« Skatepark », quand la vie urbaine se transpose sur scène

“Le skatepark, c’est un espace de passage, et aussi un espace où on se met en scène. On y voit et on y est vu.” © Bea Borgers

Les plateaux de théâtre miment la street. Skatepark, de Mette Ingvartsen, au Théâtre National, raconte cette rue à coups de planches à roulettes. Une relation intérieur-extérieur qui a le vent en poupe.

C’est un mouvement qui fonctionne dans les deux sens. D’un côté, des artistes n’hésitent pas à sortir des théâtres. En 2017, Benjamin Vandewalle, avec Walking the Line, emmenait les spectateurs en rue, masqués, pour une déambulation inspirée du yoga. Lors de cette marche guidée, les spectateurs visualisaient la ville autrement et devenaient acteurs d’un événement urbain. Pour leur Dernier Salut (repris en décembre à Namur), Jean-Pierre Baudson, Alfredo Cañavate et Patrick Donnay, les trois derniers comédiens permanents du TN, guidaient les spectateurs dans le trajet urbain de leurs souvenirs.

Dans l’autre sens, la ville s’est aussi installée sur le plateau. La saison dernière, La Place de Laure Lapel transposait sur le plateau du Théâtre Océan Nord, avec une certaine économie de moyens, les modifications urbanistiques et sociologiques de la place Fernand Cocq.

Jusqu’au 26 novembre, le grand plateau du Théâtre National se fait urbain. C’est en observant le furieux et ultra technique ballet du skatepark bruxellois des Ursulines que la chorégraphe danoise Mette Ingvartsen a eu l’idée de Skatepark, spectacle intergénérationnel et ludique alliant danse, skate et musique. Bien présente pour ne pas dire centrale, sa scénographie était un sacré challenge technique. Pierre Jambé, cofondateur d’Antidote Skateparks, entreprise de construction de skateparks, a créé l’impressionnant module installé sur le plateau du National. “Le skatepark, c’est un espace de passage, et aussi un espace où on se met en scène. On y voit et on y est vu. Ce qu’on retrouve dans le spectacle. On a coconstruit avec Mette un plateau adapté aux lieux de tournée les plus contraignants -comme deSingel, à Anvers, dont la scène est petite et cernée de poteaux qui cachaient partiellement la vue.” Pour élaborer ce plateau, Mette Ingvartsen et Pierre Jambé ont été au skatepark des Ursulines -que Pierre connaît bien puisqu’il l’a dessiné- “pour comprendre les envies chorégraphiques, et y adapter mon savoir scénographique”. Résultat: deux rampes comme des élévations, des mini esplanades urbaines. “Il fallait que les skateurs-danseurs soient à l’aise dans leurs mouvements, et qu’on puisse les voir de partout. Qu’il y ait une dynamique sur un espace scénique défini, que ce soit fonctionnel pour les danseurs. On a donc travaillé avec eux.

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Comme sur des roulettes

Dans la grande halle de la Villette, à Paris où nous avons vu Skatepark lors de sa création, nous nous installons face au large plateau, couvert d’une piste de bois aux arrondis, bosses et fosses. Des skateurs, enfants, adultes, filles, garçons, s’entraînent nonchalamment. Ce training durera un certain temps, voire un temps certain (alors que la pièce ne dure qu’un peu plus d’une heure). On sent que certains souhaiteraient que ça commence enfin. Le son d’ambiance est celui des roulettes sur le sol. Quand on l’interroge sur ce bruit, présent mais assourdi durant le spectacle, Pierre Jambé nous confie que c’était le plus gros du travail: “La première fois que j’ai vu le spectacle, j’ai été frappé par l’absence de bruits, en comparaison avec les skateparks d’intérieur. Mais il fallait qu’on entende les voix des chanteurs, sans micro, tout en ayant ce tapis de roulement. On a combiné un sol de danse avec le skatepark, et amélioré l’insonorisation sur cette base. On a aussi beaucoup travaillé les connexions entre les surfaces.

Doucement, le son et le ton montent, des patineuses entrent en scène, la musique aussi. Tous tournoient, les prestations sont de plus en plus impressionnantes. Le tourbillon nous atteint. Il va crescendo. La musique s’accélère et se fait métal enragé. Les sportifs se meuvent, comme sur un fil, bustes ondulants, jambes en écho. Les corps des athlètes -adultes, ados, enfants- sont impressionnants d’équilibre et en même temps, le skate et le patin acceptent la chute, dans les skateparks de la ville comme de la vie. Tomber, se relever, s’aider, ça se passe aussi sur scène. Des duos, ou trios, exceptionnels en puissance, s’organisent. Les patineuses se retrouvent patins en l’air, à marcher sur les mains avant d’entamer un chant cathartique de sororité. C’est ça, Skatepark: musique, tempo, enivrement de tous les sens, essais et erreurs, entraide et force. La création se veut aussi participative et locale: une partie du casting des sportifs est faite dans la ville où le spectacle se donne, l’autre partie est composée d’artistes professionnels. Un spectacle qui glisse sur l’air du temps, entre urbanité, sororité, complicité et urgence.

Si Jambé et Ingvartsen parlent urbanisme appliqué à la scène, Alain Cofino Gomez parle de porosité dramaturgique. Féru de cultures urbaines, le directeur du Théâtre des Doms, vitrine des arts de la scène belges francophones à Avignon, a veillé dans son institution à faire “entrer des acteurs et actrices de l’art urbain dans un lieu qui ne leur était pas destiné”. Slam, rap, danses urbaines et maintenant le skate. “Les cultures urbaines se font à nos plateaux. Ces spectacles sont particuliers, échappant aux codes de la représentation classique. Mais cette nouvelle culture modifie le regard des spectateurs. On assimile d’autres codes, d’autres façons de vivre le corps. Ça rajeunit le public. Il est socialement plus varié.

Skatepark, de Mette Ingvartsen, du 23 au 26/11 au Théâtre National, Bruxelles, et le 22/02 aux Écuries de Charleroi Danse, Charleroi.

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