«Dossier 137», le film qui plonge dans la police des polices: «La rhétorique des hommes politiques a aussi une responsabilité»

Dans Dossier 137 de Dominik Moll, Léa Drucker est une inspectrice de la police des polices qui doit enquêter sur une possible bavure policière.
© Fanny de Gouville // Modds

Après La Nuit du 12, Dominik Moll mène à nouveau l’enquête dans Dossier 137, qui plonge le spectateur au cœur d’un cas suspecté de bavure policière en pleine manifestation des gilets jaunes.

 

Dossier 137

Film d’enquête de Dominik Moll. Avec Léa Drucker, Guslagie Malanda, Mathilde Roehrich. 1h57.

La cote de Focus: 3,5/5

Décembre 2018. Guillaume, jeune homme venu de Saint-Dizier, monte pour la première fois à Paris pour participer à une manifestation des gilets jaunes. Perdu par le cortège, il reçoit une balle de LBD en pleine tête. A l’IGPN, la police des polices, Stéphanie est chargée de l’enquête: comment se fait-il que des collègues du maintien de l’ordre aient tiré sur Guillaume? L’usage de leur arme était-il justifié? Livrant un film d’enquête à la forme très classique mais solidement incarné par une Léa Drucker décidément impeccable quand il s’agit de questionner l’engagement et le respect des ordres et de la règle, Dominik Moll ouvre une discussion sûrement salutaire sur les violences policières, symptômes d’une institution essoufflée, acculée par une rhétorique souvent dangereuse, des affectations hasardeuses et des moyens défaillants.

Il y a bientôt trois ans, Dominik Moll recevait six César, dont celui du Meilleur film, pour La Nuit du 12, qui suivait la piste d’un inspecteur tentant d’élucider un cas de féminicide, posant plus largement la question de la domination masculine et des rapports hommes/femmes. C’est donc une nouvelle enquête que déploie le cinéaste français dans ce nouveau film, Dossier 137, présenté en compétition en mai dernier au Festival de Cannes.

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La protagoniste est cette fois une inspectrice de l’IGPN (la police des polices), «quelqu’un qui, dans une situation complexe, essaie de bien faire son travail, et qui se heurte aux limites de sa fonction, ce qui l’amène à la questionner», explique le réalisateur. Son enquête porte sur de possibles violences policières, un tir de LBD (lanceur de balles de défense) en pleine tête sur un jeune homme lors d’une manifestation des gilets jaunes. Découvrir le film, traversé de vidéos des manifestations, rappelle que ce mouvement, pourtant prédominant en 2018, n’a pas encore vraiment fait fiction dans le paysage audiovisuel français. «Quand j’ai commencé à écrire, je trouvais cela étrange qu’on ne parle plus vraiment des gilets jaunes, poursuit Dominik Moll. Ce mouvement a quand même ébranlé le pouvoir pendant plusieurs mois. Il s’inscrit dans l’histoire de France, par sa façon de pointer des dysfonctionnements structurels, au-delà des questions de coût de l’essence et de pouvoir d’achat, comme le fossé irréductible entre Paris et la Province, par exemple. Ce n’est pas rien, la façon dont les politiques ont réagi face des gens qui ne se sentaient pas considérés. J’ai eu envie de revisiter ce mouvement, sans pour autant en faire un film à thèse. J’avais en tête un polar, un film de genre, au milieu duquel on pourrait glisser des questionnements sociétaux.» 

«Au final, ce sont toujours les policiers sur le terrain qui sont pointés du doigt quand il y a débordement, et jamais les donneurs d’ordres.»

L’envie de cinéma chez Dominik Moll vient d’abord du personnage principal, mis en tension par son statut particulier d’enquêtrice qui questionne son propre camp, à la croisée des critiques, du public comme de ses pairs. «Dramaturgiquement, cela me semblait intéressant: elle est mal aimée par ses collègues, critiquée par les médias qui l’accusent d’être juge et partie. Il était également important pour moi que sa mission ne concerne pas une affaire de corruption, mais bien de maintien de l’ordre, que cela mette en cause très directement les liens qui unissent la police et les citoyens. Le fait qu’il s’agisse d’une inspectrice et non d’un inspecteur n’est pas anodin non plus, d’abord parce que cela correspond à la réalité –c’est souvent le cas à l’IGPN–, ensuite, parce qu’elle est face à des officiers du maintien de l’ordre qui sont majoritairement des hommes, et qui représentent des modèles de virilité un peu brutale.»

Survient aussi la notion de biais, exposée dans le film. La probité de Stéphanie est mise en doute quand la juge apprend qu’elle vient de la même région que la victime. Mais Stéphanie, elle, souligne qu’elle a la même profession que les accusés. Y a-t-il là un ou des biais? Stéphanie est renvoyée à son identité, et le film d’ailleurs fait de régulières incursions dans son intimité. «Même dans sa vie privée, elle est constamment ramenée à son enquête en cours, et à sa profession. Elle porte son travail sur elle comme un sac à dos qu’elle ne pourrait jamais poser.»

Le processus tourne vite à l’obsession, notamment à travers la traque d’indices vidéo. «J’ai fait quelques jours d’immersion au sein de l’IGPN. En voyant les enquêtrices et enquêteurs au travail, ce qui m’a marqué, c’est l’importance des images, le temps qu’ils et elles passent à essayer de trouver des sources, à les visionner, zoomer, revenir en arrière, scruter, décortiquer les images des caméras de surveillance de la préfecture, mais aussi des policiers eux-mêmes ou des commerces privés, de même que les vidéos postées sur les réseaux sociaux. Avec mon coscénariste Gilles Marchand, ce rapport à l’image nous a semblé extrêmement cinématographique. A l’opposé du spectre, il y avait aussi ce langage administratif, aussi singulier par son vocabulaire que par sa syntaxe, qui peut paraître un peu abscons. Une langue technique et impersonnelle qui semble en quelque sorte neutraliser la vie pour atteindre une forme d’objectivité. Quelque chose qui peut sembler très rébarbatif, mais que nous avions envie d’intégrer à la fiction. C’est pour cela qu’on voit souvent les personnages taper ou lire leurs procès-verbaux, ou les innombrables courriers qu’ils échangent pour faire avancer l’enquête.»




© Fanny de Gouville // Modds

Dans Dossier 137, les mots ont aussi un poids selon la façon dont on les utilise, que ce soient les policiers incriminés qui, lors de leurs dépositions, recourent à des éléments de langage extrêmement balisés pour rester dans le cadre de la légalité, ou ceux de l’institution. «La rhétorique des hommes politiques, qui parlent de « temps de guerre », de la « hiérarchie policière », d’ »individus hostiles » à tout bout de champ, a aussi une responsabilité, tout comme le fait que l’on favorise l’utilisation d’armes à l’impact disproportionné par rapport à l’usage prévu. Au final, ce sont toujours les policiers sur le terrain qui sont pointés du doigt quand il y a débordement, et jamais les donneurs d’ordres.»

Dans une scène pivot, Stéphanie suit, en filature improvisée et surtout hors limite, une femme de chambre, témoin de la scène, qui refuse de lui parler. Interpelée par Stéphanie au bout d’un long trajet en RER, dans une nuit glaciale, au pied de son HLM, elle lui réplique qu’elle ne se fait guère d’illusions sur les chances qu’une enquête mène à une condamnation effective des policiers. Et qu’elle ne voit pas se précipiter les inspectrices de l’IGPN quand un jeune homme de son quartier dénonce un passage à tabac dans un commissariat. «Lors de cette audition sauvage, où l’on ne sait plus trop qui questionne qui, Stéphanie outrepasse les limites, mais surtout, ressort ébranlée. Ça m’intéressait de parler aussi de la banlieue, qui a pu servir de terrain d’expérimentation dans le cadre du maintien de l’ordre. Et puis, le film fonctionne sur ces contrastes, notamment géographiques, Paris et Saint-Dizier, la capitale et la banlieue, les Champs-Elysées et ses boutiques de luxe, et la province meurtrie par la désindustrialisation et le chômage.»

Les autres sorties ciné de la semaine

Zootopie 2

Film d’animation de Jared Bush et Byron Howard. Avec les voix de Ginnifer Goodwin, Jason Bateman, Ke Huy Quan. 1H47.

La cote de Focus: 3,5/5


© 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Il y a dix ans déjà, Zootopie faisait un carton planétaire, touchant d’ailleurs le fameux milliard de dollars au box-office si cher aux grands studios hollywoodiens. Dans cette suite tardive, la mégalopole animalière aux ambitions inclusives –dont découle cette brillante idée de segmenter les quartiers en fonction de leur climat– fait face à une crise inédite: des rumeurs persistantes évoquent l’arrivée d’un mystérieux serpent, soit une race jusqu’ici bannie de Zootopie. Une manière d’évoquer une nouvelle fois les questions liées au vivre-ensemble et aux préjugés, dans une démarche qui sent tout de même un peu le réchauffé, a fortiori après un premier opus qui avait intelligemment creusé ces notions auprès du jeune public. Même la dynamique entre Hoppes et Wilde, au demeurant toujours très attachants, se révèle cousue de fil blanc, le duo devant apprendre à révéler ses fragilités à l’autre afin de tisser une amitié saine.

Tout cela n’empêche pas cette suite d’être un divertissement haut de gamme. Techniquement irréprochable, bourré de scènes d’action virtuoses qui allient adrénaline et comédie visuelle, jamais à court d’idées lorsqu’il s’agit de jouer avec ses animaux anthropomorphiques, Zootopie 2 se distingue par une qualité devenue rare dans le cinéma grand public: la générosité. De quoi attendre impatiemment un troisième opus, en espérant que sa narration soit un chouïa plus fine. 

J.D.P.

The Blue Trail

Comédie dramatique de Gabriel Mascaro. Avec Denise Weinberg, Rodrigo Santoro, Miriam Socarrás. 1h27.

La cote de Focus: 3,5/5


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Voilà 77 ans que Tereza (l’épatante Denise Weinberg) travaille dans le village industriel de Muriti, aux confins de l’Amazonie. Vivace, têtue, dotée d’un caractère bien trempé, la senior n’envisage ni repos ni retraite, très à l’aise dans sa routine partagée entre son labeur à l’usine et les conversations tardives avec sa meilleure amie. Pourtant, un jour, un ordre officiel lui parvient: le gouvernement brésilien la remercie pour ses bons et loyaux services et l’invite désormais à se reposer dans une colonie pour personnes âgées. Une mesure qui a pour but de délivrer les «actifs» de la charge que constitue leurs aïeuls. Un outrage pour Tereza, qui ne l’entend pas de cette oreille et compte bien tout faire pour mener à bien son ultime rêve: voler.

A partir de cet univers légèrement dystopique, qui rappelle le concept du film japonais Plan 75 de Chie Hayakawa, Gabriel Mascaro brode une fable sous forme de fuite en avant. S’enfonçant dans les profondeurs de la jungle, Tereza croisera le chemin d’une série de personnages plus excentriques les uns que les autres: un passeur de drogue à la recherche d’un hallucinogène secrété par un escargot, un pilote de biplan accro aux jeux, une fausse prêtresse dispensant la bonne parole à bord de son navire-église. Autant de rencontres qui redéfinissent en permanence le genre et la tonalité du film. Tendre, loufoque, mélancolique, voire parfois psychédélique lorsque les personnages se laissent aller à certaines substances, The Blue Trail ne cède à aucun diktat narratif et semble entièrement subordonné à l’ardent désir de liberté de son héroïne. En résulte un film inclassable et rafraîchissant, qui continue de creuser son curieux sillage dans les esprits bien après le visionnage.

J.D.P.

Vitrival

Comédie dramatique de Noëlle Bastin et Baptiste Bogaert. Avec Benjamin Lambillotte, Pierre Bastin, François Bastin. 1h51.

La cote de Focus: 3,5/5


© 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Vitrival, à première vue, affiche un format traditionnel: la chronique au fil des saisons d’un petit village rural, dont le quotidien se trouve bouleversé par des tags injurieux. Qui peut bien semer le doute dans l’esprit des villageois avec ces graffitis de pénis, alors même que la communauté s’apprête à enterrer Christian, qui vient de s’ôter la vie? Voilà une enquête pour Benjamin et Petit Pierre, policiers municipaux. Vitrival est une sorte d’antithriller, où le rythme de la vie au village s’impose à l’enquête en cours. Un polar ralenti, en quelque sorte, qui prend le temps d’observer le quotidien des gens, notamment d’une jeunesse qui rêve loin de la ville, avec les difficultés que cela implique, mais aussi les possibles. Le drôle de portrait hors du temps d’une communauté complexe et attachante.

A.E.

Roofman

Comédie dramatique de Derek Cianfrance. Avec Channing Tatum, Kirsten Dunst, Ben Mendelsohn. 2h06.

La cote de Focus: 3,5/5


© 2025 Disney Enterprises, Inc. All Rights Reserved.

Jeffrey est un gars bien, mais dont les mauvaises décisions ne lui ont pas laissé beaucoup d’autres choix que de se mettre à réaliser des braquages, presque sans arme ni violence, dans l’empathie et l’humour. Trop d’empathie, peut-être, ce qui le pousse à la faute et le mène en prison, dont il s’échappe. En cavale, il se cache dans un grand magasin dont il observe le quotidien, la valse des clients, les tracas des employés. Jusqu’à tomber amoureux de Leigh, et risquer sa planque pour vivre cet amour empêché. Inspiré d’une histoire vraie, ce film de braquage à l’esthétique indé qui vire à la love story séduit par l’indéniable charme de Channing Tatum, et quelques scènes bien senties sur le sentiment irréductible de déclassement qui traverse l’Amérique moyenne. Même si la mise en scène frime parfois un peu, à grand renfort de (très) gros plans, d’une image bien graineuse et d’une voix off méta qui vient parachever le tout.

A.E.


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