Critique | Scènes

The Employees, un spectacle hybride sur notre condition humaine

4,5 / 5
The Employees © Natalia Kabanow
4,5 / 5

Titre - The Employees

Mise en scène - Lukasz Twarkowski

Compagnie - STUDIO theatregallery

Date - Les 21 et 22 mars 2024

Lieu - Théâtre de Liège

Casting - Dominika Biernat, Daniel Dobosz, Maja Pankiewicz, Sonia Roszczuk, Paweł Smagała, Rob Wasiewicz, Małgorzata Hajewska-Krzysztofik (voix), Miron Smagała

Dans son théâtre multiforme, Lukasz Twarkowski met la scène à l’épreuve du sensible avec un mariage complexe des matériaux textuels et plastiques. La preuve avec The Employees à voir à Liège.

Lukasz Twarkowski est un artiste majeur de la nouvelle scène. Le vidéaste, metteur en scène, concepteur d’installations et de performances multimédias s’empare des plateaux avec une imagination sensible et novatrice. En mars, le Théâtre de Liège accueillera The Employees, dystopie de fin de monde inspirée du roman éponyme d’Olga Ravn. Le pitch? Des humains et leurs sosies humanoïdes sont entraînés dans un vaisseau loin de la Terre. Les comportements des humains -comprenant le sensible- comme des humanoïdes -le découvrant- sont analysés à distance. Des gestes quotidiens, un enfermement patent, des fuites inévitables autant qu’impossibles, un labyrinthe de sentiments, d’interrogations, de sensations, c’est ça que propose The Employees, par une multiplicité d’approches. Le spectateur peut bouger autour du plateau, peut entrer et sortir de la salle quand il veut. Ça joue (fort) de la musique. Deux cameramans filment live, les acteurs s’emparent eux-mêmes des caméras. Le “vaisseau” est d’une incompréhensible architecture, même quand on en fait le tour. Ce spectacle de 2 heures et demie est un entrelacs de sensations. Quand on pense avoir compris cette dystopique interrogation sur la conscience humaine, le fil de la narration nous… file entre les doigts, les yeux, les sens. C’est voulu, explique Lukasz, digne successeur d’une tradition polonaise du théâtre. “Je suis du côté de Kantor, qui était peintre aussi. J’ai seulement vu ses enregistrements, mais sa Classe morte m’a profondément marqué. J’ai étudié la littérature slave, mais je savais que je voulais travailler le plateau. Pas dans le classique théâtre de texte. J’ai commencé la vidéo, je rêvais d’une forme hybride de spectacle entre concert, vidéo, installation. Pour moi, le problème avec l’hégémonie du texte, c’est que ça ne permet pas de faire paraître l’art du théâtre, sa façon de créer un événement. Je voulais plus. L’esthétique, ce n’est pas que visuel, il y a d’autres façons de raconter. Rothko (au cœur de son dernier spectacle qui se joue du 31/01 au 09/02 à l’Odéon à Paris, NDLR) disait la même chose: “La peinture ne devrait pas parler des émotions, mais être les émotions”.

Et il semblerait, avec ces Employees, comme avec ses autres travaux magistraux, toujours dans la longueur et la multiplicité, que Twarkowski s’y emploie spécifiquement. “Les scènes sans texte peuvent avoir une charge émotionnelle énorme. Pour The Employees, on n’a pas vraiment utilisé le texte initial, ce qui importait était de revenir à la source des sensations. L’idée n’est pas de retranscrire les mots, mais de recréer un univers en étant fidèle au sujet.” Et savoir s’en éloigner. Pour The Employees, ça a été de travailler le texte de base avec les acteurs, à la table, comprendre les tenants et aboutissants, décrypter comment Olga Ravn avait réussi à apporter par sa littérature les sensations qui émanent du texte. Les traduire en improvisations, brutes, puis aidées des technologies présentes au plateau. “L’esthétique, étymologiquement, c’est le sensuel. Donc c’est important de contextualiser sensiblement un propos. Puis de créer un univers total sur le questionnement de départ -la conscience de la vie, pour The Employees. Je ne peux pas séparer la narration première de l’impulsion esthétique. Je peux parler pendant des heures de mes inspirations, et au final je souhaite que les spectateurs retrouvent l’essence du message. Mais le résultat au plateau est quelque chose d’impossible à dire, au-delà des mots. C’est là qu’on touche l’humain. Dans cette possibilité de comprendre ce qui échappe à la pensée rationnelle.” C’est l’essence du théâtre de Twarkowski (son Respublika sera visible du 23 au 26 mai aux Halles de Schaerbeek dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts). Un théâtre du paradoxe. Une multiplicité de médias en scène, comme une multiplicité de compréhensions. Ce qui échappe au rationnel, mais qui est. C’est ce qui fait de ce théâtre qu’il est un théâtre qui ne se dit pas. Mais qui se vit.

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