Margaret Qualley (Kinds of Kindness): «Je suis plus optimiste que Yórgos Lánthimos sur la vie. C’est clair!»
Dans Kinds of Kindness de Yórgos Lánthimos, Margaret Qualley démontre une fois de plus qu’elle est l’une des actrices les plus aventureuses de sa génération. « L’inconfort n’est pas forcément une mauvaise chose« , confie-t-elle.
Vous êtes prêt?« , demande Margaret Qualley lorsqu’elle s’installe, large sourire aux lèvres, dans une suite de l’hôtel Carlton à Cannes. La jeune femme déborde d’enthousiasme. Celles et ceux qui l’ont vue à l’œuvre dans la fable sixties de Quentin Tarantino Once upon a Time…in Hollywood, dans le thriller d’espionnage moite Stars at Noon de Claire Denis ou, plus récemment, dans le road-trip lesbien Drive-Away Dolls d’Ethan Coen, savent que l’actrice américaine donne toujours le meilleur d’elle-même. Libre, sans peur ni inhibition. Et de préférence loin du grand Hollywood.
Il en va de même pour Kinds of Kindness (lire la critique ici), sa deuxième collaboration avec Yórgos Lánthimos. C’est à l’occasion de sa présentation sur la Croisette que nous rencontrons l’actrice plutôt joviale. Le réalisateur grec l’avait déjà entraînée dans son univers absurde dans Poor Things (Pauvres créatures, sorti en salles le 17 janvier dernier). Cette version victorienne et féminine de Frankenstein a valu un Oscar à Emma Stone pour son interprétation de l’adorable monstre de service. Dans ce nouveau film, beaucoup plus froid, Lánthimos fait jouer à un quatuor d’acteurs -Jesse Plemons, Willem Dafoe, Margaret Qualley et Emma Stone, elle aussi de retour de Poor Things– trois histoires distinctes dans lesquelles ils interprètent à chaque fois des rôles différents.
Avec ce film, le cinéaste de Canine et The Lobster nous offre un triptyque sur les aléas du destin, le pouvoir, la manipulation et la douleur d’exister. Central dans les trois courts métrages, Jesse Plemons incarne tour à tour un domestique sous la coupe de son patron, un homme marié membre d’une étrange secte et un flic qui soupçonne que la femme qu’on lui présente comme étant la sienne n’est pas la même que celle qui avait disparu quelques temps auparavant. Une fois de plus, Yórgos Lánthimos frappe fort avec sa précision clinique dans l’image et un triptyque misanthropique à l’atmosphère étouffante.
Il y est aussi question de l’absurdité des relations humaines, et Margaret Qualley de s’y glisser en revêtant différents habits. Pas sûr que toutes les jeunes actrices de son âge aurait accepté le défi de certaines scènes comme celle d’un brûlant ménage à quatre. La fille de l’iconique Andie MacDowell a fait siennes l’énergie et l’audace. Des qualités qui l’animaient déjà lorsqu’elle aspirait à une carrière de danseuse classique ou qu’elle brillait comme mannequin pour Chanel et Valentino. Ou lorsqu’elle incarnait l’adolescente perturbée Jill Garvey dans The Leftovers, série fantastique qui lui a permis de percer en tant qu’actrice il y a environ sept ans.
« J’essaie toujours de choisir des projets qui me mettent au défi et me sortent de ma zone de confort« , déclare celle que l’on verra également prochainement comme version jeune et mutante de Demi Moore dans The Substance, le thriller horrifique délicieusement électrique de Coralie Fargeat, grande surprise du dernier Festival de Cannes. « J’apprends, je découvre et ça me permet de me développer en tant qu’actrice et en tant qu’être humain.«
Après Poor Things, vous retrouvez Yórgos Lánthimos pour Kinds of Kindness, comédie existentielle d’une grande noirceur. Qu’est-ce que cela fait d’être adoptée par la famille Lánthimos?
Margaret Qualley: Eh bien, comme dans toutes les familles, c’est fou. (rires) Mais d’une manière positive et libératrice. Je me sens encore comme le bébé de cette famille. L’un des atouts de Yórgos Lánthimos est de pouvoir réunir un tel casting. J’y ai retrouvé presque tous mes acteurs préférés. On apprend énormément en regardant Emma Stone, Willem Dafoe et Jesse Plemons naviguer, se préparer et interagir les uns avec les autres dans leur travail. C’est un cours d’art dramatique en soi.
Poor Things a été un grand succès. Kinds of Kindness est sans doute moins évident par sa structure de trilogie et par son atmosphère beaucoup plus sombre. Quelle a été votre première réaction à la lecture du scénario?
Margaret Qualley: En recevant le scénario, je savais à l’avance quel rôle je jouerais, je n’ai pas pu faire autrement que de m’y intéresser en premier. Ce que je devais faire ici ou là. C’était fou: c’était comme si je ne pouvais pas apprécier le film dans son ensemble, jusqu’à ce que je voie le résultat final lors de la première. Sur le tournage, j’étais comme en chute libre, sans parachute. Mais en sachant que Yórgos se tenait prêt à me rattraper et à me remettre sur pieds en toute sécurité.
Que vous est-il venu à l’esprit en voyant le film pour la première fois?
Margaret Qualley: (silence) Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a beaucoup à avaler (rires). Le film est à la fois dégoûtant, triste, drôle, impressionnant. Chacun le lira à sa manière. Heureusement, je ne suis pas critique de cinéma qui doit tenir compte de chaque détail. C’est votre travail! Ceci dit, je suis plus optimiste que Yórgos sur la vie. C’est clair! Les personnages les plus aimants du film sont des animaux, pas les êtres humains. Mais c’est sa vision des choses. Ce n’est pas la mienne. Je suis simplement heureuse et lui suis reconnaissante de faire partie de cette vision. J’ai beaucoup appris à son contact.
Quoi donc?
Margaret Qualley: Il y a quelque chose de brut dans ce film, même s’il est beau, élégant. Je me suis sentie très vulnérable pendant le tournage, tout simplement parce que je n’arrivais pas à tout maîtriser. En fait, le film parle de la manière de garder le contrôle de sa vie et de l’impossibilité d’y parvenir. En tant qu’actrice, vous devez constamment négocier avec vous-même et avec le réalisateur pour vous fondre dans le rôle, vous immerger dans la scène. Mais ce film est tellement volatile et capricieux que cette fois-ci, je n’ai pas pu le faire. Je ne suis jamais rentrée chez moi en me disant: « J’ai réussi! Donnez-moi l’Oscar maintenant ». (rires) J’ai toujours considéré les trois histoires comme trois films distincts, parce qu’elles sont narrativement séparées les unes des autres, et parce que je me disais: « Je ne suis pas une actrice assez intelligente pour voir immédiatement le lien entre toutes ces choses. Et si je ne le vois pas, Yórgos, lui, le verra. » J’ai donc appris à accepter ce sentiment d’insécurité. L’inconfort n’est pas forcément une mauvaise chose. Cela fait partie de la profession, cela fait partie de la vie. Il peut aussi s’agir d’un point positif.
Est-ce la raison pour laquelle vous préférez les rôles de personnages ambigus, singuliers que ce soit dans le thriller érotique Stars at Noon, dans la comédie Drive-Away Dolls, ou encore dans The Substance, dans lequel on peut voir votre corps sous tous les angles?
Margaret Qualley: Dans mon travail, ce n’est pas l’audace que je recherche le plus activement mais plutôt les défis, l’originalité, les réalisateurs que j’admire et qui ont une vision spécifique du cinéma et de la vie. C’est ainsi que l’on se retrouve automatiquement avec des rôles un peu plus pointus que d’autres. Honnêtement, j’aimerais beaucoup jouer un jour dans une comédie romantique. Donnez-moi Titanic 2, s’il vous plaît! (rires) Le fait est que lorsque vous faites quelque chose qui sort des sentiers battus, soudain tous les producteurs de Hollywood se disent: « C’est un rôle bizarre et sauvage. Appelons Qualley ». J’aimerais bien faire quelque chose d’ordinaire pour changer. Des trucs girly.
Que regardez-vous le plus souvent? Du divertissement léger ou des films d’art et d’essai?
Margaret Qualley: Un peu de tout. Je suis une cinéphile gourmande. Je veux savoir ce qui se passe. Je veux connaître l’histoire du cinéma. Je suis les auteurs importants. C’est comme ça que ma mère m’a élevée.
En parlant d’Andie MacDowell, quand avez-vous su que vous vouliez suivre les traces de votre mère, avec laquelle vous avez joué dans la minisérie Maid il y a deux ans?
Margaret Qualley: Quentin Tarantino m’a rendu un grand service en me faisant jouer dans Once Upon a Time… in Hollywood. Cela m’a ouvert toutes sortes de portes. Claire Denis m’a vue dans ce film et m’a immédiatement voulue pour Stars at Noon. Ethan Coen était un fan et m’a engagée pour Drive-Away Dolls (normalement le premier volet de ce qui est censé être une trilogie de films lesbiens de série B, coécrit et réalisé par sa femme Tricia Cooke, NDLR). J’avais déjà travaillé pour le cinéma et la télévision, mais Once Upon a Time… in Hollywood m’a profondément marquée, comme une tape dans le dos. Du genre: arrête de tergiverser, vas-y, fonce!
Une vie sous les feux de la rampe implique une certaine pression médiatique et la quasi-absence de vie privée.
Margaret Qualley: Pour l’instant, ça reste un rêve devenu réalité. Je fais un travail que j’aime et j’ai pu fouler le tapis rouge de Cannes grâce à lui. Les gens vous applaudissent, aiment ce que vous faites. Alors ne nous plaignons pas et profitons-en, même si cela implique parfois des excès et une exposition médiatique intense. Surtout dans un festival du film. L’excès y est peut-être ce que j’aime le plus. Rassurez-vous: je suis toujours consciente que tout cela, cet hôtel, ce festival, ces vêtements, ce n’est pas normal.
Vous avez travaillé avec des réalisateurs américains comme Ethan Coen et Quentin Tarantino, mais aussi des auteurs européens comme Claire Denis et Yórgos Lánthimos. Avez-vous remarqué une différence dans leurs approches ou leurs visions?
Margaret Qualley: Kinds of Kindness et The Substance ont été réalisés par des Européens, mais les deux films se déroulent en Amérique. Yórgos est grec. Coralie Fargeat est française. Il est clair qu’ils ont chacun une vision très spécifique et très différente de la société américaine. Il est intéressant de voir comment les étrangers peuvent parfois observer et nommer certaines choses avec plus d’attention. Il en va de même dans la vie. Vous grandissez quelque part, vous vous faites un cercle d’amis, vous évoluez dans une certaine bulle, mais vous n’apprenez vraiment à vous connaître que lorsque vous déménagez en ville, quand vous allez à l’université et quand vous rencontrez de nouvelles personnes. Vous commencez alors à mieux comprendre d’où vous venez. Vous découvrez des choses sur vous-même sans soupçonner qu’elles vous définissent précisément. Un point de vue extérieur aide à mieux faire ressortir ces choses. Bien sûr, un Américain peut dire des choses pertinentes sur les cultures européennes, tout comme un Européen peut dire des choses sur les cultures américaines. C’est la conversation constante entre différents points de vue et cultures qui rend la rencontre fascinante et instructive.
Bio Express – Margaret Qualley
Née le 23 octobre 1994 à Kalispell, Montana, aux États-Unis.
Fille de l’actrice Andie MacDowell et de l’ancien mannequin Paul Qualley.
A étudié le ballet à la North Carolina School of the Arts et a poursuivi sa formation artistique à l’American Ballet Theatre et à la Royal Academy of Dramatic Art de Londres.
Travaille comme modèle pour Chanel et Valentino, entre autres.
Voit sa carrière d’actrice décoller grâce à son rôle de Jill Garvey dans la série HBO The Leftovers et ensuite grâce à son interprétation d’une jeune hippie dans Once Upon a Time… in Hollywood de Quentin Tarantino.
Mariée depuis l’été dernier au musicien et producteur Jack Antonoff. Le morceau de Lana Del Rey Margaret, co-écrit et produit par Antonoff s’inspire directement de la jeune femme.
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