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Steven Knight, créateur de Peaky Blinders: «Une énergie particulière se dégage de ces années où Londres était la capitale du monde» (rencontre)
Avec A Thousand Blows, Steven Knight, le créateur de Peaky Blinders, plonge dans le Londres populaire du XIXe siècle, les combats de boxe et le banditisme au féminin.
Onze minutes montre en main. L’homme est plutôt du genre pressé et, ces dernières semaines, particulièrement sollicité. En ce début d’année, Steven Knight est sur tous les fronts. Il a écrit le scénario de Maria, le biopic de Pablo Larraín sur la Callas avec Angelina Jolie. La deuxième saison de sa série Rogue Heroes sur des soldats d’élite britanniques envoyés dans le désert nord-africain pendant la Seconde Guerre mondiale vient de débouler sur les écrans. Il a adapté ses Peaky Blinders en spectacle de danse –The Redemption of Thomas Shelby sera présenté à Paris (La Seine musicale) du 12 au 30 mars prochain. Et a scénarisé le film The Immortal Man qui bouclera la boucle.
Né en 1959 à Marlborough, en Angleterre, Knight a entamé sa carrière dans une agence publicitaire de Birmingham avant de travailler chez Capitol Radio. A la fin des années 1980, il s’associe à Mike Whitehill avec lequel il bosse sur l’émission Commercial Breakdown, qui compile des pubs venues des quatre coins du monde, et sur la série The Detectives. Puis surtout crée l’émission Who Wants to be a Millionaire? (plus connue par ici sous le nom de Qui veut gagner des millions?).
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Knight fait ses débuts au cinéma avec le scénario de Dirty Pretty Things réalisé par Stephen Frears et porté par Audrey Tautou. Il enchaîne avec l’histoire d’un député qui tente de faire abolir l’esclavage en Angleterre (Amazing Grace) et un film de gangsters, Les Promesses de l’ombre, signé David Cronenberg. S’ose plus timidement à la réalisation avec de mauvais films d’action (Locke, Crazy Joe…) avant de créer la série Peaky Blinders. Avec A Thousand Blows, sur Disney+ à partir du 21 février, il plonge dans le Londres désœuvré d’un XIXe siècle vieillissant, le monde des combats de boxe et le banditisme au féminin.
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Qu’est-ce qui vous a attiré dans le projet?
C’est Stephen Graham qui m’a proposé l’histoire d’Hezekiah Moscow. Comme ça venait de lui, je me suis lancé dans des recherches et j’ai vite compris que j’avais affaire à un destin incroyable. Moscow a débarqué à Londres en provenance de Jamaïque dans les années 1880 parce qu’il voulait devenir dresseur de lions et il s’est finalement illustré en tant que boxeur. Ça faisait par ailleurs un bout de temps que je voulais raconter l’histoire des Forty Elephants. Un gang exclusivement féminin de criminelles qui a entre autres cambriolé les grands magasins de luxe Harrods et Selfridges. Soit un véritable trésor en matière de dramaturgie. Hezekiah et Mary Carr, la cheffe des Forty Elephants, ont vécu au même endroit au même moment. J’ai imaginé ce que ça aurait donné si leurs routes s’étaient croisées. Je ne sais pas si ce fut le cas. A Thousand Blows raconte les conséquences de l’hypothétique rencontre entre ces deux personnes bel et bien réelles.
«On a essayé de rester fidèles à ce qu’on savait de la réalité mais en tissant avec de la fiction.»
Comment avez-vous procédé?
J’ai utilisé des événements qui leur sont réellement arrivés. Je m’en suis servi comme autant de tremplins pour raconter leurs histoires en parallèle mais je les ai fait se télescoper. Mary était toujours prête à manigancer un plan. Et elle décide dans la série qu’Hezekiah doit en faire partie. On a essayé de rester fidèles à ce qu’on savait de la réalité mais en tissant avec de la fiction.
Comment avez-vous eu vent des Forty Elephants? Sont-elles célèbres en Angleterre?
Non, pas du tout. Je ne me souviens pas clairement, mais ce doit être en faisant des recherches pour Peaky Blinders. J’ai lu sur les gangs londoniens et c’est ce qui a dû m’amener à elles. Leur histoire est tellement incroyable…
Après Peaky Blinders qui se déroulait au début du XXe siècle, vous vous penchez avec A Thousand Blows sur la fin du XIXe. Qu’est-ce qui vous intéresse à ce point dans cette période de l’histoire?
Une énergie particulière se dégage de ces années où Londres était la capitale du monde et où Birmingham en était le centre industriel. Il y avait énormément de pouvoir et d’énergie à l’œuvre. La Tamise était une véritable autoroute du commerce. J’aime raconter des histoires de la classe ouvrière. Dans les deux cas, je me penche sur des gens qui sont nés dans un monde assez particulier. Leur destin semblait tracé mais ils n’en voulaient pas et ils ont décidé de le bousculer. C’est un bon contexte pour ce genre d’histoire. Ce n’est pas que je veuille me focaliser sur une époque particulière mais si on peut fouiller dans les 200 dernières années pour raconter une histoire, on a bien davantage de liberté que si on se concentre sur le contemporain.
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D’où vous vient cet intérêt pour la classe ouvrière?
De mon passé. C’est dans cette working class que j’ai grandi. Et je trouve encore une fois que c’est une super source de dramaturgie. Je pense à tous ces gens intelligents, malins qui n’arrivent pas à s’en sortir à cause de leurs origines. L’Angleterre est un pays tout particulièrement régi par les classes sociales. Et ça permet de raconter des trucs très intéressants. Plein de gens sont assez brillants pour faire autre chose que ce que le sort leur a réservé mais en sont empêchés par leurs origines sociales. Ce qui les amène souvent à la criminalité pour s’en sortir. Et c’est là que le drame entre en scène.
«L’Angleterre est un pays tout particulièrement régi par les classes sociales. Ça permet de raconter des trucs très intéressants.»
C’est toujours le cas selon vous? L’Angleterre est-elle davantage régie par les classes sociales que les autres pays? Pourquoi?
Contrairement à beaucoup d’autres, nous n’avons jamais vraiment connu de révolution. Je crois que le système politique et la société britanniques préfèrent ça aux situations qu’on voit aux quatre coins du monde actuellement. Je pense que les éléments de classe définissent qui on est et le destin qu’on mènera. Le parcours de chacun est très souvent la conséquence du milieu dont il est issu.
Comme dans Peaky Blinders, des personnages féminins extrêmement forts peuplent A Thousand Blows alors que la série parle du milieu très masculin de la boxe. Est-ce grâce au format de la série que c’est possible?
Je crois, oui. Je commence à penser que la télévision de longue durée est comme un roman, là où le film serait une nouvelle. Je ne dis pas qu’un format est meilleur que l’autre. Mais avec les séries et le temps qu’elles accordent à ceux qui les écrivent, on peut suivre des personnages qui ne sont pas sympathiques. On peut mieux gérer le passage du temps, montrer ces personnages changer. Je ne pense pas que ce soit une décision consciente de rendre les personnages féminins plus forts. Je dirais qu’à cette époque, les femmes étaient extrêmement puissantes. Même si elles n’avaient pas le droit de vote, elles avaient du pouvoir et elles étaient responsables de beaucoup de choses. Tout particulièrement, d’ailleurs, quand il était question d’argent. On n’essaie pas de faire passer un message à travers la série. On voulait refléter quelque chose qui était vraiment là. Il y avait la situation officielle marquée du sceau de l’injustice –l’interdiction de voter, notamment. Mais dans le monde réel, et tout particulièrement dans le milieu ouvrier, ce sont les femmes qui tenaient la boutique. Géraient la famille et veillaient à ce que l’argent soit utilisé à bon escient. A ce qu’il ne soit pas gaspillé pour boire au pub du coin. Elles étaient synonymes d’autorité dans ces domaines-là.
«La télévision de longue durée est comme un roman, là où le film serait une nouvelle.»
Comment vous êtes-vous documenté pour nourrir A Thousand Blows?
J’ai essayé de ne pas en faire trop avec les livres d’histoire. Parce que quand on lit ces bouquins, on a le sentiment que tout était inévitable. Ceci est arrivé. Puis ceci. Et donc évidemment cela… Je pense que les choses sont plus chaotiques que ça. Que la moindre décision de quelqu’un peut avoir 10.000 conséquences différentes. L’idée que les gens accomplissent au fil de leur existence un destin écrit d’avance n’est pas exacte. Je suis bien plus intéressé par le fait de regarder ce qui s’est passé dans l’histoire et d’envisager quelles étaient les options. D’envisager ce qui aurait pu se produire. De challenger le destin, en fait… Pendant mes recherches, j’ai essayé de lire davantage de journaux que de livres. J’ai un faible pour les faits obscurs de la vie quotidienne. A l’époque, par exemple, on ne pouvait pas tenir une réunion dans une pièce qui donnait sur la rue. On pense que l’environnement urbain actuel est particulièrement bruyant. Mais dans le temps, il y avait les roues en métal des chariots sur les rues pavées, des vendeurs de rue, des gens qui criaient, parlaient, riaient. Ça courait partout, tout le temps.
Après six saisons, la suite de Peaky Blinders va se décliner sous la forme d’un film. Pourquoi avoir opéré ainsi? Que pouvez-vous déjà en dire?
C’est tourné et c’est formidable. Le casting est incroyable et ça va être extraordinaire, je crois. Si on est partis sur un film, c’est parce que je voulais boucler la boucle. Terminer l’histoire de Tommy Shelby au sein des Peaky Blinders. Et si les Peaky Blinders vont continuer, ce film marquera la fin de la première partie. The Immortal Man se passe durant la Seconde Guerre mondiale. Tommy est dans une situation très compliquée. Tout se déroule en Grande-Bretagne. Il y est question de famille, de rédemption, de bien, de mal…
Vous avez créé une minisérie qui raconte l’origine du ska (This Town) et écrit le scénario du film sur Maria Callas qui vient de sortir. Les biopics musicaux pullulent ces derniers temps. Pourquoi? Les gens ne risquent-ils pas tout doucement de se lasser?
En ce qui concerne Maria, j’ai à la fois été vraiment attiré par la musique et par le personnage. This Town a été un projet plus personnel. Un peu comme des mémoires, parce que j’ai grandi dans cet univers. Aujourd’hui, plus personne ne questionne tout ça. Mais quoi qu’on regarde à la télévision ou au cinéma, il y a des pistes musicales. Tout le reste est «réel». Mais d’où vient cette musique? Les spectateurs l’acceptent. Génial! Ça veut dire qu’il y a différentes manières d’accrocher le public. Les personnages, les dialogues, l’action. Mais aussi ce truc si particulier, émotionnel et subliminal qu’est la musique. Je suis toujours prêt à l’utiliser, quelle qu’en soit la manière.
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