La vie et rien d’autre: entretien avec François Ozon à l’occasion de son nouveau film « Tout s’est bien passé »

Emmanuèle et André (Sophie Marceau et André Dussollier): une relation complexe.
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

François Ozon adapte le roman Tout s’est bien passé, d’Emmanuèle Bernheim, l’histoire d’un père demandant à sa fille de l’aider à en finir. Pour l’ancrer, bien aidé par André Dussollier et Sophie Marceau, magnifiques, du côté de l’humain. Entretien, à Cannes.

Vingtième long métrage de François Ozon, Tout s’est bien passé le voit renouer avec la veine de Grâce à Dieu il y a trois ans de cela, lorsque le cinéaste parisien s’était emparé d’un sujet de société, aux scandales de pédophilie agitant l’Église succédant aujourd’hui l’euthanasie. Non, pour autant, que le réalisateur d’Une nouvelle amie ait été pris d’un intérêt tardif pour le film-dossier: « À chaque fois, ce sont des histoires personnelles, nous expliquait-il en juillet dernier lors du festival de Cannes, où son film était sélectionné en compétition. Je ne voulais surtout pas parler de sujet de société: je n’avais aucune envie de faire un film sur la pédophilie, ni sur l’euthanasie. Ce qui m’a intéressé sur Grâce à Dieu , c’était des hommes. Et là, c’était cette femme, Emmanuèle Bernheim, une amie qui a collaboré à plusieurs de mes scénarios, et qui avait écrit ce livre que j’avais trouvé très beau et émouvant, et dont j’avais envie de raconter l’histoire, tout simplement. Après, il se trouve qu’il y a ce thème derrière, mais ce n’est pas l’idée principale. »

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Névrose un peu masochiste

La romancière, autrice de Sa femme et Vendredi soir notamment, François Ozon l’avait rencontrée en 2000, quand elle avait prêté son concours au scénario de Sous le sable, une collaboration qui devait ensuite se répéter pour Swimming Pool, 5X2 et Ricky. Écrit en 2013, Tout s’est bien passé raconte comment elle avait aidé son père à mourir. D’abord hésitant à l’idée de s’emparer de cette histoire, comme elle le lui avait proposé, le réalisateur se ravisera après la mort de l’écrivaine, emportée à son tour par un cancer en 2017, désireux de la retrouver à travers ce texte. Une « intimité » n’ayant pas été sans déteindre sur le film: « L’existence de personnes réelles oblige à une forme de respect pour raconter l’histoire, relève-t-il. Peut-être aussi à m’effacer un peu plus pour mettre en avant ces personnages, et ce qu’ils vivent. Après, j’adapte chaque mise en scène à l’histoire que je raconte: il n’y a pas toujours une manière de faire, c’est vraiment le sujet qui intube les choses. »

François Ozon avec Sophie Marceau:
François Ozon avec Sophie Marceau: « J’ai eu l’intuition que ce rôle allait la toucher ».

Mais s’il a adopté une position plus en retrait, le cinéaste ne s’en est pas moins permis une certaine licence artistique au moment d’adapter l’ouvrage éponyme, qu’il s’agisse, raconte-t-il, de simplifier et accélérer l’histoire, mais aussi de l’étoffer, comblant certains trous qu’avait laissés Emmanuèle Bernheim dans le récit. « J’ai rajouté certains éléments sur la relation entre les deux soeurs, Emmanuèle et Pascale, qui n’y était pas vraiment décrite. Et pour moi, l’angle mort du livre, c’était le personnage de la mère, qui n’existait pas du tout. Emmanuèle m’en avait parlé comme d’une personne malade, je pensais que c’était une vieille dame, et ça s’arrêtait là. Mais quand j’ai découvert que sa mère était la sculptrice Claude de Soria, une autre artiste dans sa famille, j’ai trouvé ça passionnant, et incroyable qu’elle ne me l’ait jamais dit. En fait, elle rejetait l’oeuvre de sa mère, alors qu’il y a beaucoup de points communs: l’écriture d’Emmanuèle est très sèche et la sculpture de Claude de Soria est brute, avec quelque chose de très concret, il y a une vraie proximité entre la mère et la fille. J’ai demandé à Pascale, sa soeur, la raison de ce rejet, et je pense que sa mère était très dépressive, elle n’avait jamais quitté son père. Les soeurs lui reprochaient de n’avoir jamais quitté cet homme, et d’avoir été une victime toute sa vie, alors que lui n’en faisait qu’à sa tête. Il s’éclatait, avait des relations homosexuelles, vivait sa vie… Leur mère supportait tout cela dans une forme de névrose un peu masochiste… » Absente du roman, la sculptrice trouve donc droit de cité à l’écran sous les traits de Charlotte Rampling, complice de longue date du cinéaste.

Fins de vie

Son appétit de vivre, c’est précisément la raison qui va inciter le père, diminué par un AVC, à demander à sa fille de l’aider à en finir. Ce n’est pas la première fois, en l’occurrence, que François Ozon parle de la fin de vie, présente en filigrane de Sous le sable, quand la disparition inexpliquée de Bruno Cremer entraînait Charlotte Rampling -déjà!- dans le déni; de façon plus frontale dans Le temps qui reste, où Melvil Poupaud souffrait d’un cancer généralisé ne lui laissant que trois mois à vivre. « Ce qui me ramène à ce sujet, c’est la vie, ce que je traverse et que je vois autour de moi, observe le réalisateur. Je trouve que les processus de deuil sont souvent des choses assez complexes, et passionnantes à représenter dans un film. Dans Sous le sable , j’aimais beaucoup montrer cette femme qui vit avec la présence de cet homme qui n’est pas là, mais qu’elle sent auprès d’elle. Et là, j’avais envie de montrer la complexité de cette femme qui a eu le désir, enfant, de tuer son père, parce qu’il était odieux et cruel, et à qui, tout à coup, ce dernier, comme le relève sa soeur, fait le cadeau de dire: « aide-moi à mourir ». Ça remue beaucoup de choses, avec une dimension ambiguë et complexe qui est toujours passionnante à explorer dans un film, parce que ce n’est pas binaire, et ça pose de nombreuses questions. »

Binaire, Tout s’est bien passé ne l’est certes pas qui, s’il évoque la mort tout du long, s’obstine à rester du côté de la vie. « C’est un hymne à la vie, approuve François Ozon. Le paradoxe tient au fait que c’est en raison de son amour pour la vie que cet homme veut mourir. Il fallait donc être du côté de la vie et mettre de l’humour dès qu’il y en avait. Mon antidote, c’était un peu Amour , de Michael Haneke, avec son côté extrêmement morbide. Là, il fallait qu’il y ait de la vie tout le temps. » Quant à sa fille à qui il s’en remet, elle est parcourue de sentiments ambivalents, sinon opposés, tiraillée entre deux options: accéder à la volonté de son père, ou s’échiner à le faire changer d’avis. Non sans devoir aussi -chassez le sujet de société et il revient au galop- composer avec une législation française où l’euthanasie active est interdite, une position beaucoup plus restrictive qu’en Belgique ou en Suisse par exemple. « J’explique ça par le fait que la religion catholique est très présente. Ces débats sont toujours très controversés, comme dans l’affaire Vincent Lambert qui a fait grand bruit. La loi Leonetti permet la sédation, où des gens restent quinze jours dans le coma avant de mourir. C’est extrêmement douloureux, alors que les gens aspirent à mourir rapidement et à alléger leurs souffrances. Ça reste un sujet brûlant en France, mais moi, je ne sais pas quoi penser au fond. Je n’ai pas d’avis, n’y étant pas confronté. Mais je trouve extrêmement violent de demander à la famille de prendre cela en charge. J’ai compris ce qu’avait vécu Emmanuèle en faisant le film, et je pense que ça, ça ne devrait pas se produire. C’est à la société, au corps médical, à la loi de prendre ça en charge. » Quant à savoir si un film aura la faculté de faire avancer le débat? « Un film peut aider à comprendre ce que vit la famille, souligne François Ozon. Après, ce qu’il faut bien savoir, c’est que dans 80% des cas, les gens qui programment une euthanasie annulent: en général, ils vont mieux une fois qu’une date est fixée. Les médecins disent qu’il y a un vrai effet bénéfique quand les gens savent qu’ils ont la possibilité d’avoir une date, et qu’ils vont pouvoir être libérés si la souffrance est trop grande… »

Peter von Kant

Si François Ozon s’est entouré pour ce film des fidèles Géraldine Pailhas et Charlotte Rampling, sa galaxie accueille aussi des nouveaux venus, André Dussollier et Sophie Marceau, qui déclinent cette relation père-fille en une multitude de variations. « André, j’ai eu l’intuition que ça pouvait l’intéresser. Il est extrêmement perfectionniste. Quand quelqu’un fait un AVC, le visage se transforme. André a rencontré des médecins, on a vraiment travaillé sur le maquillage pour avoir cette paralysie faciale… C’est un Stradivarius et il adorait le rôle. Le fait de jouer masqué lui permettait d’exprimer encore plus de choses. » Pour un résultat d’un réalisme saisissant. Quant à Sophie Marceau, le réalisateur l’avait déjà approchée à plusieurs reprises, sans succès. « C’est une actrice de ma génération que j’aime beaucoup, et avec qui j’avais envie de travailler depuis longtemps. Sophie est une comédienne très instinctive, qui a besoin d’être en empathie avec les personnages et l’histoire qu’elle raconte. Je lui ai envoyé le livre, qu’elle a aimé et qui l’a mise en colère, parce qu’elle trouvait horrible ce qu’elles avaient été obligées de vivre… » Le rôle, en tout état de cause, rend justice à l’excellente actrice qu’elle est avec, qui sait, une option déjà pour les César. François Ozon, lui, nous reviendra en terrain familier, puisqu’il a déjà mis en boîte une version des Larmes amères de Petra von Kant, de Fassbinder, dont il avait déjà adapté Gouttes d’eau sur pierres brûlantes à ses débuts. Une oeuvre dont il proposera une lecture… masculine, interprétée par Denis Ménochet sous le titre Peter von Kant. « C’est très particulier« , assure-t-il au moment de prendre congé. On n’en doute pas un seul instant…

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