Critique

[critique ciné] Mandibules, de Quentin Dupieux: fine mouche

Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Quentin Dupieux déroule les aventures de deux gentils benêts aux prises avec une mouche géante dans une comédie sagace sous ses délires crétins.

Après le pneu tueur de Rubber (2010), le monde sens dessus dessous de Wrong (2012), le cri Graal de Réalité (2014) ou la veste fétichisée du Daim (2019), voici donc la mouche géante de Mandibules. Quentin Dupieux (lire son interview), c’est sûr, a de la suite dans les idées, qu’il a plutôt barrées. Le pitch tient en une phrase: Jean-Gab et Manu, deux amis fauchés et simples d’esprit, trouvent une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture et se mettent en tête de la dresser afin de gagner un peu d’argent avec. C’est à la fois beaucoup et pas grand-chose, complètement fou et presque banal. Soit tout l’art équilibriste du réalisateur français: imaginer le pire pour en tirer le meilleur, sembler n’aller nulle part et s’ouvrir tous les possibles, dans une espèce de logique marabout-bout d’ficelle qui convoque aussi bien l’absurde que la fausse naïveté.

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Sous le signe du taureau

Comme dans Au poste! voici trois ans, Dupieux fait appel à Grégoire Ludig pour tenir le rôle-clé de son film. Avec David Marsais, son compère du duo d’humoristes Palmashow, il forme un tandem de doux crétins qui s’inscrit dans la grande tradition américaine, à la Dumb & Dumber, d’imbéciles heureux dont l’idiotie pépouze, sans avoir l’air d’y toucher, a valeur de révélateur. Ce n’est pas pour rien, en effet, que certains voient dans Mandibules le tout premier film à teneur véritablement sociale de Quentin Dupieux. Branleurs finis chargés d’une mission obscure par des puissants friqués dont les motivations demeurent totalement incompréhensibles pour eux, clochards célestes parachutés sur un malentendu dans une luxueuse villa avec piscine aux côtés d’une jeunesse dorée dont les codes leur échappent, ils sont constamment les témoins plus ou moins nonchalants de l’infantilisation et de la régression de la société, qu’ils incarnent au fond pour leur part de la manière la plus littérale, et donc aussi la plus pure, la plus sincère qui soit. Leur signe de ralliement? Un loufoque « taureau« , qu’ils déclinent à toutes les sauces, gestes sommaires à l’appui, et qui rappelle immanquablement le fameux « bottine » que Dupieux glissait dans la bouche d’Éric et Ramzy dans Steak, en 2007, autre road-movie lunaire épinglant quelques vérités bien senties sous ses délires niais.

Bien aidé également en cela par Adèle Exarchopoulos, qui se donne sans compter dans la peau d’une irrésistible retardée qui ne peut s’exprimer qu’en hurlant, Mandibules gagatise allégrement pour mieux fissurer le masque lissé du grand corps social et en laisser deviner toutes les tares. Son hédonisme rêvasseur invite à ne rien faire de malin ni surtout d’intéressé, à glander au soleil, sur la plage, en laissant les mouches voler. Une philosophie de vie en soi, qu’il est bon d’embrasser dans les rires et la joie.

Comédie fantastique de Quentin Dupieux. Avec Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopoulos. 1h17. Sortie: 09/06. ***(*)

[critique ciné] Mandibules, de Quentin Dupieux: fine mouche

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