Joachim Lafosse: la Croisette, à perdre la raison

Le parcours intranquille de Joachim Lafosse à Cannes. © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP via Getty Images
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Les Intranquilles, le neuvième long métrage de Joachim Lafosse, sera présenté en compétition à Cannes le 16 juillet prochain. Un événement que le réalisateur bruxellois préface en évoquant ses multiples expériences cannoises. Entretien.

Attablé à une terrasse non loin du boulevard Voltaire, dans le 11e arrondissement parisien, Joachim Lafosse est tout sourire. Et pour cause. Quelques jours plus tôt, la nouvelle est tombée: Les Intranquilles, son neuvième long métrage, est sélectionné en compétition à Cannes. L’aboutissement d’une longue histoire pour le réalisateur bruxellois qui a fréquenté le festival en diverses occasions. Une aventure qu’il retrace pour Focus.

2005. L’Atelier du Festival de Cannes.

« Ma première histoire cannoise, c’est l’Atelier, où je suis invité en 2005, sur sélection du scénario d’Élève libre , et où je me retrouve avec Mahamat-Saleh Haroun, qui est en compétition cette année avec Lingui, et Lisandro Alonso. C’est la première année de l’Atelier, et Thierry Frémaux nous accueille la veille pour nous expliquer ses intentions, avant de décider de faire une photo avec le jury de la compétition. À l’époque, j’ai juste tourné Folie privée, la photo passe dans Le Soir, et les gens qui la voient en Belgique m’appellent pour me demander ce que je fous là. En même temps, ça s’est avéré très intéressant, parce que c’est à ce moment-là que j’ai pu rencontrer Martine de Clermont-Tonnerre, la future productrice française de Nue propriété. J’ai multiplié les rendez-vous tous les matins pendant deux semaines, et ça m’a donné un aperçu de l’état des lieux de la profession, et les après-midi, je voyais les films de la compétition, le pied! »

2008. Élève libre, Quinzaine des Réalisateurs.

« La sélection d’Élève libre à la Quinzaine va se révéler très éprouvante. Je me souviendrai toute ma vie du silence de la salle à la fin de la projection. Il y a un silence, puis des applaudissements. Il y a des articles et des choses qui seront dites sur le film, notamment qu’il est moralisateur et un peu réactionnaire, et assez peu de gens au fond qui saisissent que j’interroge le sens des limites. C’est un film pré-#MeToo, qui interroge l’emprise qu’exercent des adultes sur un adolescent en décrochage scolaire. Mais pendant la promotion qui suit, je rencontre toujours des gens pour me dire: « Mais au fond, cet adolescent, il apprend la vie, ce n’est pas très grave, il a ce qu’il veut, etc.« , ce que plus personne n’oserait faire aujourd’hui, je pense. Libération adore le film, mais pour des raisons qui sont pour moi inacceptables: ils y voient une ode à la liberté, et un film qui dit qu’il y a des apprentissages nécessaires. Je n’ai pas eu la force, à l’époque, de dire que c’était autobiographique, et j’ai peut-être eu raison, parce que je me suis protégé. L’accueil du film était bon, mais c’était douloureux et violent. »

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2012. À perdre la raison, Un Certain Regard.

« Avec le procès avant le tournage, À perdre la raison s’est lui aussi avéré éprouvant, mais heureusement, le film a été sélectionné à Un Certain Regard. J’ai alors découvert que le festival a cette grande force de ramener au cinéma. À un moment, à Cannes, on ne parle plus de faits de société ou de polémique, on parle cinéma. Les gens l’ont regardé en tant que film, ils n’ont pas cherché le fait divers derrière, ils ont su voir la fiction. Et j’ai compris que les grands festivals sont des lieux de contre-pouvoir. Dans le cinéma, il y a du pouvoir, les commissions de sélection, les distributeurs, les investisseurs. Alors, tu perds, tu gagnes, tu obtiens ce que tu veux ou pas. Mais quand tu es sélectionné, c’est un pouvoir qui peut venir dire « vous vous êtes trompés », ou « vous n’avez pas su voir ». Et ça, c’est très important. Et qu’en plus, ça se termine par le prix d’Émilie (Dequenne, NDLR), que je trouve formidable dans le film! Le prix a été fondamental: c’est celui de mes films qui a eu le plus d’entrées, et qui a été le plus vendu à l’international. Avec l’histoire d’une mère qui tue ses enfants, on a fait 250.000 entrées en France, et il s’est vendu dans 35 pays. »

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2016. L’Économie du couple, Quinzaine des Réalisateurs.

« Après À perdre la raison, je vais tourner Les Chevaliers blancs, que j’aime beaucoup mais qui n’est pas tout à fait réussi, et ne sera pas à Cannes. Je vois ce que c’est de ne pas y être: on ne le vend que dans cinq pays, et on ne fait pas du tout les entrées espérées. Je ne voulais plus souffrir comme ça. On a terminé L’Économie du couple en décembre et on a proposé le film à Édouard Waintrop, qui devenait le sélectionneur de la Quinzaine, en lui disant que s’il le voulait, on ne le montrerait à personne d’autre. Il l’a vu, et l’a voulu, du coup, j’étais super apaisé, je savais qu’on allait à la Quinzaine quatre mois avant. Et à Cannes, ça s’est super bien passé. »

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2017. Membre du jury Un Certain Regard.

« Avec Uma Thurman comme présidente du jury, on est sortis à quatre pattes pendant la projection d’un film de la sélection parce que, soi-disant, un de ses gardes du corps avait trouvé une balle de pistolet au sol, et avait vu un facteur de risque dans la salle -c’était l’année des attentats. On s’est fait huer en revenant, parce que les gens, qui avaient été évacués après nous, nous avaient vus. »

2021. Les Intranquilles, compétition.

« Je n’ai appris la sélection que le 8 juin, la veille de la conférence de presse. Je savais que la concurrence serait hallucinante, parce que les trois quarts des films de l’an dernier souhaitaient revenir. Après l’échec de Continuer, je mesurais l’importance qu’il y avait d’y être. Et puis, j’étais sorti très heureux de la finalisation des Intranquilles. C’est le film pour lequel j’ai eu les rapports les plus joyeux avec les acteurs, l’équipe, et je me disais que je serais heureux d’y aller avec ce film-là… J’ai commencé à stresser, même si les producteurs et les distributeurs restaient très sereins. Les trois semaines qui ont précédé la sélection, je n’arrivais plus à me lever… Je l’ai su à midi, et j’ai appelé chacun des membres de l’équipe, tous ceux avec qui j’ai fait le film. C’est un sport collectif, et c’est dans les détails que tu réussis un bon film. Après, il m’a fallu un petit temps pour réaliser. Mais je n’ai pas été hystérique pendant trois jours non plus: on est allés manger une pizza le soir avec les producteurs, et j’ai emmené mon fils avec moi, parce qu’il m’avait vu pendant trois semaines dans des états dont je n’étais pas très fier… »

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