Dans la satire conjugale The Roses, Olivia Colman et Benedict Cumberbatch s’affrontent à coups de répliques cinglantes. Un combat de titans entre deux des acteurs britanniques les plus en vue de leur génération.
The Roses
Comédie de Jay Roach. Avec Olivia Colman, Benedict Cumberbatch, Andy Samberg. 1h45.
La cote de Focus: 3,5/5
L’amour est-il soluble dans les ambitions personnelles? The Roses prend d’opportunes distances avec le film culte (mais difficile à revoir) de Danny DeVito, sorti en 1989. Les deux sont adaptés du même livre, mais la version 2025 dresse un portrait beaucoup plus aimable de ses deux protagonistes, inversant bien entendu le genre des rôles, air du temps oblige. Theo et Ivy Rose, comme nombre d’époux, en viennent à détester ce qu’ils ont adoré chez l’autre. Leur divorce vire à la guerre ouverte, avec comme théâtre des opérations la maison d’architecte imaginée par l’un, financée par l’autre. Incarné avec un flegme tout britannique par les deux acteurs, ce divertissement haut de gamme gentiment acerbe pousse allègrement les curseurs de l’inusable question de l’usure du couple. Une comédie efficace même si hors sol, à voir surtout pour ses interprètes.
A.E.
Voir Olivia Colman et Benedict Cumberbatch s’écharper verbalement constitue l’attrait principal du film The Roses. «Depuis combien de temps nous connaissons-nous?, s’interroge Olivia Colman, oscarisée pour son interprétation de la reine Anne dans l’absurde The Favourite de Yórgos Lánthimos, brillante dans The Father, ou encore dans la série à succès de Netflix, The Crown. Dix, quinze ans? Etrangement, nous n’avions encore jamais travaillé ensemble.»«Les astres ne s’étaient encore jamais alignés», répond Benedict Cumberbatch, révélé par la série Sherlock, qui lui a valu une multitude de fans –les «cumberbitches»–, et remarquable dans The Imitation Game ou The Power of the Dog. Jusqu’à ce que le scénariste Tony McNamara leur propose une variation contemporaine de La Guerre des Rose, la comédie noire de Danny DeVito (1989) dans laquelle Michael Douglas et Kathleen Turner ruinaient leur mariage à coups de vengeances grotesques. Tous deux ont mobilisé leurs sociétés de production respectives et ont nommé Jay Roach (Austin Powers, Scandale) réalisateur.
Dans cette nouvelle version, deux Britanniques élèvent leurs deux enfants dans une ville côtière américaine. D’abord, Ivy (Olivia Colman) s’efface pour sa progéniture, mais les rôles s’inversent lorsque son restaurant rencontre le succès tandis que Theo (Benedict Cumberbatch) abandonne sa carrière d’architecte à la suite d’un fiasco. Les enfants partis du nid, ils s’anéantissent à coups de sarcasmes de plus en plus toxiques et de piques venimeuses. De leur mariage de rêve, il ne reste rien.
Quel fut l’apport de Tony McNamara dans la naissance de The Roses?
Olivia Colman: Enorme. C’était son idée. Lorsqu’il nous a livré le scénario, nous n’avons pas hésité une seconde. Tony est un homme incroyablement aimable, toujours souriant, qui écrit de manière intelligente et spirituelle. Avec lui, on est entre de bonnes mains.
Benedict Cumberbatch: Il est capable de changer de ton comme si de rien n’était. Il a inséré dans le film des nuances extrêmement complexes sans qu’on s’en rende compte. C’est génial, de la dynamite!
Une comédie est toujours un pari risqué. The Roses s’appuie en outre sur un classique. Certains estiment qu’il ne faut pas y toucher.
O.C.: La Guerre des Rose était révolutionnaire. Je me souviens parfaitement de la première fois que je l’ai vu. C’est vrai que, parfois, il vaut mieux ne pas toucher à un film d’une telle qualité. Mais ce n’est pas un remake. Le film original est un point de départ. Nous avons pris une autre direction, avec amour et respect.
B.C.: Je comprends ce que vous voulez dire. La culture contemporaine recycle énormément de vieux matériaux. Elle s’autodévore. Mais The Roses possède sa propre identité. Il n’est pas nécessaire d’avoir vu l’original. Nous avons juste emprunté son cadre.
O.C.: L’art influence l’art. Ça a toujours été comme ça. Je vous mets au défi de me donner un exemple d’œuvre qui n’en a pas une autre pour origine. On est toujours inspiré par ce que l’on a déjà vu, consciemment ou non. Je trouve merveilleux qu’un film exceptionnel ait pu être notre source d’inspiration.
Un des contrastes par rapport au film de DeVito est sa touche britannique, avec des personnages anglais et des attaques verbales d’une grande virulence.
B.C.: Nos personnages s’installent en Amérique pour fuir ce qu’ils considèrent comme typiquement britannique.
O.C.: Mais un Britannique ne le devient-il pas encore plus lorsqu’il vit à l’étranger?
B.C.: «I don’t drink coffee, I take tea, my dear. I’m an Englishman in New York. Oh, I’m an alien, I’m a legal alien.» C’est ça? Désolé pour la déformation, Sting! Il y a du vrai là-dedans. Je remarque que les Britanniques qui vivent depuis longtemps en Amérique font encore plus attention à leur received pronunciation (NDLR: l’anglais standard traditionnel). Ils essaient de parler comme la reine. Un peu comme toi, Olivia…
O.C.: Et pourquoi pas? J’ai incarné la reine!
«L’idée qu’une femme puisse trouver un homme inintéressant parce qu’il a connu un échec est absurde.»
Autre différence majeure: l’homme souffre du succès de sa femme et de ne plus être le pourvoyeur d’argent.
B.C.: Après son fiasco professionnel, Theo s’investit de manière obsessionnelle dans l’éducation de ses enfants. De dépendants au sucre, il les transforme en athlètes accomplis et exclut sa femme de la parentalité. Il a perdu une part de son estime de soi et tente de compenser. Son refus d’affronter son échec est étrange, car on le lui rappelle constamment. Même ses amis le considèrent comme un raté.
O.C.: Puis-je dire quelque chose à ce sujet?
Allez-y.
O.C.: Je trouve très drôle qu’un des amis de Theo lui dise: «Tu es un raté et les femmes n’aiment pas ça.» C’est drôle parce que c’est absurde. Peut-être existe-t-il quelque part une femme qui pense ainsi, mais parmi mes amies, vous n’en trouverez aucune. Un mari ou partenaire ne devient pas soudainement un raté repoussant parce qu’il a échoué dans quelque chose. Ces moments font partie de la vie. Désolée pour la leçon, mais j’ai une aversion viscérale pour cette idée absurde qu’une femme puisse trouver un homme inintéressant parce qu’il a connu un échec. Messieurs, ne vous laissez pas décourager par ça!
B.C.: N’apprenons-nous pas davantage de nos échecs que de nos succès? C’est le célèbre mantra de Samuel Beckett: «Try again. Fail again. Fail better» (NDLR: Essaie encore, échoue encore, échoue mieux).
Dans le film, vous vous déchirez à coups de répliques venimeuses. Nous ne sommes plus habitués à tant de férocité. Rien n’était trop cruel?
O.C.: J’ai trouvé très malaisant le moment où Ivy fait semblant d’avoir reçu des coups de Theo. J’ai dû me laisser convaincre. Cette scène n’est pas là pour se moquer des victimes. Elle veut seulement montrer qu’il est un type exécrable. C’est cruel de sa part, car lui n’userait jamais de violence physique.
B.C.: Certaines piques sont effectivement malsaines. Nous restions toujours prudents, même en postproduction. Hélas, nous vivons dans un monde où de telles choses arrivent et cela n’a rien de comique.
Question délicate. Quelle était la solution?
B.C.: Il était essentiel de trouver le bon ton et de ne jamais suggérer que nous trouvons la violence conjugale drôle. C’est tout sauf le cas. Mais c’est clairement une comédie: un film qui utilise la comédie physique pour exprimer certaines choses. Devons-nous vraiment préciser «ne faites jamais ça à la maison»? Au fond, Theo et Ivy s’aiment. Ils sont seulement tombés dans un piège. L’humour tranchant fait partie de leur dynamique et ce n’est pas un problème en soi. Mais lorsqu’ils se perdent de vue, cette habitude peut entraîner une escalade et une polarisation extrêmes.
Franchise et diplomatie
Dites-vous toujours les choses sans détour?
B.C.: Je trouve, Olivia, que c’est l’un de tes superpouvoirs: dire immédiatement ce que tu penses sans pour autant mettre tout sens dessus dessous. Je trouve cela désarmant et brillant. Je ne suis sûrement pas le seul à t’envier et à me dire: si seulement je pouvais parler aussi librement. Moi, je suis un affreux people pleaser (NDLR: une personne qui cherche constamment à satisfaire les autres).
O.C.: Sur un plateau de tournage, il faut exprimer son opinion, mais dans mes amitiés et relations personnelles, je ne dis pas forcément tout ce qui me passe par la tête. Il m’arrive de me taire pour ne blesser personne. «Affreux people pleaser» n’est d’ailleurs pas une expression qui t’honore. Je pense que tu es très empathique, ce qui est bien différent d’être obsédé par l’approbation. Tu devrais aussi apprendre à accepter un compliment sans le désamorcer par une plaisanterie. Exerçons-nous. Je vais dire quelque chose de gentil, et tu vas répondre «merci». Tu es empathique et très doué pour mettre les gens à l’aise.
B.C.: Merci.
«Il faut embrasser l’idée qu’on ne peut changer quelqu’un.»
Vous êtes tous deux mariés depuis de nombreuses années. Quel est votre secret? Récemment, un prêtre affirmait que les couples divorcent parce qu’ils se lassent l’un de l’autre, comme on se lasse d’un tapis.
B.C.: Je suis heureux que ce ne soit pas mon prêtre! Je considère qu’il s’agit d’une colossale erreur que de trouver soudain inintéressant ce qui nous attirait profondément, par simple ennui. Malheureusement, on commet cette erreur constamment. On veut être divertis à chaque minute. On exige sans cesse de la nouveauté. Notre environnement nous y pousse. Nous devrions être plus vigilants à cet égard.
Est-ce là votre conseil conjugal?
B.C.: Il faut aimer son partenaire tel qu’il est. Cela doit suffire. Il ne faut pas vouloir qu’il ou elle fasse plus ceci ou moins cela. Il faut embrasser l’idée qu’on ne peut pas changer quelqu’un. Chérissez cela. Aidez-le s’il a besoin de soutien, soutenez-le s’il veut entreprendre autre chose. Mais ne croyez pas que vous pouvez changer l’autre. Ça ne fonctionne pas comme ça.
O.C.: Je vais te contredire. Mon mari, Ed, est aujourd’hui excellent pour faire les lits, alors qu’au départ il était maladroit et n’en voyait pas l’intérêt. Les partenaires peuvent changer. Aujourd’hui, nous formons une équipe rodée quand il s’agit de border les lits. Nous savons parfaitement qui doit secouer le duvet et quand, pour obtenir un pli parfait. Même lui comprend désormais la satisfaction que procurent des draps parfaitement pliés.
Les autres sorties de la semaine
Caught Stealing (Pris au piège)
Niko Tavernise
Thriller de Darren Aronofsky. Avec Austin Butler, Zoë Kravitz, Matt Smith. 1h47.
La cote de Focus: 2,5/5
Qu’on aime ou non Darren Aronofsky, il faut saluer son aptitude à constamment surprendre et changer de style. Ainsi, après avoir acquis toutes les faveurs de l’Académie grâce à The Whale, voilà qu’il emprunte un virage à 180 degrés avec Caught Stealing, petit crime-thriller sans prétention porté par la jeune génération (Austin Butler et Zoë Kravitz). Un film qui sent bon les années 1980-1990, avec son intrigue à la After Hours où un jeune quidam se retrouve embarqué malgré lui dans une affaire tortueuse à base de mafia russe, de flics corrompus et de battes de baseball. Atmosphère vintage et poisseuse, bande-son punk, casting cinégénique: dans un premier temps, Caught Stealing semble avoir toutes les cartes en main pour divertir. Malheureusement, la tendance du scénario à toujours se reposer sur l’idiotie –aucun personnage ne prend de décisions cohérentes– escamote largement le charme du film, qui se révèle finalement assez convenu et laborieux.
J.D.P.
Une langue universelle
Comédie de Matthew Rankin. Avec Matthew Rankin, Pirouz Nemati, Rojina Esmaeili. 1h29.
La cote de Focus: 3/5
Niko Tavernise
Un homme quitte la capitale pour rentrer dans sa ville d’origine, au chevet de sa mère malade. Chez lui, les bâtiments sont gris ou beiges. Ils sont cubiques, imposants, colonisent l’espace entre les routes aériennes, et les espaces vides abandonnés à la neige. Dans ces décors géométriques qui fleurent bon la modernité fantasmée d’un passé révolu, les humains, petits points dans l’espace, vaquent à des occupations que d’aucuns jugeraient vaines. Deux enfants se lancent dans une épopée fragile pour délivrer un billet de la glace. Un guide touristique renseigne son audience sur les «œuvres» éphémères d’un drôle de musée en plein air, celui d’une civilisation au point mort, un centre commercial désertique, une mallette abandonnée sur un banc. Ah oui, et puis, on est à Winnipeg, Canada, mais tout le monde parle le farsi.
C’est quoi, une langue universelle? Pour Matthew Rankin, il s’agit de toute évidence du cinéma. Le sien emprunte frontalement à ceux de Jacques Tati, les deux Anders(s)on, Wes et Roy, et bien entendu au cinéma iranien, à commencer par celui d’Abbas Kiarostami. L’imaginaire cinématographique de Rankin ne s’embarrasse pas des frontières territoriales, et use (et abuse parfois) de l’absurde comme laisser-passer. Comme son Canada où semble s’être réfugiée une vaste communauté farsi, son cinéma est une terre d’accueil pour le spectateur, laissant libre cours à l’interprétation de chacun. Ainsi de l’omniprésence de la dinde comme animal totem, on pourrait déduire une sorte d’uchronie, des édifices figés dans le temps une modeste dystopie postapocalyptique. Avec ce «film monde» qui multiplie les citations, Rankin offre un objet à l’esthétique intrigante mais où le formalisme et le recours systématique à l’absurde peuvent à la longue agacer, malgré quelques séduisantes percées mélancoliques.
A.E.
Le Tombeau des lucioles
Film d’animation d’Isao Takahata. Avec Tsutomu Tatsumi, Ayano Shiraishi, Yoshiko Shinohara. 1h28. Les 30 août, 4, 7 et 20 septembre, à Flagey, à Bruxelles.
La cote de Focus: 4/5
Niko Tavernise
Moins célèbre que Hayao Miyazaki, Isao Takahata a pourtant développé au fil des années une filmographie hétérogène et passionnante, marquée par un regard plus sombre sur les sociétés modernes. Au sommet de son œuvre règne Le Tombeau des lucioles, proposé pour quatre dates à Flagey, drame poignant sur deux enfants devenus orphelins après les bombardements américains sur la ville de Kobe lors de la Seconde Guerre mondiale. Sans pathos ni enjolivement, Takahata dévoile les horreurs de cette époque troublée avec une frontalité rare. Mais loin de se contenter d’un simple étalage des cruautés, il offre surtout un récit épuré aux contours universels; impossible de ne pas voir dans ce frère protecteur et sa petite sœur fragile le miroir déformé de millions d’autres victimes de conflits armés, d’hier ou d’aujourd’hui.
J.D.P.