Andrew Ahn revisite Jane Austen dans Fire Island, une comédie LGBTQIA+ célébrant la diversité
Andrew Ahn s’approprie Orgueil et préjugés, le classique de l’autrice anglaise, qu’il déplace à Fire Island, haut lieu de la culture gay américaine, pour en livrer une version queer contemporaine.
L’œuvre de Jane Austen reste aussi inépuisable qu’indémodable. Après des déclinaisons teen (Clueless) puis pop (Emma.) de Emma, c’est au tour de Pride and Prejudice de faire l’objet d’une adaptation audacieuse, sous la forme d’une version homosexuelle contemporaine se déployant à Fire Island, haut lieu de la culture gay américaine situé au sud de Long Island. Aux commandes du film, Andrew Ahn, réalisateur américano-coréen découvert en 2016 avec Spa Night, avant de signer Driveways trois ans plus tard. Lequel livre, pour le coup, son premier film de studio, Fire Island étant produit par Fox Searchlight et diffusé par Disney +. Cette comédie romantique s’inscrivait dans un courant qui, de Happiest Season, avec Kristen Stewart et Mackenzie Davis, à The Prom, avec Meryl Streep, a vu se multiplier les films mainstream embrassant des thématiques LGBTQIA+. Explications au cours d’un entretien Zoom.
Comment avez-vous été impliqué dans ce projet?
J’avais rencontré Joel Kim Booster (scénariste et premier rôle du film, NDLR) un jour de 2016. Il avait vu mon premier long métrage, Spa Night, et avait souhaité faire ma connaissance, ce qui ne pouvait que m’enthousiasmer, étant moi aussi un artiste américano-coréen homosexuel. Nous sommes restés en contact, et quand il a écrit le scénario de Fire Island, j’ai été approché par l’équipe de production. J’ai trouvé le script drôle, sincère et intéressant, à quoi s’ajoutait que j’avais vraiment envie de travailler avec Joel.
Quand Fire Island a été annoncé, vous avez posté le tweet suivant: “This Is My Jurassic World! This Is My Eternals!” Qu’entendiez-vous par là?
( Rires) En tant que cinéaste ayant grandi dans la sphère indépendante, je n’avais jamais rien fait qui soit associé à un studio ou une société de production comme Searchlight Pictures. Ça représentait l’opportunité de disposer d’un budget et de ressources plus importantes pour réaliser le film, mais aussi de toucher un public plus vaste, quelque chose qui ne pouvait qu’aiguiser ma curiosité. Je voulais tourner un film amusant et divertissant, tout en me réjouissant que le scénario soit aussi provocateur. Ce tweet se voulait drôle avant tout, mais je suis intimement convaincu qu’il y a différents types de médias à la portée de tout le monde.
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Dans quelle mesure est-il important à vos yeux qu’un film comme celui-ci voie le jour aujourd’hui?
On assiste à une évolution vraiment intéressante en ce qui concerne la diffusion mainstream de récits queer. Je me souviens encore de l’époque où, à l’école de cinéma, je découvrais le nouveau cinéma queer, des films comme Poison de Todd Haynes, et ce que ça représentait pour moi. Faire partie d’un héritage où un film comme celui-ci peut toucher des spectateurs de plus en plus nombreux, et où les films queer peuvent être appréciés par un public plus large est vraiment excitant. J’espère que c’est le signe d’un monde toujours un peu plus queer.
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Considérez-vous qu’en plus d’être une comédie romantique, Fire Island soit un film politique?
La principale raison pour faire ce film à mes yeux, c’était qu’après un an de pandémie, j’étais fort déprimé, et triste de ne pas pouvoir passer de temps avec mes amis. Je menais une existence vraiment solitaire. Quand j’ai reçu ce scénario, et sa célébration de l’amitié homosexuelle dans la communauté américano-asiatique, ça m’a paru important et opportun. J’ai voulu me concentrer sur cette dimension, la philosophie qui m’a guidé était d’en souligner le côté joyeux. On a vu, au cinéma, beaucoup de récits homosexuels tristes -j’en ai d’ailleurs eu ma part avec Spa Night, mon premier long métrage, qui était très sombre. Mais autant ces films sont tout à fait valables, autant il me semble important de les contrebalancer avec des histoires se concentrant sur le côté heureux de notre existence. Ça a autant de prix à mes yeux.
En vous lançant dans ce projet, quelle était votre connexion personnelle à l’univers de Jane Austen?
J’adore tout particulièrement Orgueil et préjugés. J’ai lu le roman, puis j’ai regardé la minisérie de la BBC ( diffusée au milieu des années 90, elle allait faire de Colin Firth une star, NDLR) et enfin l’adaptation de Joe Wright, avec Keira Knightley et Matthew Macfadyen, qui reste l’un de mes films favoris. Quand j’ai reçu le scénario de Fire Island, j’ai aussitôt essayé de voir à qui correspondait chaque personnage: Will était Darcy, Charlie était Bingley, je me suis beaucoup amusé à ce petit jeu. Et j’ai été bluffé par la manière dont Joel a su prendre cette histoire classique et l’adapter en une relecture homosexuelle moderne.
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Jane Austen a écrit ce roman il y a deux siècles. Qu’est-ce qui fait qu’il reste pertinent aujourd’hui?
Nous n’arrêtons pas, dans notre vie quotidienne, de faire les hypothèses les plus diverses sur les gens que nous rencontrons, et ça me semble important. Nous devons pouvoir jauger quelqu’un rapidement, afin de déterminer si nous nous sentirons bien en sa compagnie. Mais en même temps, nous pouvons faire des erreurs de jugement, et passer à côté de relations potentielles. C’est encore tout à fait d’application d’aujourd’hui, il y a là-dessous quelque chose de fondamentalement humain. Ce qu’a voulu faire Jane Austen, et que nous essayons de faire à notre tour, c’est d’explorer comment nous améliorer en tant qu’humains, comment pouvons-nous nous montrer plus ouverts et plus vulnérables? Je pense que ça demeure une dimension fondamentale dans notre aspiration à devenir de meilleures personnes.
Quand on s’empare d’un classique comme celui-là, quel est le défi le plus important à relever?
Pour moi, ça tourne autour du fait de vouloir rester fidèle à l’esprit de l’histoire, tout en sachant qu’il va falloir en changer de nombreux détails: le sexe des personnages, le lieu où elle va se dérouler, de nombreux éléments changent, mais le plus important, c’est de déterminer ce qui rend cette histoire aussi émotionnelle et irrésistible, et de s’y tenir, pour que le résultat puisse être aussi engageant que le roman.
Le lieu est crucial en effet, à tel point que Fire Island est l’un des personnages principaux du film. Comment s’y est déroulé le tournage?
Le tournage a été difficile, parce qu’il faisait chaud et pluvieux. Mais le plus important, c’est que Fire Island est un cadre naturel de toute beauté, mais aussi difficile à contrôler, ce que je tenais à ce que l’on puisse ressentir à l’écran. Et puis, tourner dans un endroit présentant une histoire tellement longue de Mecque gay, et que des homosexuels ont fréquenté depuis des décennies pour pouvoir y mener une existence authentique, revêtait bien sûr une importance spéciale à mes yeux. J’ai été sincèrement ému par cette dimension historique que l’on peut éprouver de manière subtile sur l’île: l’architecture des bâtiments, mais aussi les homosexuels plus âgés que l’on y croise, les histoires que l’on entend -j’ai veillé à ce que le film reflète cette qualité historique, et que l’on puisse se faire une idée de ceux qui avaient vécu sur place auparavant.
Vous ne vous y étiez jamais rendu vous-même?
Non, je m’étais rendu dans d’autres lieux de villégiature appréciés des homosexuels, Provincetown ou Palm Springs par exemple, mais jamais à Fire Island. Je savais que je débarquerais un peu sur le film dans la peau d’un outsider, mais ça m’a semblé une perspective pertinente, parce que le personnage central se sent lui-même un peu comme un outsider. J’ai naturellement eu de nombreuses conversations avec Joel, qui avait séjourné sur l’île en de multiples occasions, mais j’ai aussi utilisé ma perspective personnelle pour pouvoir être le plus objectif possible sur ce qui rend cette île spéciale et magnifique. Mais aussi toxique et difficile, en ce sens qu’elle est historiquement très prisée d’homosexuels blancs ayant un certain sens de leur sexualité n’incluant pas nécessairement des personnes queer de couleur. Un élément que j’apprécie dans le film, c’est qu’il trouve un espace pour ces dernières, et qu’il célèbre une communauté homosexuelle multiethnique.
Fire Island
Déployer Pride and Prejudice, roman fameux de Jane Austen paru en 1813, sur Fire Island, haut lieu de la culture gay américaine, pour en proposer une relecture queer contemporaine: le postulat présidant à cette comédie romantique d’Andrew Ahn est sans conteste audacieux. Soit donc Noah (Joel Kim Booster), débarquant avec sa bande de potes fauchés sur l’île au large de New York pour une semaine de fête entre mecs, bien décidé à aider Howie (Bowen Yang), son meilleur ami, à rencontrer l’homme de ses rêves. Mais si Charlie (James Scully) répond à tous les critères, ce dernier et ses proches sophistiqués ne peuvent, à l’instar de Will (Conrad Ricamora), dissimuler leur mépris et leur condescendance à l’égard de la petite bande fort démonstrative. La transposition du classique de la littérature anglaise dans une Mecque homosexuelle ne manque assurément pas de saveur, Andrew Ahn et Joel Kim Booster, scénariste du film en plus d’en être la star, s’amusant à multiplier les correspondances. L’entreprise, qui célèbre une culture queer débridée, tout en détournant et rejouant une série de clichés et préjugés, se veut aussi résolument enjouée et “over the top” que fun. Elle ne s’en essouffle pas moins sur la distance, rattrapée par son agenda romantique tandis que l’ironie et le mordant de l’autrice britannique semblent se diluer sous l’effet du sea, sex and sun…
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