Retour à Séoul: chronique d’un retour aux sources

Davy Chou, réalisateur: “J’ai toujours été fasciné par l’impact des choix, des trajectoires, des rencontres. Il y a un vertige de la vie très fort dans tout ça.” © National
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Davy Chou étale sur une décennie une quête identitaire hantée par l’abandon qui trouve le ton juste et évite tous les stéréotypes.

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Cinéaste franco-cambodgien né à Fontenay- aux-Roses, près de Paris, au début des années 80, Davy Chou est le petit-fils de l’un des plus grands producteurs de cinéma cambodgien des années 60: Van Chann. En 2009, il se rend pour la première fois au Cambodge afin d’en apprendre un peu plus sur son passé familial et sur l’âge d’or du cinéma de ce pays, violemment mis à mal par la prise de pouvoir des Khmers rouges au mitan des années 70. En résulte, en 2011, un long métrage documentaire, Le Sommeil d’or, qui interroge la mémoire des témoins survivants de cet âge englouti. Cinq ans plus tard, Davy Chou présente à la Semaine de la Critique cannoise son premier long métrage de fiction, Diamond Island, tourné à Phnom Penh. Puis il signe Retour à Séoul, sélectionné à nouveau à Cannes l’an dernier, dans la section Un Certain Regard.

Superbe drame identitaire scintillant de mille nuances, ce deuxième long métrage de fiction accompagne sur une décennie la trajectoire de Freddie (l’artiste plasticienne Park Ji-min, dans son premier rôle au cinéma), jeune femme née en Corée du Sud mais adoptée à l’enfance par un couple français. À 25 ans, elle retourne pour la première fois en Corée du Sud et s’y lance avec fougue à la recherche de ses origines, faisant ainsi basculer son existence dans des directions nouvelles et inattendues…

La genèse de ce film remonte en fait à 2011, quand Davy Chou se rend pour la première fois en Corée du Sud pour présenter Le Sommeil d’or, son docu en forme de travail de mémoire sur le Cambodge, au célèbre festival de Busan. Le cinéaste raconte: “L’histoire de Retour à Séoul m’a été offerte par l’une de mes meilleures amies, Laure Badufle. On a étudié ensemble dans une école de commerce. À l’époque, Laure me parlait peu du fait qu’elle avait été adoptée et on ne discutait pas vraiment de la question de nos racines. Mais il se trouve qu’après nos études, sans vraiment nous concerter, on est partis chacun de notre côté. Moi, au Cambodge. Elle, en Corée du Sud pour six mois, qui se sont transformés en deux ans. J’apprends par après qu’elle y a rencontré deux fois son père biologique et que ça s’est mal passé, mais on n’a pas l’occasion de débriefer. Puis, en 2011, sachant que je me rends à Busan, elle m’appelle pour me dire qu’elle m’accompagne pour me montrer son pays, ajoutant qu’on n’y verra pas son père, parce qu’elle le déteste. Bon… Après deux jours à Busan, elle me dit: “J’ai contacté mon père et je le vois demain, tu veux venir?” Le lendemain, on a pris le bus avec une Coréenne francophone qu’on venait de rencontrer au festival et, après 1 heure 30 de trajet, on était attablés dans un restaurant traditionnel de soupe et de poulet face à son père biologique et sa grand-mère biologique. La jeune Coréenne francophone traduisait, mais difficilement. Au-delà du problème de communication, on sentait, en effet, le poids des émotions, des sentiments très complexes, très violents, très contradictoires. Laure était hyper rentre-dedans, elle a commencé par dire: “Bon écoute, tu vas dire à mon père qu’il arrête de m’envoyer des messages, ce n’est plus mon père, il faut qu’il le comprenne.” Et là je vois la jeune traductrice se liquéfier (sourire)… Moi j’ai pris des notes. Et aussi des photos pour Laure. Et je sais que dans ma tête, je me suis dit: c’est le genre de scène que je voudrais voir dans un film…

L’art de la table

En 2017, dans la foulée de la sortie de son premier long de fiction, Davy Chou repense à cet épisode et contacte son amie, qui se dit partante pour qu’il raconte son histoire. Quelques semaines plus tard, il reçoit un long document dans lequel Laure raconte en détail toute son expérience de la Corée, mais aussi son vécu en France de jeune fille adoptée, le racisme ordinaire anti-asiatique qu’elle a vécu à la campagne, dans le sud de la France… Et tout ça devient la matière principale d’un scénario que Chou écrit pendant trois ans, en le nourrissant d’autres rencontres, d’autres recherches et de son expérience personnelle. Son objectif est clair: rendre toute la complexité, toute la tristesse mais aussi l’improbable drôlerie de ce moment de rencontre impossible entre deux cultures qu’il a vécu avec Laure et son père biologique en Corée du Sud.

© National

Dans cet esprit, il décide de construire son film autour de plusieurs scènes de repas décisives. “Je pensais beaucoup au cinéma de Ozu pour les scènes de famille. Au départ, j’avais même l’idée un peu folle de ne faire un film que de repas. Puis ça a évolué, mais l’importance des repas est restée. On voit bien dans les films de Hong Sang-soo, et dans tout le cinéma coréen, à quel point la table, la boisson, sont vraiment les moments où se passent les choses. Et puis, quoi de plus symbolique et essentiel qu’un moment de table dans un rapport familial? Après, par contre, pour filmer toutes ces scènes, c’était un autre défi… Il faut réussir à varier les effets, trouver une dynamique, une évolution. C’était un vrai casse-tête. Mais j’ai fini par trouver des solutions en regardant en boucle certains films de David Fincher (sourire). Prenez The Social Network, par exemple. Fincher a un découpage tellement précis quand ses personnages discutent autour d’une table. Il m’a vraiment appris à comprendre comment faire.

À l’origine, le titre de travail de Retour à Séoul était All the People I’ll Never Be. “J’adore ce titre mais il est trop compliqué à prononcer et à retenir. Pour moi, cette phrase résume une vérité du film qui va au-delà de la question de la double culture ou du simple retour aux sources. C’est vraiment quelque chose qui a purement à voir avec l’identité, avec ces identités multiples qu’il faut parfois abandonner mais qui peuvent laisser des traces en nous. Un ami comédien qui s’appelle Randal Douc, et qui a notamment joué chez Rithy Panh, m’a écrit un message juste avant le festival de Cannes pour me dire que c’était précisément la phrase qu’il se répétait chaque jour, la première fois qu’il est retourné au Cambodge, en regardant les gens autour de lui: “All the people I’ll never be.” Tous les gens que je ne serai jamais.

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