Je me suis libéré grâce à cette réflexion-là. D’un autre côté, je ne veux pas renier ce magnifique patrimoine -même si je n’aime pas trop le mot- que constituent toute la chanson et toute la poésie françaises. » L’artiste sourit. « Parrot en français, ça s’appellerait Perroquet et ça ne marcherait pas du tout. Tandis que pour le clip de Nos retrouvailles, on a essayé de traduire en anglais, de sous-titrer et c’est compliqué… Comme Dylan l’a dit quand il a reçu son prix Nobel: faut pas oublier que mon but à moi, c’est que ça sonne bien. »

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Parrot renvoie à la no wave et rappelle furieusement le tube Dance de ESG. Factory Town évoque le vieux punk new-yorkais de Jonathan Richman, la country et Ian Dury. Il y a aussi de son fils Baxter un peu ici. Du Mac DeMarco et du Connan Mockasin par-là… Une seconde chance titille le fantôme de Bashung. Cancer sonne comme du Bertrand Belin. « Une tumeur agressive. Plus agressive que ça tu meurs. » Nicolas prend des pincettes quand il parle de chanson française. « Je suis contre la chanson française comme repli culturel sur soi-même, comme religion révélée. Je n’ai pas du tout envie qu’on me range dans cette case-là. C’est pas que je n’aime pas mais les choses sont plus complexes que ça. J’aimerais enregistrer un disque de chanson française qui soit dans la continuité ou un hommage aux artistes que j’aime comme Léo Ferré, Barbara et Brassens. Je ne considère pas Ferré moins bon que Leonard Cohen. Par contre, c’est institutionnel. Utilise quelques mots-clés comme « France Inter », « salles de musiques actuelles », « FrancoFans » et tu as un bon petit chanteur de chanson française qui n’est connu qu’en France et en Belgique, parfois un peu au Québec. Avec une musique qui ne s’arme pas suffisamment pour plaire à des gens qui ne comprendraient pas les textes. Et pour moi, la musique qui n’est bonne que si tu comprends ce qui y est dit, c’est déjà un peu un truc de perdu. »

Retour à l’essentiel

Exilé au Danemark, Michaux s’est mis en tête d’enregistrer beaucoup lui-même (basse, clavier, guitare) et de faire assez peu appel au groupe. L’acquisition d’un piano électrique Wurlitzer qu’il a mis du temps à réparer a déclenché l’accouchement. « Le processus d’enregistrement de l’album n’a commencé que quand il a été en état de marche dans mon bureau. Trouver la rencontre entre le fond et la forme, ça peut prendre énormément de temps. Cohen a beaucoup écrit à la guitare et à la feuille de papier mais à partir de Various Positions, il a composé pas mal au Casio avec des petits rythmes tout faits. Je comprends pourquoi. J’ai remarqué que tous les Mac DeMarco, Andy Shauf, Connan Mockasin pouvaient faire leur truc chez eux ou dans une chambre d’hôtel, et je me suis dit que c’était tellement compliqué en ce moment de réunir les énergies. Tellement de forces poussent contre le fait de pouvoir s’enfermer quinze jours dans un studio. Je veux que ça reste le but, mais de temps en temps… »

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Le clip de Parrot, attaque frontale contre la partie conformiste et lâche en chacun de nous, compile des images de militants en tout genre (Gilets jaunes, féministes, écologistes), de dirigeants politiques à la folie destructrice et de policiers qui font des croche-pieds… L’album parle notamment de l’impossibilité de trouver sa place dans un monde devenu fou. « Comme son nom l’indique, il y a une volonté de retour à un certain dépouillement, à une certaine vérité anthropologique. Retour aux choses fondamentales de la vie qui m’ont été amenées par la naissance de ma fille. On fait tous ces trucs à longueur d’années et de journées mais il y a des choses qui nous dépassent. Chacun a des enfants à sa façon. Mais chez moi, ça a réveillé des émotions presque mystiques. Un peu façon The Tree of Life de Terrence Malick. »

Vérité des corps, retour à l’essentiel. Michaux fait du yoga et est branché ayurveda, cette vieille biologie/médecine indienne aux textes védiques. « Tout ce qui est sagesses anciennes m’intéresse. J’ai étudié la philosophie gréco-romaine et j’ai toujours gardé un intérêt pour ces systèmes de pensée. Cette idée que nous sommes faits des mêmes éléments que le monde, c’est une soif légitime pour essayer de retrouver un rapport sain au corps et à la nature en pleine apocalypse. C’est le versant Amour du disque (Harvesters, Every Word, Nos retrouvailles). Après, tout le reste, c’est la réalité d’ici et maintenant. De l’impossibilité de trouver sa place. Cohen chantait: « There is no decent place to stand in a massacre ». On en est tous là. Qu’est-ce qu’on doit faire? Comment on peut être utile? Est-ce qu’on peut imaginer autre chose que se faire du mal à soi-même? »

Nicolas Michaux, Amour colère, distribué par Capitane Records. ****(*)

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Ô Capitane, mon Capitane…

Nicolas Michaux: Amour, colère et beauté

Passionné par le folk, la country music et le blues du Delta, Nicolas Michaux a produit le nouvel album de Turner Cody. Il bosse même avec Benjamin d’Aoust, l’un des scénaristes de La Trêve, sur un documentaire à son sujet. Ce disque d’indie country enregistré par un mec qui la journée livre des pizzas sortira l’an prochain sur le label et collectif de production Capitane Records. Encore toute fraîche, la structure montée par Nicolas et ses amis n’a pour l’instant défendu qu’Under The Reefs Orchestra, le groupe instrumental de son pote et acolyte Clément Nourry, lui aussi cheville ouvrière du projet. « Je fais ça à la base parce qu’il le faut bien, commence Nicolas. L’expérience avec le label Tôt ou tard n’avait pas été pérenne pour moi. Je ne vais pas bitcher. Ce sont des gens très bien. Il n’y a eu aucun stress. Mais je suis trop touche-à-tout. Un peu cinéma d’auteur. Le mec présent du scénario jusqu’au montage. C’est ma réalité. Donc, me retrouver dans une machine comme celle-là avec le label, le mode de production, une directrice artistique, je n’en avais pas vraiment besoin. »

Nicolas a donc mis les mains dans le cambouis. Lassé aussi que des gens dans le milieu décident de ce qui a un potentiel commercial et de ce qui n’en a pas. « On s’est demandé si on allait encore faire tout ça séparément et passer six mois à frapper à des portes closes qui finissent par s’ouvrir sur des gens et des considérations qui ne nous conviennent pas totalement. Cette conception de l’artiste en marge de la société, un peu spécial, qui a besoin de gens qui savent comment ça fonctionne, ça ne me correspond pas. Je suis plus politique que ça. Et plus intéressé par comment les choses marchent vraiment et comment on peut les changer ne serait-ce qu’un peu pour le mieux. »

Capitane est pensé comme un projet collectif où chacun peut laisser libre cours à ses désirs. « Si Clément m’appelle demain en me disant qu’il veut enregistrer un disque solo avec une harpiste japonaise, on peut le faire. Avant, ça aurait terminé sur un Bandcamp et ça aurait été écouté cinq fois. Ici, ce sera peut-être 500. Si on ne s’auto-organise pas, on vivra une addition de galères individuelles séparées. Tout le monde rencontrera les mêmes problèmes sans en parler en pensant que ces soucis sont un peu de sa faute. » Capitane sortira en novembre le nouveau Great Mountain Fire et nourrit des projets de réédition. « On va être dans la prod aussi. On reçoit des trucs. Il suffit d’ouvrir un label pour que les gens te contactent. »

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