Titane tétanise le festival de Cannes: le palmarès commenté
Au-delà d’une palme gore éminemment discutable, le palmarès concocté par Spike Lee et son jury est un pari sur l’avenir.
Ceux qui attendaient de Spike Lee un petit coup de provoc n’auront pas été déçus: en couronnant Titane, de Julia Ducournau, le réalisateur américain a refermé la 74e édition du festival de Cannes sur un parfum de scandale. Et tant pis pour les Drive My Car, de Ryusuke Hamaguchi, et autre Un héros, d’Asghar Farhadi, qui pouvaient revendiquer mieux que des accessits. Ou pour Haut et fort, de Nabil Ayouch, assurément le grand oublié du palmarès.
Second long métrage de Julia Ducournau, révélée en 2016 par Grave, Titane aura, dès l’annonce de sa sélection en compétition, déchaîné les passions. La cinéaste française y retrace, en substance, l’équipée d’une tueuse en série s’accouplant avec une voiture, avant d’emprunter, automutilation à l’appui, l’identité d’un garçon disparu dix ans plus tôt, et de s’inviter dans la vie d’un pompier sous stéroïdes. Scénario hautement improbable trouvant à l’écran une expression ne l’étant guère moins, glissant de l’hommage tendance parodique au Cronenberg de Crash et au Carpenter de Christine à un questionnement sur le genre passé à la moulinette du gore. Pour un résultat qui, s’il a le mérite de la radicalité – on doit reconnaître à la réalisatrice qu’elle ose pousser à fond tous les curseurs d’un cinéma éminemment personnel – frise aussi le plus souvent le grand n’importe quoi. Si le festival en est sorti globalement tétanisé, pas sûr toutefois que l’onde de Titane ne se propage au-delà de l’effet de choc d’une Palme éminemment discutable, euphémisme… Même si l’on retiendra que Julia Ducournau devient ainsi la deuxième femme à peine à recevoir la distinction suprême, vingt-huit ans après Jane Campion pour La leçon de piano.
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De façon non moins significative, le palmarès concocté par Spike Lee et ses jurés fait également la part belle à la jeunesse. Outre Julia Ducournau, 37 ans à peine, on assiste à un renouvellement général des cadres: si plusieurs ex-lauréats – Nanni Moretti, Jacques Audiard et Apichatpong Weerasethakul – présentaient leur nouveau film, seul le réalisateur thaïlandais, avec l’envoûtant Memoria, a trouvé grâce aux yeux du jury, dont il se partage le prix avec l’Israélien Nadav Lapid pour l’inconfortable Genou d’Ahed. Même constat pour les habitués (François Ozon, Mahamat-Saleh Haroun, Sean Penn…), snobés à l’exception d’Asghar Farhadi, Grand Prix pour le conte moral Un héros. Une distinction dédoublée elle aussi (signe, sans doute, de divisions profondes au sein du jury), dont l’autre lauréat est le Finlandais Juho Kuosmanen, que l’on n’attendait pas à pareille fête pour Compartment N°6, son second long métrage, un road-movie s’étirant de Moscou à Mourmansk. Le prix de la mise en scène va, pour sa part, à Leos Carax, pas précisément un débutant, mais l’éblouissant musical Annette a fait souffler un vent de fraîcheur sur la Croisette, tout en ancrant un peu plus le festival du côté du cinéma de genre.
Prix du scénario pour Drive My Car, le Japonais Ryusuke Hamaguchi aurait, de son côté, pu prétendre à beaucoup mieux avec ce film où il élargit brillamment le cadre de la nouvelle éponyme d’Haruki Murakami. S’inscrivant dans la tonalité d’ensemble de ce palmarès, les prix d’interprétation consacrent deux nouveaux visages, ou presque: Renate Reinsve, lumineuse dans Julie (en 12 chapitres), magnifique portrait de femme du Norvégien Joachim Trier, et Caleb Landry Jones, dont la présence hante le malaisant Nitram, de l’Australien Justin Kurzel. Enfin, si le cinéma belge repart bredouille de la compétition (encore que Titane et Annette soient des coproductions), on saluera le Prix de l’Audace obtenu par La Civil, de la cinéaste belgo-roumaine Teodora Ana Mihai, ainsi que celui de la presse internationale octroyé à Un monde, de Laura Wandel, à Un Certain Regard, tandis que le court métrage L’enfant salamandre, de Théo Degen, recevait le premier prix de la Cinéfondation…
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