Laure Calamy, pion central de L’Origine du mal, le vénéneux thriller de Sébastien Marnier

Stéphane (Laure Calamy) et Louise (Dominique Blanc): la lutte des classes revisitée. © National
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

De Dix pour cent en Antoinette dans les Cévennes, Laure Calamy s’est imposée comme l’un des visages incontournables du cinéma français. Elle joue avec maestria de son image dans L’Origine du mal, thriller vénéneux de Sébastien Marnier.

Laure Calamy, les cinéphiles l’avaient découverte aux côtés de Vincent Macaigne dans Un monde sans femmes, une chronique douce-amère de Guillaume Brac, inusitée jusque dans son format, celui d’un moyen métrage. Depuis, les deux comédiens ont suivi des voies parallèles, menant du théâtre au cinéma indépendant, pour ensuite s’imposer, l’air de rien, comme les nouveaux visages du cinéma français. Tendance lunaire pour lui, plus populaire pour elle, que ses rôles dans Antoinette dans les Cévennes ou À plein temps, pour ne citer que les plus récents, ont profilée en possible “girl next door”, les pieds sur terre sans doute, mais le grain éventuel toujours en option.

L’Origine du mal: une sororité de circonstance pour solder le patriarcat.
L’Origine du mal: une sororité de circonstance pour solder le patriarcat. © National

Aller souiller tout ça

Qualités qui irriguent aujourd’hui L’Origine du mal, thriller de Sébastien Marnier dont elle est l’élément moteur sous les traits de Stéphane, jeune femme de condition modeste retrouvant la trace de son père, pour se voir propulsée au sein de la haute bourgeoisie, conséquences vénéneuses à la clé. Un casting coulant de source, pour le réalisateur: “On ne compare jamais les trucs, mais moi, j’étais complètement fan d’Annie Girardot, et je retrouve quelque chose d’elle chez Laure, une actrice hyper-proche des gens tout en étant quand même fantasque, mais à qui on peut s’identifier tout de suite. J’avais besoin, pour ce personnage pour le coup assez désaxé, d’une comédienne pour laquelle le spectateur aurait une empathie immédiate, et c’était vraiment l’actrice idéale pour ça. Ce qui m’intéressait, c’était de lui faire faire un pas de côté. Même si au théâtre, elle avait déjà fait des trucs complètement barjots et punk, c’était une zone qu’on n’avait pas encore complètement vue au cinéma, et quelque chose qu’elle avait vraiment envie de jouer.” Ce que Laure Calamy confirme sans se faire prier: “Qu’on me propose un rôle pareil m’a grandement excitée, avec aussi la peur que ça peut engendrer de ne pas être à la hauteur. Avec Sébastien, au départ, on s’est posé la question de me changer vraiment, d’avoir une coiffure complètement différente, etc. Mais très vite, on s’est dit qu’il fallait partir de ce que l’on connaît de moi, parce que c’est ça qui l’intéressait: comme j’ai plutôt joué des personnages pour lesquels les gens ont de l’empathie, en tout cas en ce qui concerne Noémie dans Dix pour cent ou Antoinette, de pouvoir justement aller souiller tout ça. Du coup, c’était assez jouissif pour moi, d’aller vers un autre cinéma, que je n’avais pas encore pu explorer, et une autre grammaire.” Un saut dans le vide, en quelque sorte, histoire de donner corps à Stéphane, un personnage s’avançant masqué sur un fil tendu entre candeur apparente et quelque chose que l’on devine plus âpre. Et un registre dans lequel l’actrice excelle, trouvant la note juste pour préserver son ambiguïté à cette femme aux deux visages, dont elle restitue la porosité.

Par Stéphane interposée, c’est encore la confrontation entre deux mondes que met en scène L’Origine du mal, le film trouvant là une dimension sociale débordant bientôt du mépris de classe – “cette violence-là demeure jusqu’au bout”- pour embrasser la déliquescence programmée semblant devoir emporter la famille comme le patriarcat. Un mouvement auquel la jeune femme assiste aux premières loges: “Elle s’attaque à quelque chose qu’elle n’avait sans doute jamais risqué dans sa soif d’amour et de reconnaissance. Pour découvrir qu’elle se retrouve elle aussi dans les filets de “ce camp concentrationnaire plein de névroses dégueulasses qu’est la cellule familiale”, comme le dit Virginie Despentes.” Quant à la charge contre le patriarcat, elle débouchera, sinon sur une sororité inédite, du moins sur une alliance de circonstance -manière, pas du tout incidemment, de raccorder le film à notre époque.

De quoi aussi, après À plein temps d’Éric Gravel, et en attendant Annie Colère de Blandine Lenoir, donner à sa filmographie une coloration engagée. “J’aime bien que ce soit un film de genre qui permet d’avoir un propos politique, mais aussi de se divertir. Il y a quelque chose qui fait penser à Chabrol dans cette bourgeoisie décadente, et cet endroit qui est horrible, mais tellement, que ça en devient burlesque, grotesque et drôle. Ce film nous déplace en permanence.

L’autrice de sa vie

Ce principe de mouvement, on pourrait également l’appliquer à Laure Calamy, que l’on a vue marcher en compagnie d’un âne dans les Cévennes pour décrocher un César, courir à en perdre haleine pour attraper son RER dans À plein temps, avant de se confronter, bille en tête, à un milieu ne lui renvoyant que mépris dans L’Origine du mal. Ou comment se donner les moyens d’être l’autrice de sa vie, un précepte adopté par celle qui a commencé à tâter des planches au début des années 2000: “Au théâtre, je me suis réalisée dans les compagnonnages que j’ai pu avoir avec des gens comme Vincent Macaigne ou Léna Bréban, avec qui j’ai fait du jeune public. Il y a des tas de gens avec qui j’ai pu expérimenter, faisant du théâtre classique comme du théâtre contemporain, avec Vincent ou d’autres comme Pauline Bureau aussi, avec qui on faisait de l’écriture-plateau, de l’improvisation, où on emmène notre part d’imaginaire et même de mots. Dans ce cadre, j’ai pu trouver mes familles de théâtre, ainsi qu’une certaine manière d’en faire et d’être actrice.Un “plan de carrière” auquel le cinéma viendra se greffer, presque insensiblement: “Guillaume Brac nous a offert des rôles magnifiques, alors que j’avais l’impression d’être dans un système où, même si des tas de castings me connaissaient du théâtre, il fallait avoir des gens déjà identifiés, même pour des rôles de quelques jours. Ce qui fermait la porte à la découverte d’acteurs qui, au théâtre, avaient des personnalités intéressantes. Il y a une frilosité que je trouve dommage. Je ne pensais pas avoir ce parcours-là, mais je me disais “c’est cool, je peux participer à des aventures”, tout en me disant que le théâtre occuperait le premier plan dans ma vie…” C’était avant que des seconds rôles toujours plus marquants -chez Albert Dupontel, Lucie Borleteau, Justine Triet et autre Alain Guiraudie- et la série Dix pour cent ne viennent en décider autrement, jusqu’à la rendre incontournable

Sébastien Marnier a bon genre

Venu au cinéma via la littérature -il a publié trois romans au début des années 2010-, Sébastien Marnier fait partie de ces auteurs ayant biberonné au film de genre pour en tirer un parti éminemment personnel. Un postulat posé d’Irréprochable en L’Heure de la sortie, et vérifié aujourd’hui avec L’Origine du mal, un thriller vénéneux présenté à la dernière Mostra de Venise.

L’Origine du mal et L’Heure de la sortie ont en commun la figure de la forteresse assiégée, d’un univers jaloux de ses privilèges et s’employant à les préserver. Qu’est-ce qui vous y a ramené?

Les personnages principaux de mes trois films sont des transfuges de classe, des prolos qui essaient de rentrer dans un autre monde sans que ce soit facile. C’est ce à quoi je m’identifie le plus. Je suis comme eux un enfant de la cité, de Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, et d’avoir grandi dans les 4000 me colle toujours aux basques. Que l’on veuille rentrer dans le cinéma français, dans l’école catho de L’Heure de la sortie, ou dans la “forteresse” sur l’île de L’Origine du mal, on reste toujours un prolo. Je le suis toujours au peu aujourd’hui, même si je suis heureux d’avoir réussi à me faire une petite place avec des films bizarres. En étant un peu extérieur au milieu du cinéma français, j’écris mes petits zinzins de mon côté, comme disait Barbara, et ça me convient très bien.

Vous êtes de ceux par qui le cinéma de genre a pris une part toujours plus significative dans la production française. Comment expliquez-vous cette évolution?

Pour la jeune génération qui arrive, ce n’est même plus une question: le genre fait partie intrinsèquement de leur culture, un film de série Z, un Hitchcock ou un twitto sur Internet, tout est au même niveau. Je trouve ça passionnant, parce qu’on est aussi fort dans les cases en France, où le film de genre était encore un gros mot il y a quelques années. Aujourd’hui, le genre infuse partout, même dans des films d’auteurs presque naturalistes. Avec comme conséquence que l’on peut désormais convaincre des acteurs “bankable” et populaires de nous rejoindre. Je suis persuadé que c’est le genre qui va sauver le cinéma, parce que c’est le cinéma du collectif, celui qu’on a envie d’aller voir en salle à plusieurs. Il faut faire revenir les jeunes voir nos films, et c’est comme ça qu’on va arriver à leur parler. Les succès de As Bestas et La Nuit du 12 cet été sont la preuve que les gens ont envie de sensations fortes, et ce sont deux films d’auteurs, avec des visions d’auteurs de genre.

Le genre permet aussi d’aborder des questions sérieuses, et L’Origine du mal ne déroge pas à la règle, déployant un regard décapant sur la famille et le patriarcat…

Le personnage secondaire de la petite-fille, que joue Céleste Brunnquell, c’est moi, et quand je lui fais dire que la famille, c’est comme un poison qu’on a dans le sang, c’est tout à fait honnêtement, le scénario s’est construit autour de cette phrase. J’avais envie de filmer la fin d’un monde, à la fois de l’aristocratie et de la bourgeoisie blanche richissime, avec une figure paternelle centrale. Nous vivons une période hyper-tendue, parce que l’ancien monde sait qu’il a perdu, mais il jette ses dernières forces dans la bataille en ayant gardé un grand pouvoir de nuisance. C’est sûrement la fin d’un monde d’un point de vue écologique, avec en plus la guerre, les virus etc., et ils font chier les femmes sur l’avortement, les gays, de faux problèmes, parce qu’ils n’ont plus que ça. Et du coup, en face, tout devient hystérique. Mais c’est normal, il y a confrontation parce que nous sommes à un moment de bascule. En écrivant le script, on sentait bien la réémergence de tous ces réactionnaires qui étaient tapis dans l’ombre. C’est pour ça que j’ai eu envie de filmer tous ces corps de femmes, ces générations de femmes, dans leur beauté, leur extravagance et leur dangerosité, et la façon dont elles livrent cette bataille contre le patriarcat.

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