Le Jeu de la dame sur Netflix: c’est ce qui s’appelle un coup de maître
The Queen’s Gambit retrace, durant la guerre froide, l’irrésistible ascension d’une jeune prodige américaine dans l’univers masculin des échecs. Un emploi dans lequel Anya Taylor-Joy, magnétique, excelle.
C’est ce qui s’appelle un coup de maître: retraçant, dans l’Amérique corsetée des sixties, le destin d’une jeune joueuse prodige dans l’univers fort masculin des échecs, The Queen’s Gambit (Le Jeu de la dame) connaît un succès ne semblant pas près de se démentir. Sa réussite, la mini-série créée par Scott Frank et Allen Scott d’après un roman de Walter Tevis la doit à sa qualité d’écriture, comme, du reste, à l’élégance de sa mise en scène. À son souci du réalisme également, dûment salué par le monde des échecs -en guise de consultant, les producteurs ont fait appel à Gary Kasparov, pas moins. Elle la doit enfin à la présence d’Anya Taylor-Joy, magnétique sous les traits de Beth Harmon, cette orpheline du Kentucky couvant, dans le mystère insondable d’un regard brûlant, une passion-obsession pour les échecs, à l’origine d’une ascension fulgurante traduisant aussi un instinct de tueuse apaisé à grand renfort de gélules vertes.
Si elle trouve là ce qui restera sans aucun doute l’un des rôles marquants de sa carrière, rien ne prédestinait a priori Anya Taylor-Joy à incarner une championne d’échecs -une discipline dont elle confesse d’ailleurs qu’elle ne connaissait rien en se lançant dans le projet. À 24 ans -elle est née en 1996 à Miami, avant de grandir entre Argentine et Angleterre-, la comédienne s’est d’abord imposée dans le cinéma d’épouvante, révélation de The Witch, le film-culte de Robert Eggers en 2015, avant de se multiplier dans les films de genre, les Morgan ou autre Marrowbone d’un intérêt relatif, auxquels viendra bientôt se superposer le diptyque fantastique consacrant le net regain de forme de M. Night Shyamalan, Split et Glass. Soit une ascension n’étant pas sans évoquer celle de… Beth Harmon, et une carrière menée tambour battant sans qu’il y ait là rien de calculé, comme elle nous l’expliquait il y a quelques mois, alors qu’elle assurait la promotion de Emma., d’Autumn de Wilde: « Je n’ai pas eu l’occasion de vraiment faire un break, et je m’en porte fort bien, parce que je suis d’un naturel plutôt anxieux. Si je m’étais mise à réfléchir trop longtemps à ce qui m’arrivait après The Witch, je n’allais plus jamais travailler. Il valait mieux que je travaille sans discontinuer, et c’est plus ou moins ce qui s’est produit… Les choses n’arrivent pas par hasard, le travail est ce qui importe le plus si l’on est dans ce métier pour les bonnes raisons.«
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Des héroïnes ambivalentes
Multiplier les rencontres et élargir son horizon, par exemple, disposition qui la conduira à camper une femme fatale dans la série Peaky Blinders, à se frotter au cinéma de Marjane Satrapi dans Radioactive, une biographie de Marie Curie, ou donc à se fondre dans l’univers de Jane Austen pour Emma., dont elle tenait le rôle-titre dans un équilibre d’acidité et de charme. « J’ai voulu rester fidèle aux intentions de Jane Austen, qui avait écrit un personnage dont elle pensait qu’elle serait la seule à l’aimer, nous confiait-elle alors. Il existe une pression pour que les héroïnes soient forcément aimables, que ça ressorte comme une évidence. Je tenais pour ma part à ce que les spectateurs doivent se montrer un peu plus circonspects, et qu’Emma puisse aussi apparaître cruelle. » Manière d’étoffer aussi le personnage d’une certaine ambivalence, art dans lequel The Queen’s Gambit vient aujourd’hui rappeler qu’elle excelle.
La suite ne s’annonce guère moins prometteuse, qui la verra retrouver des sixties qui lui réussissent de toute évidence dans Last Night in Soho, d’Edgar Wright, reprendre la Furiosa de Charlize Theron dans le spin-off de Mad Max: Fury Road, de George Miller, et recroiser la route de Robert Eggers pour The Northman, une histoire de vengeance dans l’Islande du Xe siècle. « Robert et moi, nous sommes comme des âmes soeurs. Quand on travaille avec un réalisateur et que ça fonctionne, pouvoir remettre le couvert est très agréable. Personne ne comprend mieux que Robert ce que j’ai vécu quand The Witch est sorti. Et je suis tellement fière de ce qu’il a accompli avec The Lighthouse, un film courageux et inouï. Avoir grandi dans ce métier et pouvoir collaborer à nouveau me procure un sentiment incroyable… » Le jeu de la dame n’a jamais paru aussi ouvert…
Mini-série en sept épisodes créée par Scott Frank et Allan Scott. Avec Anya Taylor-Joy, Marielle Heller, Bill Camp. Disponible sur Netflix. ****
Sortie sans fracas fin octobre sur Netflix, The Queen’s Gambit n’a pas tardé à faire le buzz, au point de s’ériger en phénomène. Inspirée du roman de Walter Tevis, et mise en scène par Scott Frank, la mini-série retrace, dans le contexte de la guerre froide, le destin de Beth Harmon, orpheline de neuf ans pour qui la découverte inopinée des échecs va faire l’effet d’une révélation, la jeune prodige du Kentucky entamant bientôt une irrésistible ascension, aux tournois scolaires succédant les compétitions, survolées sans sourciller… Une fiction de plus de six heures autour d’un sport cérébral, voilà qui pouvait paraître audacieux. Pari relevé haut la main par une série qui, si elle respecte la complexité des parties d’échecs, en traduit également le côté fascinant, dans une dynamique répétitive mais plus encore hautement addictive. Si The Queen’s Gambit est une réussite majeure, elle le doit encore à son héroïne, inscrite à rebours des success story classiques, bloc de froideur évoluant dans un environnement masculin et entretenant sa passion-obsession à grand renfort de tranquillisants. Anya Taylor-Joy, sensationnelle, y ajoute, de son regard félin, une part d’insondable étrangeté, ouvrant sur des névroses diverses -celles du personnage comme celles de l’Amérique cintrée des sixties-, que la mise en scène enrobe d’élégance vintage. Magistral.
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