Laurent Raphaël
Covid: la culture toujours dans le flou artistique
Intuitivement, on a l’impression que le secteur culturel est toujours en convalescence, frappé par un Covid long qui le laisse groggy certains jours. Les bonnes surprises ici et là (un concert de Sébastien Tellier à guichets fermés aux Nuits Bota, une salle remplie jusqu’au dernier balcon à la Monnaie pour The Time of Our Singing…) n’effaçant pas une impression générale de ralentissement, voire d’enlisement, forgée au gré des rumeurs alarmistes et de certains indices comme une visite quasi privée un dimanche au Wiels ou des travées clairsemées à l’UGC Toison d’Or un mercredi soir.
Le ressenti c’est bien, les chiffres c’est mieux. Sur l’impact direct de la crise d’abord, l’association qui regroupe toutes les sociétés des droits d’auteur au niveau mondial, la Cisac, a évalué la perte sèche pour les auteurs, tous secteurs confondus, à un milliard d’euros (dont 800 millions rien que pour l’Europe). Par ailleurs, une étude française, commanditée par Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, permet d’objectiver la situation d’entre-deux actuelle, confirmant malheureusement un bilan de santé inquiétant: près d’un Français sur deux ne s’est pas rendu dans un lieu culturel depuis le 21 juillet, date d’entrée du pass sanitaire chez nos voisins, contre 88% avant la pandémie. Si tous les secteurs boivent la tasse, c’est le spectacle vivant qui morfle le plus: à peine 27% des amateurs de musique et 25% des habitués des planches sont retournés voir un concert ou une pièce de théâtre…
Si tous les secteurs boivent la tasse, c’est le spectacle vivant qui morfle le plus
Cette photographie bien sombre prise début septembre est-elle transposable à la Belgique francophone? Oui, si l’on en croit les acteurs que nous avons contactés. L’hémorragie est un peu moins violente apparemment mais tous accusent une baisse sensible de la fréquentation par rapport à « avant »: de l’ordre de 30% pour le groupe Kinepolis (chiffre pour l’ensemble des activités de l’exploitant, en Belgique mais aussi à l’étranger), de 60% pour le Wiels, de 20 à 30% pour le Botanique. Même tendance côté scènes, même si on ne donne pas de chiffres.
« Nous assistons en effet à une baisse de l’intérêt en général. Cela vaut pour l’ensemble du secteur culturel« , observe de son côté Peter de Caluwe, directeur de La Monnaie. Avant d’affirmer: « Cette baisse est entièrement due à la situation sanitaire. » Un avis largement partagé par les autres opérateurs. Le flou entourant le Covid Safe Ticket, certaines salles appliquant les contrôles à la lettre, d’autres préférant continuer à fonctionner avec des jauges réduites, notamment par conviction philosophique comme à La Balsamine, expliquerait en partie cette rentrée chaotique. Avec, pour conséquence supplémentaire, de plus en plus de réservations de dernière minute, pour les concerts de classique à Bozar comme pour les pièces aux Tanneurs.
Le Covid rebat les cartes. Et rend les prévisions et les généralités hasardeuses. « Un public n’est pas l’autre« , note Paul-Henri Wauters, patron du Botanique, qui veut voir des signes encourageants dans le succès des Nuits (version light) début septembre et dans la faible demande de remboursement des concerts reportés. « Comme si les gens ne renonçaient pas à l’idée qu’on puisse revenir à une situation normale. »
Autre point commun avec la France: les valeurs sûres ou refuges tirent leur épingle du jeu. David Hockney démarre en fanfare à Bozar, Dune ou le nouveau Wes Anderson font le plein au Kinograph, le cinéma coopératif d’Ixelles. Par contre, pour les nouvelles créations, ou plus exactement les oeuvres qui ne s’adressent pas soit au grand public soit à une niche, c’est la galère, faisant craindre, si la situation persiste, des jours encore plus compliqués pour cet étage intermédiaire de la fusée. Mais on n’en est pas encore là. Un optimisme prudent domine, notamment à l’AB où le carnet de bal se remplit pour novembre et décembre. Même si tout le monde reconnaît qu’il va falloir être créatif pour ramener les brebis égarées du côté de Netflix ou de Prime Video sur le chemin des salles et musées. Pas sûr en effet que les beaux discours sur la diversité culturelle suffiront. Affaire à suivre…
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