Après avoir conté les pérégrinations sentimentales d’un musulman au New Jersey, Ramy Youssef dépeint, à travers un dessin animé mordant et loufoque, la vie d’une famille arabe dans l’Amérique post-11-Septembre. Portrait.
Encore relativement méconnu du grand public de ce côté-ci de l’Atlantique, Ramy Youssef a déjà énormément fait parler de lui au pays du terrible oncle Sam. Parce qu’il est un acteur convaincant et un auteur brillant, drôle et décalé, l’un des amuseurs publics musulmans les plus en vue du moment. Puis aussi –ce qui l’a encore fait entrer dans une autre dimension– parce que Taylor Swift s’est fait tackler (demande d’excuses et appel au boycott) après avoir assisté avec Selena Gomez et Cara Delevingne à un de ses spectacles dont il versait les bénéfices à une association propalestinienne.
Alors que son pays baigne dans un trumpisme du plus mauvais effet, que les médias du monde entier ont le regard braqué sur le Moyen-Orient, que le torchon brûle entre Israël et l’Iran, Ramy Youssef continue de tracer son chemin singulier sur les écrans. Il partage cette année avec Steve Carell l’affiche du film HBO Mountainhead, premier long métrage du créateur de Succession, et vient de dégainer un dessin animé pour adultes (#1 Happy Family USA) racontant sur un ton satirique le quotidien et la famille d’un ado musulman américain après les attentats du 11-Septembre.
Avec son regard perçant et malicieux, son sourire communicatif, son ton souvent désabusé et son goût pour l’autoflagellation, Ramy est en train de faire craquer le vernis et tomber les préjugés, de changer à travers le divertissement le regard des Occidentaux sur les musulmans.
Un musulman en Amérique
Homme aux multiples facettes et casquettes, à la fois humoriste, comédien, acteur, auteur, producteur et réalisateur (il a dirigé des épisodes de Ramy, la série dont il est le héros, mais aussi de The Bear), Ramy Youssef est né le 26 mars 1991 dans un hôpital du Queens et une famille d’origine égyptienne. Ses parents viennent du Caire et se sont rencontrés à New York, où l’un de ses grands-pères fut interprète aux Nations unies pendant 30 ans avant de s’installer dans le New Jersey.
Ramy a grandi dans la petite ville de Rutherford et la première chose pour laquelle il a économisé son argent de poche était une caméra. Il avait alors une petite dizaine d’années et aimait filmer le facteur. Puis il y a eu Windows Movie Maker sur l’ordinateur de ses grands-parents et, à New York, le Peoples Improv Theater (PIT), un théâtre de comédie et centre de formation fondé en 2002 par le comédien américain né à Téhéran Ali Farahnakian (Delocated).
Sur les conseils de l’acteur Laith Nakli, il abandonne ses études universitaires en économie et sciences politiques à 20 ans pour s’inscrire au William Esper Studio et se concentre sur le théâtre. Il pensait reprendre l’université après un programme de deux ans, mais il a préféré partir à Los Angeles où il a rencontré beaucoup de personnes dans le même état d’esprit que lui à l’Arab American Comedy Festival, un événement lancé en 2003 pour combattre avec humour les stéréotypes et la déshumanisante rhétorique engendrés par la vague anti-arabe qui submergeait alors le pays.
Humanizer
Les débuts de Ramy Youssef se sont révélés plutôt compliqués. Lorsqu’il passait des auditions, avoue-t-il, personne ne savait trop quoi faire de lui. Pas assez ethnique? Pas suffisamment charismatique? De toute façon, dans les années 2000 aux Etats-Unis, les seules rôles proposés aux acteurs vaguement arabes étaient ceux de terroristes. Stand-uppeur depuis l’école secondaire, il réfléchissait déjà à un projet basé sur son expérience de jeune musulman aux Etats-Unis lorsqu’il a décroché, il y a une quinzaine d’années, un rôle régulier dans la série See Dad Run. Après des apparitions dans Mr. Robot, The Boyfriend: pourquoi lui? ou encore le très bon Don’t Worry, He Won’t Get Far on Foot de Gus Van Sant, il débarque en 2019 avec Ramy, l’histoire, déclinée sur trois saisons, d’un bientôt trentenaire musulman tiraillé entre sa foi, ses parents et son appétit sexuel. Les déboires d’un jeune type avec un boulot foireux et des conquêtes bizarres. De la femme arabe qui veut se faire étrangler à l’arrière d’une voiture pendant les ébats à la fille juive qui veut s’envoyer en l’air avec lui sous ecstasy…
Ramy lui a valu le Golden Globe du meilleur acteur dans une série télévisée musicale ou comique, mais Youssef est bien plus que ça. Il prône l’intégration par l’humour. Elle n’est d’ailleurs pas relative qu’à la religion et à la couleur de peau. Son meilleur ami, dans la série comme à la ville, Steve Way, en est la preuve vivante. Ce dernier souffre de dystrophie musculaire et est coincé dans un fauteuil roulant. S’il fait l’objet de vannes bien mordantes, il incarne surtout la mise en lumière des invisibles. Ceux que l’industrie du divertissement comme la société refusent trop souvent de regarder. Ramy Youssef cherche à humaniser.
Beaucoup de ceux avec lesquels il joue et travaille ont des racines palestiniennes. Il n’a pas attendu que la représentation des minorités devienne une priorité à Hollywood. Il avait 10 ans quand les avions se sont encastrés dans les tours du World Trade Center et ont profondément chamboulé l’image des musulmans. Son œuvre est une exploration intime, sociale et politique de ce que signifie en être un aux Etats-Unis aujourd’hui.
Ramy Youssef offre à voir une réalité et un point de vue qui n’avaient pour ainsi dire jamais été représentés dans les médias mainstream. Les complexités de la famille, de l’intégration, du genre, de la culpabilité et de la honte dans le monde musulman occidental. Un peu comme Atlanta de Donald Glover, alias le rappeur Childish Gambino, Ramy et #1 Happy Family USA font bouger les lignes, bousculent les idées reçues. Youssef est tout-terrain. Il s’est fait lécher l’oreille par Emma Stone dans Pauvres créatures de Yórgos Lánthimos, oscarisé en 2023, et est avec son pote Mo Amer le créateur de la série Mo: l’histoire d’un Palestinien demandeur d’asile qui galère à Houston. Marié à une artiste plasticienne d’Arabie saoudite, Ramy Youssef bosserait actuellement sur une série Netflix (Golf) avec Will Ferrell. Ace…
#1 Happy Family USA
Disponible sur PRIME VIDEO
Une série de Ramy Youssef et Pam Brady. 8 épisodes d’environ 30 minutes.
Focus: 3,5/5
Pas facile d’être musulman aux Etats-Unis. A fortiori après que Ben Laden et ses potes ont modifié le statut du 11 septembre dans le calendrier. Au lendemain des attentats terroristes, les Hussein comprennent qu’ils doivent changer leur fusil d’épaule. Pardon, leurs habitudes. Ils vont devoir se fondre dans la masse. Montrer qu’ils sont des gens normaux et pas des poseurs de bombes. En somme, devenir une famille de parfaits et heureux Américains. Si la barbe de son radin de paternel repousse plus vite qu’il la coupe et si sa sœur cherche toujours comment faire son coming out, Rumi, 12 ans, passe ses journées avec Frisette, un agneau qui parle, à se demander comment séduire sa prof Mrs Malcolm. Cocréé avec Pam Brady, ancienne scénariste de South Park, #1 Happy Family USA est une satire cathartique sur l’islamophobie. Une comédie pour adultes subversive, drôle et politique.