Critique

[la série de la semaine] The Mosquito Coast, point de fuite

Nicolas Bogaerts Journaliste

Abordant la crise de sens du capitalisme high-tech, The Mosquito Coast risque, malgré des images et un casting somptueux, de perdre du monde en chemin.

Du roman original signé Paul Theroux, de sa transcription au cinéma par Peter Weir en 1986 (avec Harrison Ford, Helen Mirren et River Phoenix), la version série d’Apple TV+ ne garde qu’une matière à l’os. Pourtant produite par Theroux lui-même et son neveu, l’inoubliable Justin Theroux de The Leftovers, qui joue ici le rôle principal, la première saison s’étire hors du cadre offert par le livre et le film à sa suite -une parabole de la fin du modèle américain productiviste et matérialiste et le foirage d’une utopie alternative, jusqu’à la folie de son promoteur. Il en reste les éléments de base, adaptés aux enjeux du temps présent (40 ans écoulés depuis la première publication) par Neil Cross (Luther): la fin consommée du rêve américain, le refus -pire, la fuite- de toute technologie en réseau, sur fond de surveillance du deep state et de révélation de la puissance du narcocapitalisme.

Fuite perpétuelle

Justin Theroux habite Allie Fox et lui confère une énergie explosive mais rentrée, à la limite du sociopathe ludique. Lui, sa femme Margot (Melissa George) et leurs enfants Dina et Charlie (Logan Polish et Gabriel Bateman), vivent en toute déconnexion. Inventeur au génie éconduit, Allie multiplie les diatribes contre le système mercantile corrompu, l’aliénation et la sujétion au pouvoir avide de contrôle. Oscillant entre complotisme light et survivalisme en mode MacGyver, il vit de petits boulots, recycle l’huile en carburant, produit de la glace sans raccordement électrique… Mais un secret plus sombre se cache derrière son autoritarisme, les silences gênés de ses enfants et ses tentatives de les bypasser par des pirouettes d’esprit. Lorsque les filets fédéraux se resserrent, Allie embarque sa famille dans un trip au Mexique qui vire au drame violent, le théâtre d’un récit aux multiples rebondissements, à l’action crue qui donne en réalité peu d’éléments de compréhension de ce qui se trame en amont de cette fuite perpétuelle.

Lorsque la famille Fox doit recourir à des passeurs pour braver les milices frontalières et passer au Mexique, les ordalies des migrants se traversent à rebours et jetent une famille américaine face aux milices puis aux narcotrafiquants. C’est un des multiples points de fuite, dans lesquelles la série perd en substance ce qu’elle gagne en virtuosité, avec ses images contemplatives, sa cinématographie onctueuse et signifiante, les performances abouties des comédiens et comédiennes et ses subtiles références à la pop culture. Il n’est pas impossible dès lors de se retrouver devant une série à clés, dont les serrures nous seraient réservées la prochaine saison. Ne pas donner la becquée dès les premiers épisodes est sans doute le choix d’un scénario prompt à se laisser gagner par les secousses et les incertitudes d’un voyage vers l’inconnu.

The Mosquito Coast

Une série créée par Neil Cross. Avec Justin Theroux, Melissa George, Logan Polish. Disponible sur Appel TV+. ***(*)

[la série de la semaine] The Mosquito Coast, point de fuite

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