Balthazar, Girls in Hawaii: la musique belge s’offre une place dans les séries télé du cru
Bande originale, clip de présentation, génériques: La Trêve et puis aujourd’hui Ennemi public ont été soignées jusque dans la musique. La série belge francophone comme voie royale pour les fournisseurs de bons sons? N’allons pas trop vite en besogne!
Entendre The Man Who Owns the Place et Le Cochon noir à chaque clip d’annonce de La Trêve et d’Ennemi Public, c’est presque comme le coup du camarade qui vous fredonne un truc de bon matin, et puis plus moyen de se sortir cette chanson de la tête pour le reste de la journée. En voilà deux bien obsédantes, la première des Courtraisiens de Balthazar et la seconde de Lionel Vancauwenberghe de Girls in Hawaii, qui, à l’heure où les séries télé belges et francophones pourraient bien proliférer, sont un peu comme l’arbre cachant la forêt. Normal direz-vous, pour des récits qui ont la Gaume et les Ardennes pour cadre.
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Plus sérieusement, entendre « du belge » en accompagnement d’un spot publicitaire ne surprend plus trop. On se souviendra par exemple du Beautiful Days de Venus récupéré par Le Figaro, Peugeot et Lancôme et qui a même été repris trois fois au ciné -par Enki Bilal pour l’adaptation d’Immortel, dans Une semaine sur deux avec Mathilde Seigner et Paris à tout prix de Reem Kherici. Même chose côté bandes-son de longs et de courts métrages, même si l’on ne touche pas forcément le tout grand public. En 2014, Soldout composait ainsi la bande originale de Puppylove, un drame de Delphine Lehericey. On peut entendre Bram Vanparys alias The Bony King of Nowhere sur celle des Géants de Bouli Lanners, et il y a quelques semaines, dans L’Oeil silencieux, court métrage de Karim Ouelhaj primé au Festival du Film Fantastique de Bruxelles, on retrouvait Catherine Graindorge via Nox, l’un des projets auxquels elle prête son violon.
L’arrivée des séries La Trêve et Ennemi Public sur nos petits écrans constitue une sorte de changement de paradigme. Voilà que l’on ambitionne de faire chez nous du populaire mais de qualité et que cela fonctionne: 22,3% de parts de marché pour la première, déjà vendue en Flandre, en France et en Suisse, des prix au festival Séries Mania pour les deux… Ajoutez-y ces deux génériques qui restent coincés entre les oreilles, en donnant une première identité, et on rejoint là carrément l’école anglo-saxonne du genre!
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« Nos références sont clairement plus la série anglaise et US, ou même scandinave, que française, confirme Matthieu Frances, (co)scénariste et (co)réalisateur d’Ennemi Public. Bien sûr, dans les séries anglaises ou américaines, certains optent pour un thème récurrent, composé pour l’occasion. Si c’est une chanson qui est mise en avant, elle doit se prêter un peu au look, au style de la série, ce qui est le cas pour La Trêve. D’ailleurs, pour le générique de fin, Lionel a refait en instrumental une de ses chansons, parce que là, je ne voulais pas que ça soit chanté. »
L’influence des séries d’outre-Atlantique est donc indéniable, mais le traitement s’opère évidemment « à la belge ». Petites précisions préalables: le titre de Balthazar est extrait de leur album Rats tandis que celui écrit par Lionel Vancauwenberghe ne sort pas du répertoire de son groupe mais est un travail de commande.
« Je suis un ami très proche de Lionel, explique Matthieu Frances, dont la boîte de prod’, Playtime Films, a signé le documentaire Not Here sur la première tournée européenne de Girls in Hawaii. Lio avait écrit il y a trois ou quatre ans la musique d’un spectacle pour enfants que sa compagne avait mis en scène. Elle m’avait vachement tapé dans l’oreille. Je lui ai demandé s’il serait d’accord de la retravailler, pour en faire le générique de notre série parce qu’elle comprenait les deux ingrédients indispensables: c’est à la fois une ballade très douce, et les percussions ont quelque chose de tribal qui nous renvoie aux contes, au grand méchant loup… Nous cherchions à créer une émotion et nous savions que nous voulions une chanson. » Question de goût. Matthieu Frances est plutôt porté sur les génériques qui sont de vrais événements et restent en tête. « Notre référence, c’était celui de la série Vikings, très réussi à ce niveau-là et qui parlait aussi beaucoup à Lio. Nous nous sommes vite entendus là-dessus. »
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L’équipe d’Ennemi Public a également bénéficié des services de Daniel Capelletti, prof et compositeur classique, épaulé par un quatuor à cordes et quelques musiciens additionnels. « Comme nous n’avions pas beaucoup d’argent, nous sommes allés placarder un avis au Conservatoire de Bruxelles. Et c’est le prof qui a raflé la mise: il m’a appelé en me disant que ses étudiants étaient très pris, mais que si je voulais, lui était aussi compositeur… » Le hic, c’est qu’au montage, il manquait encore quelques petites choses. Le réalisateur, par ailleurs musicien au sein du groupe aujourd’hui disparu Austin Lace, s’y est donc collé lui-même!
De nouveaux revenus? De nouveaux métiers?
Quel impact pour les groupes, peut-on se demander? Chez Pias, l’écurie de Balthazar, on a enregistré bien plus qu’un frémissement côté ventes au fil de la diffusion des épisodes. Pour Lionel et ses Girls, il est encore un peu tôt pour constater le même genre de pics, mais la promo devrait se mettre doucement en route dans la foulée des premiers épisodes. « Je ne doute absolument pas de la qualité de la série, mais notre idée n’était certainement pas de tambouriner au préalable, dit Pierre Van Braekel, le manager du groupe. Nous n’avons pas encore communiqué dessus. Nous voulions attendre un peu, sinon, ça aurait fait le coup un peu wallon du « attention les superstars Girls in Hawaii ont fait la super musique d’une super série »! Ce n’est pas la façon de communiquer du groupe, bien sûr. Mais là, ce que nous allons probablement faire, c’est un petit flyer destiné aux pros. » Pour autant, est-ce que cela bouge déjà un peu? « Pour le moment, à part les pros et les amis, les gens n’ont pas encore identifié que c’était Lionel des Girls qui avait écrit la musique de cette série. Maintenant, comme elle a fait une super audience la première fois, ça va venir. Mais Balthazar n’a pas été identifié au départ, ce n’est qu’après que les gens ont commencé à se demander d’où ça venait et qui c’était. Nous allons y aller crescendo. Enfin j’espère… »
[Mise à jour 24/05/2016: le titre vient d’être mis à disposition sur les différentes plateformes de streaming.]
Si foisonnement il y a, on peut imaginer de nouveaux débouchés. Pour les musiciens eux-mêmes: ils sont nombreux à rêver de jouer sur des images. Mais, comme on dit du côté de Nazareth: « Beaucoup d’appelés, et peu d’élus. » Question de style, comme le relève Pierre Van Braekel: « Sans vouloir dénigrer les gens qui ont fait d’autres musiques de séries, Balthazar et les Girls sont des groupes qui ont une patte. Et en dehors du fait que ce soient des amis, c’est ce son que cherchaient les réalisateurs. Mais pour les pros, c’est intéressant de voir que Lio est quelqu’un qui écrit de la musique de films et qui adore ça. Un débouché? En tout cas, c’est déjà un gage: s’il y a un emballement, et apparemment cette série est déjà vendue ailleurs, tu peux te retrouver à faire la musique d’une série finlandaise ou un film italien, et c’est génial! Mais monter un business là-dessus, je pense qu’on ne peut pas, c’est trop aléatoire: impossible d’établir une tendance générale avec deux séries. Il faut attendre. »
A la limite, on verra peut-être s’ouvrir un autre débouché. Et naître, comme outre-Atlantique, le métier de « music supervisor ». Matthieu Frances, lui, en est convaincu. « Ce qu’on ignore, c’est que le « music supervisor » ne suggère pas seulement des choses qui vont en accord avec la note d’intentions, la bible et l’épisode. Il cherche aussi à régler les droits. C’est un travail énorme. Surtout quand on pense qu’une série, ça s’exporte généralement au-delà de 50 pays. C’est la moyenne. Il faut donc penser à tous les territoires, faire en sorte de rapatrier les droits pour les auteurs… C’est compliqué, c’est vraiment un métier qu’il faut développer. »
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Aux Etats-Unis, c’est chose faite depuis belle lurette. Et à chacun sa spécialisation. Si l’on retrouve par exemple un Raphael Saadiq chantant pour Underground, qui traite de l’esclavagisme aux States, c’est en partie grâce à Jonathan Mason Christiansen, superviseur musical donc (il a oeuvré sur une centaine d’épisodes des Experts, sur Gotham…), et même très officiellement chargé des « clearances » pour Nikita. Quant à Vinyl, le staff compte un « music consultant » (Scott Crary), deux superviseurs (Randall Poster et Meghan Currier) et même un compositeur spécifique pour le trailer (les frères Mardo de Heavy Young Heathens).
Côté belge francophone, s’il ne connaît personne qui en a fait son activité, Matthieu Frances est certain qu’ils sont nombreux à avoir cette compétence: « Je pense à tous les gens qui travaillent dans un label, je pense à tous les producteurs, même de petits groupes, qui en fait sont archi calés… Je pense à la presse spécialisée: il y a là aussi des tas de gens qui connaissent tout et qui du coup pourraient sortir des pépites que les réalisateurs ou les scénaristes ne connaissent pas. Le but est aussi de travailler avec un collaborateur de ce type-là. Oui, je pense que ça va arriver, parce que plus il y aura de séries, plus il y aura une demande pour ça. Et quand on aura fait le tour des trois ou quatre groupes belges que tout le monde connaît, ce sera tout simplement utile d’avoir d’autres propositions, d’autres suggestions qui sortent un peu des sentiers battus. »
Quant à dire que c’est le Graal pour les artistes, prudence là aussi! « Ça dépend de tellement de paramètres, l’époque de la série, ce genre de choses. Par exemple, pour avoir vécu le truc dans l’autre sens: une des chansons d’Austin Lace a été reprise pour une série américaine, avec des quarterbacks, je ne me rappelle même plus du titre, un truc obscur que jamais, jamais on rêverait de faire ici. Mais voilà, ça peut arriver. Alors on se pose la question: comment est-ce que notre chanson sur un micro label a pu parvenir jusque-là? Eh bien voilà, quelque part, ces gens-là ont fait leur travail, et les « music supervisors » ont été dénicher des petits labels, des petits groupes, des petits albums, pour essayer, j’imagine, de trouver la bonne émotion, le bon rythme. » Vu qu’il y aura une deuxième saison d’Ennemi Public, en écriture à partir de juillet prochain, on ouvrira grand les yeux et les oreilles…
Licence to play
Cent pour cent des gagnants auront tenté leur chance, dit la pub pour une loterie bien connue. Si le plus simple, pour placer une musique ou une chanson dans un film ou une série quand on est artiste consiste encore à avoir un ami réalisateur qui apprécie votre travail, tout le monde n’a pas la chance d’être au bon endroit au bon moment. Le plus habituel consiste alors à s’adresser à un éditeur, chez qui vos oeuvres sont en quelque sorte laissées en dépôt. Jusqu’à ce qu’elles tombent dans la bonne oreille ou que son gros carnet d’adresses fasse merveille. En Europe, l’un des plus gros indépendants du secteur n’est autre que Strictly Confidential, lancé voilà près de 30 ans chez Pias. Le Cochon noir et Why Don’t You Run, les deux morceaux de Lionel Vancauwberghe au générique d’Ennemi Public, y sont en licence.
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