Critique | Cinéma

Stars at Noon: une errance amoureuse sinueuse et sensuelle

3,5 / 5
Margaret Qualley: “Ma première impression quand j’ai lu le scénario? Je me suis dit que j’avais intérêt à améliorer mon espagnol…” © National
3,5 / 5

Titre - Stars at Noon

Genre - Drame

Réalisateur-trice - Claire Denis

Casting - Margaret Qualley, Joe Alwyn, Benny Safdie

Sortie - En salles

Durée - 2h17

Critique - Jean-François Pluijgers

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Margaret Qualley illumine Stars at Noon, le nouveau film de Claire Denis, une errance amoureuse sinueuse et sensuelle inscrite dans l’horizon chaotique d’un pays d’Amérique centrale.

Un rôle, bref mais mémorable, dans Once Upon a Time… in Hollywood, de Quentin Tarantino -Pussycat, la jeune hippie avec qui Brad Pitt débarque au Spahn Movie Ranch, c’était elle-, une présence récurrente dans la série The Leftovers et une autre au générique de la minisérie Maid, qui lui a valu de jouer face à sa mère, Andie MacDowell: à 28 ans, le parcours de Margaret Qualley a tout du sans-faute, auquel vient aujourd’hui s’ajouter un premier rôle, celui de Stars at Noon, le nouveau film de Claire Denis, présenté en compétition à Cannes. La jeune femme y incarne Trish, une journaliste américaine tentant désespérément de quitter le Nicaragua plongé dans le chaos, et se raccrochant aux uns et aux autres comme à autant de bouées de sauvetage. Jusqu’au jour où elle croise Daniel (Joe Alwyn), un Britannique débarqué là pour “affaires”, la relation intéressée se muant irrésistiblement en passion amoureuse, déclinée au gré d’une cavale incertaine.

Sentiment de communauté

On l’avait laissée en demoiselle en détresse à l’écran, on la retrouve, mélange de charme lumineux et de spontanéité -“Je suis quelqu’un de très direct”, professe-t-elle comme une évidence-, sur une terrasse surplombant la Croisette le lendemain de la projection officielle, étoile de midi du ciel cannois. Je voulais absolument travailler avec Claire Denis, j’ai dit oui avant même d’avoir lu le scénario, s’exclame-t-elle, alors qu’on lui demande comment elle s’est retrouvée associée au projet. Et de poursuivre: “J’avais vu beaucoup de ses films, des plus connus comme Beau travail, aux plus récents, comme High Life. Claire est une cinéaste si spéciale par la façon dont elle envisage la vie, par sa sensibilité. Ce qu’elle a de singulier, c’est son respect. Tout ne tourne pas juste autour d’elle, dans son petit monde, nous avons tous une vie entière d’expériences, et notre propre vision, et elle respecte l’humanité de chacun.

Si les personnages de Stars at Noon évoluent dans un cadre qui leur est étranger et, à divers égards, hostile, Margaret Qualley s’y est, pour sa part, retrouvée en terrain familier, son père s’étant installé il y a une quinzaine d’années au Panama, où a été tourné le film.Je connaissais donc le pays, pas très bien, mais quand même. J’avais séjourné à l’hôtel où descend Daniel la première fois que nous y étions allés en famille, c’était là que nous résidions avant que mon père n’achète sa maison. Et il y avait beaucoup de décors où j’étais déjà allée, c’était chouette d’être en terrain connu.” À quoi viendra se greffer le sentiment d’appartenir à une famille de cinéma: “L’équipe consistait en un tout petit groupe de gens, qui se connaissaient déjà en partant au Panama, auxquels s’est agrégée l’équipe panaméenne, et nous sommes devenus amis. Claire a une façon de travailler qui veut qu’elle utilise l’environnement dans lequel elle se trouve, et ça va jusqu’au casting: par exemple, Miguel, qui tient le bar dans le film, était le barman de notre hôtel dans la réalité, et le vice-ministre était le grand-père du premier assistant réalisateur. Tout le monde venait du coin, il y avait un sentiment de communauté.”

Héritage familial

Un moment à marquer d’une pierre blanche, de toute évidence, dans un parcours déjà riche, dont elle confie qu’il s’est construit “naturellement. Si l’on pourrait croire que la carrière d’actrice lui tendait les bras, eu égard à son ascendance maternelle, il n’en est pourtant rien assure-t-elle: “Plus jeune, j’ai fait de la danse, j’étais déterminée à devenir danseuse, et je n’ai d’ailleurs rien fait d’autre jusqu’à 16 ans. J’ai commencé les cours de comédie à 17 ans, après que mon premier petit ami m’y avait amenée. J’ai pu pleurer, crier, faire tant de choses que je me suis dit: “Oh my God, c’est tellement amusant, et ça convoque tellement de sentiments, on peut vraiment faire ça adulte et être payée? Waouw…” Et c’est alors que j’ai pensé que jouer pourrait devenir mon métier. C’est vraiment le plaisir du jeu qui m’a aspirée…” Hasard ou plutôt opportunité d’une carrière, elle pourra bientôt concilier ses deux passions en jouant Ginger Rogers dans Fred & Ginger, de Jonathan Entwistle, aux côtés de Jamie Bell, qu’elle avait déjà eu pour partenaire dans Donnybrook: “J’adore Ginger Rogers et Fred Astaire, les musicals hollywoodiens de la vieille école. Elle est incroyable, pleine de cran, avec toujours les tenues les plus cool et une telle attitude, l’air de dire: “Tout ce qu’il peut faire, je peux le faire en arrière et sur des talons encore bien”. C’est un sacré personnage…

Alors que le temps imparti pour l’interview s’égrène, inexorablement, le tournage de The Substance de Coralie Fargeat la réclamant à Paris, on demande encore à Margaret Qualley quel est le plus précieux conseil que lui ait prodigué sa mère quand elle a choisi de suivre ses pas, pour devenir mannequin et actrice à son tour. Rare moment d’hésitation: “Mmh… Elle aime ce qu’elle fait, et je dirais sans doute que c’est ça. Mes deux parents aiment ce qu’ils font. Mon père est un artiste, et il retire beaucoup de joie à pouvoir faire des choses fortes, magnifiques, comme il l’entend, avec son cœur. Et ça vaut pour ma mère également, qui travaille dur, fait des choses dans lesquelles elle croit, et en tire beaucoup de plaisir. J’ai l’immense privilège d’avoir des parents qui prennent du plaisir à faire leur travail, et qui m’ont motivée à faire la même chose, à trouver quelque chose qui me passionnait. Et j’ai aussi ce privilège rare de faire quelque chose que j’apprécie, et de gagner ma vie comme ça, ce qui est tellement rare, et dont je suis extrêmement reconnaissante…

Stars at Noon

De Beau travail à Un beau soleil intérieur, Claire Denis s’est imposée comme la tenante d’un cinéma sensoriel travaillé par les motifs du désir et de l’errance, affective (ou non). Des éléments qui infusent généreusement Stars at Noon, adapté du roman éponyme de Denis Johnson, que la réalisatrice a choisi de transposer du Nicaragua au temps de la révolution sandiniste à l’époque actuelle -pandémie du Covid incluse. C’est là, dans une Managua quadrillée par les militaires et en proie à la plus grande agitation à la veille des élections, que l’on découvre Trish (Margaret Qualley), journaliste américaine sans plus d’argent que de passeport, tentant désespérément de quitter le pays, et s’en remettant pour ce faire à la bonne volonté et la concupiscence de potentiels alliés -un sous-officier par-ci, un vice-ministre par-là. Moment où sa route incertaine croise celle de Daniel (Joe Alwyn), un sémillant Britannique venu là pour affaires, accosté dans le bar d’un hôtel international. Si leur rencontre est d’abord marquée du sceau d’un intérêt mutuel bien compris, la passion s’y insinue bientôt, le danger aussi, que semble aimanter l’énigmatique businessman. Et le couple, égaré dans l’embrouillamini local et dans les brumes alcoolisées, d’imaginer une fort hypothétique cavale à destination du Costa Rica tout proche… Cette intrigue plutôt improbable évoquant le cinéma d’espionnage -on pense vaguement à The Tailor of Panama, d’après John le Carré, le film ayant d’ailleurs été tourné dans l’isthme-, Claire Denis ne s’y intéresse que fort peu. Stars at Noon abonde ainsi en zones que la réalisatrice laisse délibérément dans l’ombre, pour mieux se consacrer à une errance amoureuse suspendue dans la moiteur cotonneuse d’un environnement hostile. À quoi sa caméra prête des contours sensuels -sa mise en scène sinueuse lui a valu le Grand Prix au dernier Festival de Cannes- et la musique des Tindersticks la délicatesse d’une caresse, Margaret Qualley y ajoutant le trouble.

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