Rémi Chayé explore la jeunesse de Calamity Jane: « Je ne voulais surtout pas faire un western »

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Auteur en 2016 du fulgurant Tout en haut du monde, le Français Rémi Chayé revient avec un deuxième long d’animation qui se plaît à imaginer le tournant émancipateur de l’enfance d’une légende: Calamity Jane. Rencontre.

À l’adolescence, il est fasciné par les bandes dessinées de Giraud/Moebius. « L’Incal, Le Garage hermétique… J’ai passé des années à recopier son travail. J’ai vraiment appris à dessiner avec lui« , raconte volontiers le Français, né à Poitiers à la fin des années 60. Pour Rémi Chayé, les choses, alors, sont claires: il deviendra auteur de BD. « À la maison, on n’avait pas la télé. Et on allait très peu au cinéma. Je ne rêvais que de dessin. » Quand il intègre une école d’art, c’est donc naturellement dans l’idée de faire de l’illustration. Pourtant, très vite, l’exercice, terriblement solitaire, ne le satisfait pas. L’animation, il y viendra un peu par hasard. « J’ai découvert ce monde-là en allant présenter mes dessins dans un studio basé à Angoulême pour un simple job. D’emblée, j’ai été emballé. J’aimais travailler en équipe. On se marrait, on se vannait, on picolait le soir… Plus tard, j’ai décidé d’entrer à La Poudrière, une école qui forme à la réalisation de films d’animation. J’étais très sensible aux propositions adultes venues du Japon: Akira, Patlabor, les films de Miyazaki… Quelles claques! Dans l’animation, j’aime beaucoup l’idée de cumuler la puissance narrative du cinéma et la force expressive du dessin et des couleurs. C’était vraiment l’outil rêvé pour moi. »

Rémi Chayé explore la jeunesse de Calamity Jane:

De fil en aiguille, il se retrouve à apporter son concours à la crème de l’animation européenne, de Jean-François Laguionie (L’Île de Black Mór, Le Tableau) à Tomm Moore (Brendan et le secret de Kells) en passant par Dominique Monféry (Kérity, la maison des contes). Puis se lance dans son premier long métrage en tant que réalisateur, dont il mettra dix ans à accoucher: le formidable Tout en haut du monde (2016), grand film d’aventure noyauté autour de l’idée de transmission qui culmine dans les décors hiératiques et souverainement épurés du pôle Nord.

Jouer avec les codes

Quatre ans plus tard, Chayé revient aux affaires avec un nouveau long métrage (lire la critique) consacré à l’enfance d’un véritable mythe de la conquête de l’Ouest: Martha Jane Cannary, alias Calamity Jane, figure rebelle romantique, libre et émancipée. « En cherchant des idées pour un deuxième film, je tombe sur un documentaire consacré à Calamity Jane où j’apprends qu’elle a fait la piste de l’Oregon et que, plus tard, elle en a parlé comme d’un épisode très positif pour elle. La piste de l’Oregon, c’est cette route qui va d’est en ouest et que les pionniers prenaient pour aller chercher des terres à cultiver. Ça a excité mon imagination. Je me suis dit que, sur cette route, son père aurait pu avoir un accident et que du coup elle aurait été obligée de faire du cheval, de conduire un chariot… Peu à peu, a commencé à se préciser dans mon esprit l’image d’une fille qui, à la base, n’est pas contestataire de son statut mais que la situation pousse à expérimenter des choses inédites pour son époque. Avec cette idée qu’ensuite, elle refuse de renoncer à la liberté qui lui a brièvement été allouée. »

Rémi Chayé explore la jeunesse de Calamity Jane:

On l’aura compris, c’est donc bien d’un pan de sa jeunesse imaginé, réinventé pour les besoins du film, dont on parle ici. « Oui, même si on a travaillé à partir d’éléments historiques avérés. Comme le départ de leur ferme du Missouri du père de Martha et sa famille. Ou le fait que, deux ans plus tard, deux enfants Cannary ont été vus en train de mendier dans Virginia City, au Montana. Entre les deux, on ne sait pas ce qui s’est passé mais on pouvait tenter d’imaginer des choses. On a lu, bien sûr, énormément de bouquins sur Calamity Jane, mais beaucoup se font l’écho d’âneries, de mensonges. Calamity elle-même en a écrit, sa soeur aussi, tout le monde en a écrit. Donc nous, on a essayé d’être le plus juste possible par rapport à son personnage, et en même temps on assume complètement le fait que ce soit une fiction. C’est pour ça qu’on a choisi comme sous-titre UNE enfance de Martha Jane Cannary. Pour dire que c’est juste une option possible. »

Calamity n'est pas un western à la John Ford, mais un
Calamity n’est pas un western à la John Ford, mais un « film de convoi » à travers les grands espaces américains.

Situant logiquement l’action de son film bien avant l’épisode décisif de la campagne de Custer contre les Amérindiens, Chayé fait le choix judicieux de prendre le contre-pied des motifs rabâchés du western classique pour en privilégier d’autres. « C’est l’une des premières choses que j’ai dites en commençant à travailler sur ce projet: je ne veux surtout pas faire un western. Avec Calamity, on se rattache davantage au sous-genre du film de convoi. J’aimais bien, d’ailleurs, l’idée d’être plus au nord. On n’est pas dans la Vallée de la Mort comme chez John Ford. Mon truc à moi, c’est davantage le western des grands espaces à la Jeremiah Johnson. Martha, elle est dans la survie. Mais aussi dans le questionnement identitaire. Ce qu’elle va franchir, au fond, c’est avant tout la barrière des genres. Notre idée c’était de construire son personnage au fur et à mesure avec le vêtement des autres. C’est-à-dire qu’elle garde le foulard d’une telle, la veste d’un tel, puis le chapeau d’un autre. Elle construit au fil des rencontres le personnage qu’elle va devenir plus tard. Avec une grande liberté par rapport aux codes de la représentation genrée. Elle est obligée de mentir, de se déguiser, et ce thème du masque, du travestissement, amène une vraie profondeur, permet de poser des questions nécessaires. Qu’est-ce que c’est que d’être une fille, par exemple? Et un garçon? Que dit un vêtement sur quelqu’un? C’est assez passionnant. Mais aussi très ludique, parce que ça implique de jouer beaucoup avec les codes. »

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