Quentin Dupieux: le mystère du rire
Auteur avec Mandibules d’un nouvel ovni étrange et siphonné qui expérimente à l’instinct, Quentin Dupieux a la comédie dans le sang. Entretien.
Il ne cesse de le répéter depuis plusieurs années: à travers ses films, Quentin Dupieux (Steak, Rubber, Wrong, Réalité) ne cherche à produire absolument aucun commentaire sur le monde dans lequel on vit. Il y a deux ans, en pleine promotion du Daim avec Jean Dujardin, il allait même jusqu’à nous dire: « Je crois sincèrement que ma plus grande qualité en tant que cinéaste, c’est que bien souvent, en tournant, je ne sais absolument pas ce que je suis en train de faire. » Adepte d’un cinéma pour le cinéma -pour son grain, sa folie, ses images, ses sensations, son langage, ses émotions…-, Dupieux est un réalisateur qui fonctionne invariablement à l’instinct. Joint cette fois-ci par téléphone pour parler de Mandibules (lire la critique), nouveau long métrage où il embarque dans une virée loufoque deux amis niais flanqués d’une mouche géante, il précise: « C’est toujours vrai aujourd’hui. Je n’intellectualise absolument pas mon cinéma. Et je ne sur-réfléchis pas mes idées. Après, je suis très content que les gens décryptent mes films pour moi et qu’ils projettent sur eux des interprétations. Mais en aucun cas il n’y a un commentaire ou une proposition de commentaire de ma part. J’aime simplement m’inspirer d’éléments présents dans ce petit théâtre qu’est la vie pour élaborer un univers volontairement détaché du réel. »
À l’origine du film, il y a cette vieille idée qu’il traîne depuis plusieurs années sans trop savoir qu’en faire d’une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture. Mais le vrai déclencheur à même de canaliser cette inspiration première intervient quand il se pique d’écrire un film pour le duo de comiques du Palmashow, Grégoire Ludig et David Marsais. « Le film est véritablement né dans l’envie que j’avais d’écrire pour eux. Plus que pour la mouche. À la vision du film, je crois qu’on se rend bien compte, en effet, que je prends davantage de plaisir à raconter les deux personnages que la mouche. Bien sûr celle-ci représentait un défi technique excitant. Mais moi je sais que mes véritables enjeux sont plutôt dans la comédie. C’est-à-dire que ce qui m’intéresse avant tout c’est de faire rire le public. C’est d’ailleurs à peu près ma seule motivation. Donc en fait, très vite, la mouche n’est plus qu’un élément qui aide l’histoire à être drôle. Et c’est tout. Je suis davantage préoccupé par des questions de rythme et de jeu, par exemple. »
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Du rythme, peut-être, mais toujours au feeling. Faire rire, en effet, selon Quentin Dupieux, ne relève jamais d’une science exacte. « J’irais même plus loin: c’est toujours un mystère de voir pourquoi les gens rigolent à un moment plus qu’à un autre face à un film. Je sais qu’il y a des types dont c’est la spécialité de maîtriser parfaitement les questions de timing. Chez moi, ça reste davantage de l’ordre du ressenti. Je ne maîtrise absolument pas la science du rire, et c’est tant mieux. Mon cinéma, du coup, est un petit peu accidenté. Et je le revendique. C’est-à-dire que tout n’est pas drôle. Il y a des tentatives qui tombent à l’eau. Il y a des blagues qui sont meilleures que d’autres. Et puis il y a une petite étrangeté, une espèce de différence, qui naît du fait que mes idées sont tellement libres dans ma tête que finalement parfois ce n’est pas drôle mais que ça crée autre chose qui est parfois même peut-être plus intéressant que le rire. On n’est jamais convaincu qu’un truc est drôle avant de le montrer. Le public est souvent surprenant. C’est parfois très curieux. Et je dois dire que j’adore ça. Cette incertitude, cette imprévisibilité-là. »
Roméo et Adèle
Aux côtés du duo Ludig-Marsais, le cinéaste français, toujours partant pour tenter des choses, donne sa chance à deux têtes connues qu’on ne s’attendait pas forcément à retrouver là: Roméo Elvis et Adèle Exarchopoulos. Rappeur en probation, le premier fait ses tout premiers pas au cinéma, tandis que la seconde casse la baraque dans un registre régressif qu’on ne lui connaissait pas. « J’ai toujours essayé d’amener des gens un peu différents dans mes films. Il y avait des types de la scène électronique française dans Nonfilm, Marilyn Manson dans Wrong Cops… J’aime bien créer des combinaisons particulières, sortir de la grande famille du cinéma. Comme quand on fait un dîner: c’est toujours chouette de rassembler des gens d’horizons différents. Roméo, on le sentait hyper heureux d’être là. Sa présence est très intéressante. Il apporte une fraîcheur, un charisme assez à part. Quant à Adèle, c’était un vrai délice. Dès qu’elle arrivait sur le plateau et qu’elle rentrait dans son personnage en hurlant, on se régalait. Elle a vraiment fait un truc assez extraordinaire où tous les curseurs sont à fond. Elle était tellement vivante dans son personnage, ce n’était tellement pas fabriqué comme façon de jouer… Et en même temps, elle portait tout l’aspect comique sur ses épaules. C’est-à-dire que si ça ne fonctionnait pas, elle bousillait le film. C’était assez vertigineux. »
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Dupieux, lui, pas du genre à chômer, a déjà mis en boîte son prochain film et s’apprête à tourner le suivant. « J’ai l’impression que plus je fais de films et plus mes films sont intéressants. Alors voilà, on en reparle dans dix ans mais je pense que je suis sur une belle courbe, et j’ai le sentiment, en fait, de n’en être qu’au commencement. Le prochain s’appelle Incroyable mais vrai. C’est une histoire fantastique, avec Alain Chabat. Le film parle des turpitudes des êtres humains de notre époque. Il y a toujours des choses assez farfelues, mais c’est quand même un peu plus sérieux, plus adulte, que ce que j’ai fait jusque-là. Et le suivant, que je vais tourner bientôt, c’est vraiment trop tôt pour en parler, mais attendez-vous à un film dingue, super dingue, mais vraiment dingue next level, quoi. » Et si Mandibules cartonne dans les salles, Dupieux promet déjà un autre film dans la même lignée. Son titre? Tentacules. Ce qui s’appelle avoir de la suite dans les idées…
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