Valdimar Jóhannsson (Lamb): « J’aime l’idée d’essayer de raconter une histoire en me concentrant essentiellement sur l’image et le son »

Douleur et monstruosité composent le quotidien d'un couple dont le déchirement intérieur résonne au coeur de la nature menaçante qui l'englobe.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Pour son premier long métrage, l’Islandais Valdimar Jóhannsson donne vie à un étrange conte de Noël inscrit au coeur de la nature la plus sauvage de son pays. Intrigant, malgré un symbolisme très appuyé.

Jeune quadragénaire vivant à Reykjavík avec femme et enfants, Valdimar Jóhannsson est actif dans l’industrie audiovisuelle depuis plus de 20 ans. Il a ainsi notamment travaillé comme technicien sur plusieurs épisodes de Game of Thronesou collaboré aux effets spéciaux d’un Star Wars, d’un Transformers et même d’un Fast & Furious. Du lourd, donc. Mais durant toutes ces années, il a surtout rêvé d’un autre cinéma, plus intimiste, plus personnel, plus étrange aussi. En 2008, il signe, avec Dolor, un court métrage déjà marqué par la thématique de la perte d’un être cher. Voie qu’il choisit de creuser dans un premier long métrage sur lequel il commence à plancher il y a plus de dix ans. « Au départ, nous raconte-t-il lors du dernier festival de Cannes , j’ai compilé toutes sortes de choses dans un carnet rassemblant mes inspirations: peintures, photos, ce genre de choses… Jusqu’à ce qu’un début d’intrigue, ou à tout le moins les possibles prémices d’un film intéressant, se dégagent. C’est à ce moment-là que mes producteurs m’ont présenté à Sjón. »

Sigurjón Birgir Sigurðsson, alias Sjón, est un poète, romancier et parolier islandais bien connu des radars cultureux. Il a collaboré avec le groupe The Sugarcubes (les spécialistes apprécieront) dans les années 80 avant d’écrire des textes pour Björk en solo. Mais il est également l’auteur de nombreux ouvrages profondément marqués par l’univers des mythes et des contes de fées. Durant des années, Sjón et Jóhannsson se retrouvent chaque semaine pour parler et avancer sur le projet de ce dernier. Peu à peu, quelques idées fortes se dégagent de leurs discussions et, lentement, l’ébauche d’un scénario commence à voir le jour, qui finira par déboucher sur le tournage de Lamb donc. Le cinéaste précise: « Beaucoup d’éléments du film dérivent de contes populaires islandais. Mais il n’est pas basé sur une histoire spécifique. Parce que ces contes sont tous cousins en un sens, avec des préoccupations très similaires. La nature, par exemple, y joue souvent un rôle déterminant, comme si elle pouvait s’incarner en une espèce de créature menaçante pour l’Homme. »

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Et en effet… Prenant pour cadre la nature la plus reculée et sauvage de l’Islande, Lamb s’attache d’abord à dépeindre le quotidien morne et routinier d’un couple en deuil, María et Ingvar, qui vit avec un troupeau de moutons dans une ferme isolée. Jusqu’au jour où ils décident d’adopter une curieuse créature hybride au prénom réversible (comme le Temps?), Ada, ramenant dans leur foyer l’illusion de la félicité. C’est, pour eux, le début de quelque chose de différent, un nouveau départ en quelque sorte, dont l’apparence réparatrice pourrait bien néanmoins les conduire à leur perte. Car, dehors, la nature gronde d’une inquiétante rumeur et leur réserve encore quelques brutales surprises…  » Avec Sjón, on pensait qu’il était important de ne pas trop vite dévoiler de quoi il retournait exactement, explique Jóhannsson, assez secret sur son travail. On aimait l’idée que le spectateur sente qu’il y avait quelque chose de pas normal dans cette histoire mais sans savoir exactement quoi. » Et Lamb, en effet, de prendre son temps pour poser les bases de sa mystérieuse intrigue, multipliant les non-dits sans pour autant, hélas, toujours faire preuve d’une grande subtilité.

L’amour et la violence

Formé à la fameuse et éphémère Film Factory du réalisateur Béla Tarr à Sarajevo, où il a notamment eu comme mentors des pointures de la trempe de Cristian Mungiu, Carlos Reygadas ou encore Apichatpong Weerasethakul, Valdimar Jóhannsson a lui-même, enfant, passé beaucoup de temps dans la ferme de ses grands-parents. Il confie avoir au moins dû faire deux fois le tour complet de l’Islande avant de trouver celle qui sert aujourd’hui de point d’ancrage à son premier long métrage. Perdue au coeur de l’immensité revêche du nord du pays, elle offre un point de vue à 360 degrés sur les montagnes et les paysages environnants. Manière de renforcer la dimension à la fois enveloppante et menaçante d’un univers qui renvoie sans équivoque possible à la nature intérieure des protagonistes de Lamb, déchirés entre fragilité et rudesse, amour et violence. Ce film, Valdimar Jóhannsson se plaît à dire qu’il l’a conçu à la manière d’un véritable  » poème visuel« , lumière naturelle et effets spéciaux se mariant en tout cas avec soin dans une esthétique riche en images fortes.

Valdimar Jóhannsson (Lamb):

Questionnant de manière parfois très raide les conséquences des dérives prométhéennes de l’humain face à la nature, qu’il croit trop souvent pouvoir contrôler et spolier à sa guise, Lamb navigue intelligemment entre le drame intimiste et le thriller surnaturel. Mais quelques petites touches d’humour à froid ne suffisent pas à dissiper le sentiment prégnant d’un symbolisme christique (ou biblique) singulièrement insistant – le film débute en pleine période de Noël, son héroïne se prénomme María (Noomi Rapace, mélange idéal de glace et de feu), le « traître » et renieur de l’histoire s’appelle Pétur (donc Pierre)… Ce côté crèche vivante de Lamb finit par en poser assez naïvement les limites. Mais Valdimar Jóhannsson n’y fait pas moins preuve d’une belle maîtrise formelle, d’une réelle habileté à tisser patiemment des ambiances troubles. Le mot de la fin est pour lui: « Le cinéma est un médium audiovisuel qui peut vous remuer de beaucoup de manières. J’aime l’idée d’essayer de raconter une histoire en me concentrant essentiellement sur l’image et le son, en réduisant les dialogues au strict minimum. » Talent à suivre, assurément.

Lamb. De Valdimar Jóhannsson. Avec Noomi Rapace, Hilmir Snær Guðnason, Björn Hlynur Haraldsson. 1 h 46. Sortie: 05/01. ***

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