Le podcast, énième bulle Internet spéculative?

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Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Minou minou minou! Amenez-vous les mordus du podcast! Ici au Titty Twister on écrase les prix sur le podcast! On a de tout, du podcast blanc, noir, jaune, chaud, glacé, qui pue, poilu, saignant, qui mord! On a du podcast en soie, en velours, en polyester. Un tsunami de podcasts et une église au milieu du village, c’est le Crash Test S04E12, minou minou minou.

Je dois vous avouer un truc plutôt lourd: j’ai beau en avoir moi-même animé durant 5 ans et j’en referai probablement encore beaucoup d’ici la retraite (il y a des projets qui mijotent, en tous cas), je ne comprends pas l’engouement actuel autour du podcast. Ce délire autour du podcast. Pourquoi le podcast a droit à des articles de propagande dithyrambiques, des salons spécialisés, des awards… Je ne comprends pas cet engouement parce que pour moi, s’exciter à ce point sur le concept « podcast », c’est exactement comme si on se montait le bourrichon à propos de la livraison à vélos de plats préparés. Pourquoi diable encore s’exciter sur la livraison à vélos de plats préparés? La bicyclette a été inventée en 1817, les premiers traiteurs sont apparus au Moyen-Age et l’esclavage est encore plus ancien. Bref, je m’en tamponne la caricole de la livraison à bicyclettes de plats préparés! Je ne comprends pas pourquoi on en parle à ce point au XXIe siècle, en quoi cela serait l’avenir, le présent, quelque chose de formidable, pourquoi un livreur qui pédale serait un héros des temps modernes… Bien entendu, on peut dénoncer des trucs importants associés à la livraison à bicyclettes de plats préparés, comme le fait que les conditions de travail dans le secteur sont souvent indignes d’un sweatshop bengali; que, par essence, les plats en sauce ne sont pas faits pour être transportés et qu’il faut vraiment être étouffé par la pensée petite-bourgeoise pour préférer bouffer en caleçon devant Game of Thrones des plats à 50 boules plutôt que d’aller les apprécier au restaurant. Ça, c’est mon côté journaliste/sociologue de comptoir. Mais mon côté Serge Coosemans, lui, n’en a tout simplement rien à foutre de la livraison à vélos de plats préparés! Ça fait partie du décor d’une vie qui n’est pas la mienne et ça me semble même moins passionnant que de rencontrer quelqu’un qui collectionne les crottes de nez.

Quel rapport avec le podcast, me demanderez-vous? Le podcast fait-il aussi partie du décor d’une vie qui n’est pas la mienne alors que j’en fais et que j’en écoute? Non, c’est juste que mon point de vue sur la chose est assez dépassionné et c’est justement pourquoi je ne comprends pas le délire autour du podcast. Cette mode. Cette bulle, parce que vus les gros sous qui se dégagent pour en produire, les gros services de streaming que ça excite, des mastodontes du genre de la RTBF qui s’y mettent enfin et le grand public qui se pâme au moindre pet sur toile cirée enregistré en MP3, le monde du podcast tient selon moi clairement de la bulle spéculative. Et donc, there will be blood. Des larmes, aussi. Et de l’exploitation et des baudruches qui se dégonflent. C’est quoi, sinon, fondamentalement, un podcast? C’est un show audio transportable. De la post-radio qui peut se fabriquer dans sa cuisine et n’a pas besoin d’un émetteur pour toucher son public. Voilà déjà pourquoi cela m’impressionne moins qu’un beau chapeau, vu que je ne pense pas que l’on ait vraiment attendu l’iPad, les baladeurs numériques et les smartphones pour transporter des sons à écouter dans des endroits où c’était auparavant impossible.

Ce qui compte, c’est le contenu

Enregistrer sur cassettes des mix de DJ’s, de la création radiophonique, du spoken word et même des débats pour plus tard les écouter (et les réécouter) sur son enregistreur portable ou sur son walkman, cela se faisait déjà il y a 30 ou 40 ans, peut-être pas aussi couramment et facilement qu’aujourd’hui, mais cela se faisait. Je ne pense pas non plus qu’on ait attendu le podcast pour démocratiser l’accès à la parole, proposer du contenu « déformaté » et des émissions DIY au confort d’écoute et à la qualité technique éventuellement rudimentaires. Ainsi, moi, à 17 ans, j’étais bénévolement au micro de Radio Panik alors que ma voix n’avait pourtant pas fini de muer et j’y enchaînais encore plus de « heu » à la minute que Jérôme Colin n’est payé pour le faire en 2018 sur une chaîne nationale. Toujours sur Panik, j’ai aussi parfois assuré « la technique » d’une émission où il n’était pas rare que cinq personnes parlent en même temps dans deux micros et encore, deux micros, c’était quand je n’oubliais pas d’en monter les curseurs. Nous n’avions, bien entendu, pas grand-chose à dire mais nous le disions quand même. D’autres, sur ce même type d’antennes, avaient en revanche plus de choses à dire: des personnes incarcérées, des gays, des représentants de communautés étrangères, des opposants à Mobutu, des gauchistes mangeurs de graines et des DJ’s dont la musique était alors encore considérée comme de la simple soupe pour drogués…

Ce background explique que pour moi, ce qui compte, c’est le contenu. Toujours. Mon temps de cerveau est limité, ma vie est limitée, et je n’ai aucune envie que tout cela s’enlise dans les marécages de la carabistouille. Ce qui prime, c’est ce que les gens ont à dire, à exprimer, que cela soit en paroles ou en musiques. J’entretiens un rapport plus élastique, voire complètement confus, à l’aspect technique. Il me faudrait sans doute au moins seize bières avant que je ne puisse m’exprimer clairement sur ce sujet mais disons qu’en résumé, je peux être très clément pour les pains et la saturation si le contenu en vaut la peine (même si c’est mieux quand le travail est propre, voire carrément inventif). Tout cela pour dire qu’en fait, je ne comprends pas très bien la différence autre que technologique entre un podcast et un show plus traditionnel et dès lors, j’ai du mal à saisir ce qu’il y aurait de si excitant, de si moderne, de si novateur au fait d’enregistrer des choses en espérant qu’un public l’écoute. Bref, tout comme le service traiteur à pédales, il me semble que nous avons là aussi sous les yeux (et entre les oreilles) un truc vieux comme le monde (les premières émissions de radio en Belgique remontent à 1914) que le marketing moderne cherche aujourd’hui juste à faire passer pour une tendance chaud-boulette doublée d’un produit identitaire disruptif parce que ça l’arrange.

Questions gênantes

Ce qui est nouveau, c’est l’ultra-disponibilité des contenus et leurs indépendances par rapport à des plans de fréquences, des horaires, des grilles, les limitations des émetteurs et dans des cas particuliers comme celui d’un Joe Rogan, l’un des plus gros podcasteurs au monde, de toute personne capable d’exercer des pressions sur le contenu proposé. C’est bien, beau et bon, tout comme il est bien, beau et bon que je puisse enregistrer du contenu audio dans mon salon et le diffuser au monde entier via une connexion personnelle. Ce n’est pas que bien, beau et bon, c’est très gai, aussi. Mais c’est principalement technique, tout cela. Cela ne tient aucunement d’une révolution éditoriale; ce qui est pourtant régulièrement chanté et avancé par les vendeurs de vent. Quand on vient au strict contenu de beaucoup de podcasts, je pense pour ma part qu’il est même assez permis et carrément sain de se poser toute une série de questions gênantes.

Déjà, est-ce que l’on ne retombe pas un peu trop souvent et très vite sur les tics et même les formats de la radio plus traditionnelle? L’actuel tsunami de podcasts permet-il de réellement distinguer la qualité dans la quantité? Un podcast disponible sur le site d’une chaîne de radio nationale est-il d’ailleurs toujours un podcast ou est-ce juste une émission en sous-traitance à laquelle on fait un pub monstre, drôlement plus monstre que celle des émissions plus traditionnelles (mais plus pro) de cette même chaîne? Un crétin narcissique qui parvient à se faire une audience maousse en déblatérant ses idioties via un laptop à 300 balles est-il sinon réellement une bonne chose pour le journalisme, les pros du son, l’éthique et même l’intelligence en général? On nous vend le podcast comme une énième révolution DIY, l’accès à la parole des laissés pour compte et des millenials, une grande libération médiatique mais quel est véritablement l’intérêt à écouter des critiques cinéma par des gens qui ont vu douze films et demi (dont six Marvel) dans leurs vies et se farcir les oreilles de l’avis de critiques littéraires qui n’ont pas pu finir American Psycho parce que « rolala »?

Le fait que tant de gens écoutent des podcasts courts mais sont toujours incapables d’apprécier la création radiophonique et le reportage audio au long cours n’est-il sinon pas alarmant, frustrant, rageant? Et quand on veut se faire une idée sur la théorie de genre, le changement climatique et le transhumanisme, vaut-il mieux écouter un podcast ou plutôt lire les livres qui y sont mal résumés? Question subsidiaire: à quel moment inviter un podcasteur branquignolle à fermer son claque-merde ne tient-il plus de l’agression mais bien du service rendu à l’humanité? Bref, vous pouvez m’accuser de troller un plaisir à la mode, moi, j’ai surtout l’impression de tenter de remettre l’église au milieu du village. Et woula, ça m’a donné faim, tout ça. C’est quoi encore le numéro du livreur de rôti de veau?

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