Laurent de Sutter
Beach body pop party (3/6): « les coulures de glace se laissaient interpréter comme autant de coulures intimes »
Comment se faire un corps de rêve pour l’été: les conseils à ne pas suivre des meilleurs non-spécialistes pour éviter les calamités qui menacent vos vacances.
Tandis qu’on se la coule douce sur le sable chaud de la plage, il arrive que la réalité prenne un tour différent, plus proche du mirage qu’autre chose. Les perspectives se disjoignent, les lignes deviennent floues, ce qui semblait solide se met à fondre doucement – à la manière d’une crème glacée. La trace la plus tangible de cette «réalité fondante», ce sont les traînées sucrées qui finissent par échouer sur les pieds, les bras, la poitrine ou les doigts des amateurs de glaçons. Très vite, celles-ci se mettent à attirer tout ce qui est susceptible de gâcher le plaisir du farniente: grains de sable ou insectes en goguette. Se surajoutant à la transpiration, les coulures contribuent à transformer le paradis en enfer – ou plutôt, à se rendre compte que ce qui offrait un visage paradisiaque relevait de l’infernal depuis toujours. Dans le clip de sa chanson Ice Cream (2019), Mika donnait une interprétation sexualisée de ce phénomène, où la transformation de tout en matière molle, dégoulinant au soleil, devenait expression des désirs les plus refoulés. Les coulures de glace se laissaient interpréter comme autant de coulures intimes – ce qui était une autre manière de dire que, derrière la solidité du monde se trame de manière nécessaire une autre vérité, plastique, fluide, visqueuse, que celle-ci vise à refouler. L’enfer, au contraire de ce qu’écrivait Jean-Paul Sartre, ce n’est donc pas les autres mais la réalité elle-même, telle que cherche à la masquer la rigueur apparente de ce qui apparaît à notre regard. Parfois, il suffit d’un cornet qui fuit pour se rendre compte que rien n’est plus fragile, et qu’à trop vouloir rechercher la satisfaction, on finit par se retrouver en face d’un monde qui craque – un monde que nous n’avons pas du tout envie de regarder en face.
Lire aussi les deux premières chroniques de cette série d’été:
– Beach body pop party (2/6): « quand on transpire trop, on n’est jamais à l’abri d’un ‘coup de chaud’ »
– Beach body pop théorie (1/6): « A la plage, trop de poils tuent le poil »
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