« Le Peuple Loup » clôt la trilogie de fables irlandaises de Tomm Moore

Le Peuple Loup: un récit de résistance doublé d'un appel vibrant à la liberté.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Réalisateur de Brendan et le secret de Kells et du Chant de la mer, Tomm Moore s’associe à Ross Stewart pour clore sa trilogie de fables irlandaises avec une splendeur d’animation 2D géométrique influencée par l’art celtique. Magique!

Brendan et le secret de Kells en 2009, Le Chant de la mer en 2014… En deux longs métrages seulement, il s’est imposé comme l’un des cinéastes d’animation les plus talentueux et passionnants au monde. Aujourd’hui âgé de 44 ans, Tomm Moore clôture sa trilogie de fables dédiées au folklore irlandais de la plus belle des façons avec Le Peuple Loup, nouveau long métrage qui porte son art à des sommets vertigineux de maîtrise et d’ardeur. Disponible sur Apple TV+ depuis décembre 2020, le film, qui trouve enfin le chemin des salles obscures, noyaute son puissant récit d’émancipation autour d’une jeune apprentie chasseuse du XVIIe siècle amenée à se rapprocher d’une meute de loups victime de la folie des hommes. Pour un voyage émotionnel d’une sensibilité et d’une vérité rares qui est aussi, en sous-texte, le meilleur remède qui soit contre les politiques de la peur.

Joint par Zoom, le cinéaste irlandais, épaulé pour l’occasion à la réalisation par son collaborateur de longue date Ross Stewart, revient sur la genèse de ce projet hors du commun: « Le mythe à l’origine de l’histoire du Peuple Loup remonte peut-être à un millénaire. Certains en situent même la naissance au Ve siècle après Jésus-Christ, au moment où vécut Patrick d’Irlande, le saint patron du pays. Il s’agit du mythe des loups-garous d’Ossory, un royaume de l’époque médiévale. C’est une légende un peu oubliée par les Irlandais aujourd’hui parce que les loups ont disparu de nos contrées depuis plus de 200 ans et aussi qu’on parle là d’un folklore très local. Mais il se trouve que j’avais entendu parler de ce mythe quand j’étais adolescent et qu’il est resté présent dans un coin de ma tête. À vrai dire, je m’étais toujours dit que ça pourrait me servir un jour pour un projet de film… À l’arrivée, l’histoire du Peuple Loup résulte d’un grand mix personnalisé d’éléments disparates hérités de la tradition orale irlandaise et de choses que nous avons lues à gauche à droite. C’est un grand collage qui n’a cessé d’évoluer au gré de nos propres obsessions. »

Situant son action à une époque où l’Angleterre cherchait coûte que coûte à « civiliser » l’Irlande en rasant ses forêts et en tentant d’exterminer les loups qui incarnaient symboliquement le caractère indomptable du pays, le film prend la forme d’un récit de résistance doublé d’un appel vibrant à la liberté. Mais, réalisé en simple 2D et privilégiant le dessin fait main, il évoque jusque dans sa forme même un acte de résistance et de liberté. « Tout le film a en tout cas été conçu comme une célébration du dessin à main levée, oui, ça c’est clair. Vous savez, c’est la manière dont nous avons toujours travaillé et nous avons eu le sentiment de ne pas cesser de nous améliorer au fil des années. Il nous tenait ainsi à coeur de convoquer chaque leçon apprise au cours du temps pour faire du Peuple Loup le plus bel objet cinématographique possible. Et puis, le fait qu’aujourd’hui la plupart des longs métrages d’animation ont recours aux images de synthèse nous encourage d’autant plus dans la voie très organique que nous avons choisie. Nous sommes heureux et fiers de proposer quelque chose de différent, voire d’unique, dans le paysage actuel. »

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Montagnes russes

Esthétiquement, Le Peuple Loup est marqué par une dualité de traitement entre la ville, aux couleurs froides et aux lignes droites qui renvoient à l’idée de rigidité et l’assimilent à une sorte de prison, et la forêt, aux couleurs beaucoup plus vives et aux lignes courbes qui renvoient à l’idée d’harmonie et l’assimilent à un espace d’émancipation. Mais le film développe également d’inoubliables séquences en point de vue subjectif qui reflètent la vision animale de sa fille-louve, et permettent d’approcher au plus près ses sensations, dans une logique immersive proche d’un rendu 3D. « Très tôt au cours du processus créatif, nous avons eu l’intuition que le film nécessitait ces moments conçus comme de véritables tours en montagnes russes, afin de traduire le plus intensément possible l’exaltation ressentie par notre jeune protagoniste au contact de sa nature la plus sauvage. Les loups sont capables de littéralement sentir les émotions, ils ont une expérience du monde tout à fait différente de la nôtre, qui passe énormément par l’odorat mais aussi par l’ouïe, et c’était un formidable défi pour nous d’arriver à traduire ça à travers ce médium essentiellement visuel qu’est le cinéma. Cette manière de casser le rendu 2D de notre univers animé pour y apporter soudainement davantage de profondeur nous permet ainsi de figurer de manière quasiment sensorielle pour le spectateur l’éveil à la liberté et à une nouvelle conscience auquel accède notre héroïne dans le film.« 

À bien des égards, Le Peuple Loup fait, à l’arrivée, figure de digne cousin européen du Princesse Mononoké d’Hayao Miyazaki. Tomm Moore ne fait d’ailleurs pas mystère de l’influence décisive que sa découverte tardive du travail du studio Ghibli a pu avoir sur son nouveau film. « Durant l’élaboration d’un film, nous baignons constamment dans tout un tas de références visuelles qui nous servent en quelque sorte de boussoles créatives. Et donc oui, s’agissant de Ghibli, quand nous avons découvert le splendide Conte de la princesse Kaguya d’Isao Takahata, nous nous sommes demandé si nous serions capables d’aller encore plus loin en termes d’expressivité. Mais c’était également le cas s’agissant de certaines séquences du récent Spider-Man: Into the Spider-Verse, par exemple. C’est très inspirant, et aussi très challengeant, de constater à quel point certains n’hésitent pas à repousser les limites de ce qui semblait jusque-là possible créativement parlant. »

Le Peuple Loup. De Tomm Moore et Ross Stewart. 1h43. Sortie: 20/10.****(*)

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