Bertrand Belin occupe tous les terrains
Un film (Ma Vie avec James Dean), un livre (Grands Carnivores), un disque (Persona) et un spectacle autour de Bowie présenté au Théâtre National (Low/Heroes)… Bertrand Belin se multiplie et varie les plaisirs. Conversation au long cours…
Marin pêcheur dans Ma Vie avec James Dean dont il a composé la musique, inspecteur de police spécialisé dans l’art contemporain et même Bowie himself dans le spectacle Low/Heroes… En ce début d’année, le Français Bertrand Belin fait feu de tout bois. Un disque et un roman par ailleurs sous le bras. Rencontre dans les bureaux et les fauteuils moelleux de Wagram, sa maison de disques française, avec un orateur patenté tout en classe décontractée.
Tu as intitulé ton album Persona. Le mot latin qualifiait le masque des acteurs de théâtre romain. C’est le titre d’un film d’Ingmar Bergman. Mais aussi un concept de psychologie analytique et de marketing…
J’ai accueilli ce mot-là pour sa simplicité, sa beauté et sa profondeur. C’est un mot très commun. Très abordable. Je ne dis pas que « persona est commun ». Mais « personne » ne nous est pas étranger. Il y a toutes ces acceptions différentes bien sûr. Mais c’est un mot -« personne » en particulier- qui a cette étrangeté de pouvoir signifier l’absence et la présence. C’est quand même amusant, cette transcendance. Puis, bon, mes chansons sont peuplées de silhouettes, de personas. On ne sait pas spécialement d’où ils viennent, où ils vont. Comment ils s’appellent. Comment ils sont habillés. Ces gens, je les vois avec des masques blancs. Il est possible que ce soit des sortes d’avatars de moi que je dispose dans certaines situations. Et donc il y a cette idée de peupler. Il y a un peuple dans mon imagination, dans mes chansons. Et Persona en est un petit peu l’emblème.
Il y a un lien entre Persona et ton nouveau roman Grands Carnivores?
Dans mon livre, je raconte des histoires mais elles ne sont pas en relation avec l’album. Je ne cherche pas à ce que le livre soit suppléant au disque en termes d’élucidation. Mais ils datent de la même période plus ou moins. Et des liens, on pourra toujours en trouver. Notamment dans les questions qui m’obsèdent et auxquelles je suis sensible concernant certains aspects de la vie en société. C’est moi qui suis en commun. Mais les chansons ne parlent pas de personnages du livre. Et les personnages du livre ne s’expriment pas dans mon album.
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Justement, l’état de la société actuellement, ça te met dans quel état?
Dans un état d’attention. C’est certain. D’écarquillement. J’ai les yeux écarquillés et les oreilles grandes ouvertes. Je tente de comprendre, de prendre la température de ce qui se passe, de me fournir des outils critiques. Je lis deux ou trois journaux d’obédiences diverses tous les jours. Je regarde aussi des émissions politiques à la télévision. Et j’adore les commissions parlementaires. Je suis un citoyen attentif de ce point de vue-là. Je vote et je n’entends pas prendre ça à la rigolade. Après, d’un point de vue plus personnel, je suis parfois découragé devant le spectacle du monde. Et ce n’est pas particulièrement français. C’est plus général que ça. Je regarde autour de moi. J’observe. Et que ce soit à Paris, Bordeaux, Londres ou Bruxelles, tu fais les mêmes constats. Il n’y avait pas de personnes sans domicile fixe dans la ville où j’ai grandi. Il y en a maintenant. Dans des petites villes et des villages, tu trouves des gens dans des situations très très pénibles. Il y a une déception presque de l’espèce à constater l’emploi médiocre qu’on fait des expériences du passé. Il y a une sorte de hoquet dans l’Histoire. Des tensions qui remontent. Le monde ne va pas sans poser de problème. Je suis plutôt inquiet. Et ça vaut le coup de l’être. Et de rappeler qu’on l’est.
Le krautrock t’a marqué? Au-delà du son, il y a quelque chose de kraut dans tes mots. Dans ton utilisation de la répétition…
C’est très inspirant. J’aime le talk over. La toute petite présence des textes dans le kraut et d’autres types de musique aussi. Dans la musique trance en général. Et j’associe le kraut à cette pulsation. Une forme d’hypnose oui. Et la répétition et l’hypnose, ça a quelque chose à voir évidemment. Il y a un truc qui m’intéresse dans la répétition, c’est ce registre particulier qui trahit quelque chose de l’esprit. Quelque chose qui peut parfois être inquiétant ou qui est une manifestation de la conscience qu’on a du langage. L’obsession est l’un des moteurs de la répétition. Mais l’obsession ne passe pas forcément par le larynx. Quand on ressasse quelque chose, c’est souvent silencieusement. Mais on peut aussi ressasser avec la bouche. Il y a quelque chose d’assez rafraîchissant dans la répétition. Il ne s’agit pas de répéter pour répéter. C’est simplement le plaisir d’être posé devant un registre de langage qui fait naître d’autres types de sensations que le langage poétique ordinaire…
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Comment t’es-tu retrouvé embarqué dans Low/Heroes présenté les 7, 8 et 9 février au Théâtre national?
Renaud Cojo, le metteur en scène de ce spectacle, de cette performance, a la particularité d’être un exégète de David Bowie. Il connaît vraiment très bien son oeuvre et s’y est intéressé de très près. C’est un collectionneur. Mais il s’est également penché sur le parcours dramatique qu’on peut trouver dans sa production. À travers les textes de ses chansons, à travers les collaborations. À travers son lien avec les arts plastiques, avec le cinéma. Les costumes, les mises en scène, cette invention d’avatars. C’est très riche. Donc, ce qu’on va voir à Bruxelles, c’est l’hyper-cycle berlinois. Philip Glass a composé deux symphonies en s’appuyant sur des motifs issus des albums Low et Heroes. Et sur ces symphonies, Renaud Cojo a tourné des films qui font 42-45 minutes chacun. Le premier est nourri par différents objets de différentes provenances. Des éclats des paroles qu’on trouve dans sa discographie interprétés et mis en scène à l’image. Mais aussi un parcours géographique qui a été celui de Bowie. C’est-à-dire son séjour à Berlin. Quand il y est parti avec Iggy Pop et qu’ils s’y sont installés pour décrocher de la dope. Il a fait l’album avec Visconti là-bas. De la mythologie, de la littérature et des faits réels. Tout ça mélangé pour fabriquer un film en noir et blanc, muet, qui va être projeté pendant la première symphonie.
Et ton rôle, dans tout ça?
Je suis le personnage principal du film tourné pendant un mois d’hiver très rigoureux dans tout ce que Berlin compte de faubourgs désertés, de sites industriels déclassés, de foi et de fantômes. Tout ça tenu comme une marionnette par David Bowie. À l’occasion d’une nouvelle écrite en 1990, Bowie a inventé le personnage de Nathan Adler. Inspecteur de police d’un genre nouveau, Nathan Adler fait partie d’une brigade -l’Art Crime Corporation- chargée d’une forme de crime dans laquelle les artistes plasticiens sont les criminels. Et donc, il a fallu créer une brigade spéciale qui, sur un lieu de crime, puisse décoder les indices non plus selon les modes opératoires traditionnels de la police mais avec ce savoir particulier de l’Histoire de l’art. Adler est un connaisseur en art contemporain. Là-dedans, Bowie fait référence à des artistes ayant réellement existé. Chris Burden, Ron Athey, Damien Hirst… Il passe en revue ce qu’a été l’Histoire de l’art dans les années 70 et 80. Et c’est un peu comme une nouvelle d’anticipation. Dans le film, je joue à la fois Nathan Adler et Bowie. Et entre les deux symphonies, je suis récitant sur le plateau avec Stef Kamil Carlens (notamment leader de Zita Swoon, NDLR) qui a produit une rhapsodie d’environ une demi-heure autour de Art Decade, un morceau de Bowie.
Bowie, il représentait quoi pour toi?
J’ai d’abord été sensible à sa musique. À son sens de l’harmonie. Je me rappelle écouter Oh! You Pretty Things et toutes ces chansons magnifiques qui ont des parcours harmoniques dingues. Quand j’ai découvert Bowie, c’était par la grâce de sa musique. Sur Ziggy Stardust, j’ai vachement aimé ce côté symphonique. J’avais été renversé. Ce n’est que plus tard que j’ai été intéressé par d’autres aspects du personnage.
Comment as-tu abordé la composition de la musique du film Ma Vie avec James Dean de Dominique Choisy?
J’avais déjà signé pas mal de musiques de films avant. Je l’ai abordée très simplement. En suivant mes instincts. Dans une relation très fluide et bienveillante avec le metteur en scène. J’ai bénéficié d’une très grande liberté, ce qui est assez rare dans le cinéma et les longs métrages. Parce qu’il y a des enjeux budgétaires très importants. Des intermédiaires nombreux. Des problèmes qui se posent. Et là, il n’y en a eu aucun. J’ai fait exactement ce que je voulais et surtout j’y ai pris du plaisir. C’était un très beau lieu d’accueil pour le son et la musique. On pourrait le présenter comme une comédie. Mais pas d’un genre hilarant. Dominique Choisy est un cinéaste qui s’intéresse beaucoup à son art et qui par conséquent truffe son film de références. Il n’aimerait pas que je dise ça mais c’est un cinéma qui appartient à une lignée de cinéastes comme Pierre Zucca. Un cinéma qui se coltine le monde avec une humeur et un ton qui nous font nous sentir devant une fable surnaturelle. Dominique transforme le trivial en magie et nous raconte l’histoire d’un metteur en scène de cinéma qui vient de faire un film qui n’a manifestement pas beaucoup de succès. Il s’en va le présenter dans un réseau de cinémas de quartier de la côte normande. C’est la misère. Il arrive au Tréport pour présenter ce film et il y est accueilli par quelqu’un qu’il n’attend pas. Se retrouvant embarqué dans un tas de problèmes locaux. Problèmes amoureux, problèmes filiaux… Plein de choses. C’est une histoire d’amour aussi qui va se déclarer entre lui et un projectionniste de la salle. Le tout dans un milieu de pêcheurs. Je joue d’ailleurs l’un d’entre eux. Un petit rôle. Le père du projectionniste. Ça m’a ramené à mon enfance… (Belin est originaire de Quiberon, NDLR). C’était amusant de remettre les mains dans ces gants-là.
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Tu te vois approfondir dans le cinéma?
Je ne vois pas. Je ne cherche pas. On m’a fait des propositions que j’ai refusées. Parce que je ne suis pas comédien. J’ai accepté parce qu’un marin pêcheur, c’était dans mes cordes. Je connais bien ce milieu. Puis c’était pas un rôle trop prenant. Mais par rapport à la peur que j’ai ressentie à jouer… J’en tire du plaisir aujourd’hui parce que j’aime le film et que j’ai rencontré des gens fabuleux surtout. Mais ça a occasionné pas mal d’anxiété. Ça m’a quand même fait flipper. J’aimerais bien qu’on me confie un autre rôle. Mais évidemment dans des conditions amicales et pas trop stressantes. Ça m’intéresse de m’amuser à interpréter des personnages. Je le fais sur scène déjà d’une certaine façon… C’est quelque chose qui me plaît. Mais ça s’accorde mal avec mon métabolisme qui est de nature inquiète. Je ne sais pas comment font les comédiens. Je suis admiratif.
Roman de Bertrand Belin, Éditions P.O.L, 172 pages. ****
C’est une ville à la con comme elles le sont un peu toutes, une porte-tunnel séparant les beaux quartiers des faubourgs labyrinthiques. Ses ancien et nouveau ports de commerce, carrières, Brasserie générale, ruelles où bambocher, s’effondrer, mourir. Près des bâtiments de l’ancien poumon commercial, un cirque s’est installé, injection d’altérité dans un décor sinon sain au moins familier. Le bon peuple semble assez peu disposé à fréquenter les baladins et galériens qui le composent -il sera bien temps, à l’issue du spectacle, de les applaudir avant de revenir s’assommer aux occupations quotidiennes. Seulement voilà, une cage s’est ouverte dans la nuit, dont une poignée de grands fauves se seraient échappés, et impossible de remettre la main sur ce poivrot noceur de dompteur. Dans une atmosphère où la crainte permanente d’être dévoré au débotté tourne au fantasme, quelques personnages gambergent à la manière des ruminations obsessionnelles de Christophe Tarkos. Parmi eux, une paire de frères ambitieux chacun dans leur domaine, diamétralement opposés sur le plan politique: l’un, un peintre et sa clique d’artistes et courtisans; l’autre, le « récemment promu » directeur de l’entreprise locale, spécialisée ès boulons, ressorts, et autres rivets anodins sans lesquels les structures ne tiendraient jamais pourtant. Après Requin et Littoral, Bertrand Belin signe un troisième texte exigeant, débordant de mélancolie comme de hargne à l’égard des rastignacs et tartufes, constellé d’instants de grâce comme ces pages dédiées à la sortie d’usine, ou aux baratins de bistrot que même leurs émetteurs n’écoutent plus. F.P.
Persona
Distribué par Pias. ***(*)
Le 28/02 à l’Étoile (Lille), le 30/04 à l’Orangerie (Botanique).
Sur tous les fronts, cinématographique (Ma vie avec James Dean), littéraire (Grands carnivores) et même celui de la musique contemporaine (une reprise au Théâtre National du spectacle Low/Heroes autour de David Bowie), l’infatigable Bertrand Belin déballe avec Persona son sixième album. Un disque qui confirme toute la singularité de cet homme de mots qui aime tant les répéter. Et qui pour le coup accorde de plus en plus de place aux synthés. Mais on lui pardonne, à Bertrand. Parce qu’il a cette voix et cette diction addictives qui font oublier tout le reste. Ce talent déconcertant de l’hypnose. J.B.
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