« On ne peut plus parler de force publique lorsqu’on voit ces policiers cagoulés qui font tout pour être anonymes »

David Dufresne: "Dans la forme, je ne me mets pas en scène. Je propose une analyse collective et je confronte des protagonistes aux images des manifestions."
Philippe Manche Journaliste

Le journaliste et lanceur d’alerte David Dufresne signe un édifiant et frontal Un pays qui se tient sage. Soit un percutant documentaire autour des violences policières qui ont secoué l’Hexagone dans la foulée des Gilets Jaunes. Entretien.

Avec ce premier long métrage documentaire pour le cinéma, l’ancien journaliste à Libération et membre fondateur de Mediapart David Dufresne n’en est pas à son coup d’essai sur le sujet des violences policières. Il a déjà signé quatre films pour la télévision et cinq web-documentaires. Cette fois, il a rassemblé les images tournées dans quatorze villes de France entre novembre 2018 et février 2020, quand les Gilets jaunes tenaient les rues et les ronds-points. Nous restent alors en mémoire des images de chaos et d’insurrection d’un réveil citoyen maté par la police, lors de scènes très violentes.

Mais Un pays qui se tient sage n’est pas qu’un film sur les violences policières. C’est aussi une réflexion sur le pouvoir des images, une radiographie d’une France au bord de l’insurrection ainsi qu’une analyse plus globale sur un État, pour paraphraser l’économiste Max Weber, « qui revendique le monopole de la violence physique légitime ». Les images, dont certaines insoutenables, sont entrecoupées de débats entre tantôt une historienne, tantôt un simple citoyen, tantôt un sociologue. À l’exception d’un général de gendarmerie et du secrétaire national du syndicat Alliance Police, aucun autre membre des forces de l’ordre ou ministère affilié n’a été autorisé à s’exprimer, précise David Dufresne dans ce docu citoyen urgent et indispensable. Rencontre.

Comment l’ancien journaliste au mensuel rock français Best devient-il lanceur d’alerte?

J’ai seize ans et un jour, ma mère reçoit un appel des renseignements généraux qui souhaitent en savoir plus sur des membres de mon fanzine Tant qu’il y aura du rock, dont certains auraient commis des actes terroristes. Depuis ce jour, je m’intéresse à la police qui s’est d’abord elle-même intéressée à moi à cause de mon fanzine. Ce qui m’a impressionné, c’est ce qu’elle savait sur moi, même s’il y avait une part de bluff. Je pense que lorsque vous venez du rock des Thugs, de toute la scène rock alternative, le rapport avec la police est particulier. Je crois vraiment que la première expérience avec la police est déterminante dans la façon de la percevoir par la suite. Dans le cas présent, j’ai senti une hostilité à mon égard. J’arrive à Paris un peu plus tard, pour mes études, et c’est Malik Oussekine qui est tué par des policiers la nuit du 5 au 6 décembre 1986. Une date marquante.

https://twitter.com/davduf/status/1101909207635369984David Dufresnehttps://twitter.com/davduf

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Début décembre 2018, alors que le mouvement des Gilets jaunes démarre en octobre de la même année, vous activez sur Twitter le projet Allô@Place_Beauvau qui recense les violences policières. À quel moment vous dites-vous: « Ça va trop loin, j’en fais un film »?

De fait, j’active mon compte le 4 décembre 2018 et très vite, je reçois les événements de Mantes-la-Jolie, où une centaine de jeunes sont mis à genoux par la police. J’ai détourné la phrase d’un policier pour titrer le film. On le voit jubiler et déclarer: « Voilà une classe qui se tient sage ». Ensuite, j’écris un roman, Dernière sommation (paru chez Grasset en 2019, NDLR), qui est ma vision intime et personnelle de tout cela et l’idée du documentaire s’impose. Dans la forme, je ne me mets pas en scène. Je propose une analyse collective et je confronte des protagonistes aux images des manifestions. Il y a un côté fanzine dans les images, un côté punk. Le fanzine, c’est l’idée de la liberté absolue. Les images, c’est pareil. Pas besoin d’autorisation pour les utiliser, les diffuser, etc. J’avais le sentiment que ces images sur Twitter, Facebook ou Instagram méritaient qu’on s’y attarde sur un grand écran et pas sur un téléphone portable.

L’utilisation des téléphones portables change la donne et malgré tout, au regard d’Un pays qui se tient sage, on a le sentiment que ça ne freine pas énormément la vigueur de certains membres des forces de l’ordre…

La plupart des gens partagent ce sentiment. J’ai tendance à penser le contraire tout simplement parce qu’on a vu une arme comme le LBD (lanceur de balles de défense, NDLR) être moins utilisée par la suite. La France est attaquée par l’ONU, le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen sur ces questions-là parce que le propos est documenté et argumenté. Quand Michel Forst, le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’homme, me dit que c’est une révolution dans son travail, on peut s’imaginer que la donne a un peu changé chez les policiers aussi. Je suis conscient que ce n’est pas parce le propos est documenté que ça va s’arrêter du jour au lendemain. En France, notamment, si les syndicats de police font du lobbying auprès de certains députés pour que ceux-ci travaillent sur des projets de loi afin d’empêcher la diffusion des images, c’est qu’ils ne sont pas à l’aise.

Parmi les centaines d’heures d’images reçues, quelles sont celles qui vous ont le plus choqué?

Il y a surtout deux cris qui résonnent encore dans ma tête. Le premier est celui du manifestant Gwendal Leroy, un cariste qui perd un oeil à Rennes. Et le second, celui d’Antoine Boudinet, un animateur socio-culturel et élu à Bordeaux, qui a une main arrachée. Une image qui m’a vraiment surpris, c’est celle des plaques minéralogiques des motos des policiers de la préfecture de Paris qui sont camouflées. C’est inadmissible parce qu’on ne peut plus parler de force publique lorsqu’on voit ces policiers cagoulés qui font tout pour être anonymes. Et ça, c’est un vrai problème.

Le 4 décembre 2019, la célèbre brasserie parisienne des Champs-Elysées Le Fouquet’s est ravagée par une foule en colère. Pour le symbole?

C’est un bon exemple parce que, comme l’Arc de Triomphe, Le Fouquet’s n’est pas un lieu de pouvoir. Ce sont des symboles. J’ai de la compassion pour le patron de la brasserie, assimilée à jamais à la présidence Sarkozy venu y célébrer sa victoire. L’ethnographe Romain Huët explique très bien que l’idée n’est pas de s’attaquer à une vitrine mais bien à ce qu’elle symbolise. Je voulais ramener ces actes-là à ce qu’ils sont aussi, à savoir des actes politiques. Ça me semblait important de raconter que derrière ces actions délictuelles qu’on peut trouver nazes, inefficaces, nulles ou géniales -ce n’est pas mon propos-, il y a une visée politique qui consiste à faire surgir la brutalité de l’État. Ce qui serait nul, c’est l’absence de ce rappel.

Est-ce que cette pandémie a évité la guerre civile en France?

L’État et les médias nous disent que la République vacille et qu’une police qui tient bon reste le dernier rempart. Je pense qu’il y a une grande exagération à tenir ce genre de propos. C’est pour ça que j’ai tenu à montrer les images de manifestants qui s’approchent de l’Élysée. On y voit avant tout des gamins comme dans une cour de récréation. Ce ne sont pas des révolutionnaires car ils ne sont pas armés, alors qu’en France, tout le monde a une pétoire chez soi.

Un pays qui se tient sage, de David Dufresne. Avec Alain Damasio, Fabrice Jobard, Michel Forst. 1h26. Sortie: 07/10. ***(*)

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Le cinéma, écho de son temps

Detroit
Detroit

En 1989, Spike Lee dédie son brûlot Do the Right Thing à six familles victimes de violences policières avec une scène finale qui fait froid dans le dos. Lors de l’émeute dans la pizzeria de Sal, un policier flanque sa matraque contre la glotte de Raheem -comme George Floyd à Minneapolis 21 ans plus tard- jusqu’à l’issue fatale. Le cinéma américain s’est toujours inspiré de faits réels pour aborder cette thématique douloureuse.

Deniz Gamze Ergüven (Mustang) a, quant à elle, utilisé en toile de fond de Kings (2017) les images du procès des quatre policiers acquittés après le meurtre de Rodney King le 3 mars 1991 à Los Angeles. Kathryn Bigelow a remonté le temps avec Detroit (2017) en revisitant les émeutes de 1967 dans la ville d’Iggy Pop, où trois hommes non armés sont dessoudés par les forces de l’ordre. L’an dernier, c’est avec un contrôle de police pour infraction mineure à l’encontre d’un couple d’Afro-Américains que Melina Matsoukas démarrait son (sur)puissant Queen & Slim.

La Haine
La Haine

L’Hexagone n’est pas en reste, loin s’en faut. Impossible de ne pas mentionner La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz et Les Misérables (2019) de Ladj Ly. Deux films coup de poing -le premier en noir et blanc du point de vue des jeunes de banlieue, le second via l’angle d’une poignée de policiers de brigade anti-criminalité- inspirés d’événements bien réels. À en juger par le comportement toujours inapproprié d’une partie des forces de l’ordre, le cinéma en miroir de son époque devrait encore se pencher sur cette inacceptable réalité dans les mois, voire années, à venir.

Des flics et des hits

Si Gainsbourg, paraît-il, adorait terminer ses virées nocturnes au commissariat de police, la chanson française a rarement célébré les forces de l’ordre. Playlist de six titres qui ne portent pas la police dans leur coeur.

Georges Brassens, Hécatombe (1952)

Anar’ antimilitariste, Brassens devait forcément s’attaquer à un moment ou l’autre aux forces de l’ordre. Par exemple avec Hécatombe, qui raconte comment, au marché de Brive-la-Gaillarde, une foule féminine en furie a réussi à mater les gendarmes. Sous la farce truculente (« La plus grasse de ces femelles/ouvrant son corsage dilaté/matraque à grand coup de mamelles/ceux qui passent à sa portée« ), le chansonnier ne cache pas ses sentiments: « En voyant ces braves pandores/être à deux doigts de succomber/Moi, j’bichais car je les adore/Sous la forme de macchabées ». On a poursuivi des rappeurs pour moins que ça…

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Dominique Grange, À bas l’État policier (1968)

En mai 1968, la lutte fait rage sur les barricades. Délaissant la variété dans laquelle elle a commencé à faire carrière, Dominique Grange, alors âgée de 28 ans, rejoint le rang des émeutiers. Elle autoproduit un premier 4 titres -dont À bas l’État policier: « Vous êtes reconnaissables/Vous, les flics du monde entier/Les mêmes imperméables/La même mentalité ». Non signé, de crainte de représailles, le disque est vendu au profit des comités d’action. Dominique Grange ne touche elle-même pas un franc dessus. « C’est ma fierté », dira-t-elle.

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Renaud, Hexagone (1975)

Dans la foulée de Mai 68, Renaud se la joue, non pas hippie, mais gavroche zonard post-Brassens. Autre dégaine, même révolte contre les forces de l’ordre. Dans son mythique Hexagone, il balance notamment: « La France est un pays de flics/À tous les coins du rue y en a cent/Pour faire régner l’ordre public/Ils assassinent impunément ». Quarante ans plus tard, il changera cependant de ton. Après la tuerie de Charlie Hebdo, Renaud rendra en effet hommage à la police en chantant J’ai embrassé un flic.

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Trust, Police milice (1979)

Fin des années 70, le groupe Trust sort son premier album sur la major CBS. Influencée par le punk, la formation hard rock part même enregistrer à Londres. C’est l’occasion de faire gicler les solos de guitares à la AC/DC. Et de taper sur la maréchaussée. Par exemple sur le morceau Police milice, ouvert par des bruits de sirène, et qui ne cache pas son aversion pour les hommes en bleu – « Et fais du zèle tu auras de l’avancement/Tu gagneras de l’argent à faire chier les gens« .

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13 Block, Fuck le 17 (2019)

Depuis plus de 30 ans, directement branchés sur la rue et sur la réalité d’une population particulièrement touchée par les violences policières, les rappeurs ont multiplié les bourre-pifs lexicaux envoyés aux représentants de l’ordre. Non sans conséquences. Du Sacrifice de poulets du Ministère AMER, poursuivi par le ministre de la Justice, au (Nique la) Police de NTM qui fera l’objet d’une enquête, en passant par les procès intentés à La Rumeur. Plus récemment, c’est le groupe 13 Block et le clip de Fuck le 17 qui feront réagir jusqu’au secrétaire d’État auprès du ministre de l’Intérieur…

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Bonus track – James Deano, Le Fils du commissaire (2007)

Que faire quand on est rappeur et fils d’agent? Acrobate du second degré, James Deano raconte le grand écart, entre incompréhension du paternel (« ça se finissait souvent par une dizaine de coups dans le ventre/suivi de 24 heures de garde à vue dans sa p’tite chambre ») et méfiance des camarades rappeurs. Fuck la police. « Sauf papa bien sûr »…

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