Parler du suicide aux ados par le théâtre

Eva Papageorgiou et Aloula Watel sont les deux comédiennes qui se mêlent aux élèves pour dire le suicide de l'une d'elles. © lisa lesourd

Sur nos plateaux de théâtre, la comédienne Berdine Nusselder est d’une flamboyante évidence. Aujourd’hui, elle se glisse de l’autre côté et met en scène un spectacle destiné aux écoles. C’est Sweet Sixteen, sur le suicide des jeunes. Son plus beau rôle, peut-être.

On ne présente plus Berdine Nusselder. Elle fut Jessica, dans Les Mains Sales, pour lequel elle a été nominée Meilleur espoir féminin en 2014. Et Mademoiselle Julie, Nora dans Une maison de poupée, Léone dans Combat de Nègre et de chiens, madame Loyale pour Yvan & Else, Bank of God… Elle irradie de sa présence forte, féminine, légère, dans Baal, mis en scène par Armel Roussel, pièce au personnage central misogyne et abject, créée à Lille en début de saison et actuellement joué au Théâtre de la Tempête à Paris. “On m’a toujours donné des rôles de femmes-enfants, précise Berdine. De beaux rôles, que j’ai adorés, mais qui subissait souvent violence ou viol. Je sortais de scène avec les genoux bleus. Aujourd’hui, c’est bien de parler d’autre chose.”

Comme la plupart des acteurs et actrices, Berdine a souffert du Covid: “Une période floue. Je me demandais ce que je pourrais faire si je ne faisais plus de théâtre. Je m’interrogeais aussi par rapport à ma présence à Bruxelles (Berdine est néerlandaise, NDLR).” Alors, elle décide de reprendre des études. L’agrégation, à Maastricht. Un retour aux racines. Celles de son pays. De l’adolescence, aussi. “J’ai cet intérêt particulier pour les ados aux Pays-Bas parce que c’est l’âge auquel je suis partie, explique celle qui a quitté la Hollande à 16 ans pour les libertés londoniennes et parisiennes. “J’ai fait du théâtre amateur comme on s’échappe de sa vie, dès 13 ans. Je voyais des gens contents de faire ce qu’ils faisaient. Je me disais que c’était une voie possible.

Berdine Nusselder: “J'ai été dans la séduction. C'est essentiel dans nos métiers”.
Berdine Nusselder: “J’ai été dans la séduction. C’est essentiel dans nos métiers”. © lisa lesourd

Le retour à ses racines aboutira aussi au retour à celles de son travail: la mise en scène. “Tout au début de ma carrière, je me suis mise deux fois en scène. À la sortie de l’Insas, d’abord, dans un poème d’Hugo Claus. C’était ma carte blanche de fin d’études, qui a tourné un peu en festival.” À la suite de quoi la Balsamine lui commande un seule en scène, qu’elle place au milieu de ce qui est encore la friche de Tour et Taxis. Nous sommes en 2014, c’est Levensbewijs/La preuve d’être en vie, spectacle tiré du concept du chat de Schrödinger simplifié: on n’a la preuve que le chat est mort ou vivant dans sa boîte que quand on le voit. “J’existais par les yeux des spectateurs. Or, mon passeport allait expirer dans les quatre mois, et je n’aurais plus eu de preuve administrative de mon existence”, s’amuse Berdine.

Sweet but strong

Sans doute ce rapport au regard pousse la comédienne à se tourner de nouveau vers la mise en scène. Sans pour autant renoncer à sa carrière de comédienne, cette artiste de presque 40 ans s’interroge: “J’ai été dans la séduction. C’est essentiel dans nos métiers. Mais j’ai envie de passer à autre chose. Aussi, dans les pièces que j’ai écrites et mises en scène, j’étais dans la vulnérabilité. Pour montrer la fragilité, cette vie qui peut facilement glisser entre nos doigts.” Le théâtre ados permet ça. Sortir de la case “sexualité” du théâtre adulte pour parler sensibilité.

Et il y a eu Sweet Sixteen, coup de foudre pour un texte. “Je connaissais un peu Casper (Vandeputte, l’auteur de la pièce). Il était venu me voir sur un spectacle, on avait papoté. J’étais aussi intéressée par le Toneelmakerij d’Amsterdam, qui fait un travail intéressant axé sur le jeune public où se jouait la pièce.” Elle se rend à cette représentation et est emportée. “J’ai perdu mon père. Le plus difficile a été la solitude face au deuil. La société ne sait pas comment réagir face à une mort brutale. Au lieu d’aller vers celui qui a perdu quelqu’un, on se dit: je ne veux pas faire de mal, donc je ne fais rien. Le texte de Casper parle de ça.

© National

L’histoire? Celle de deux sœurs. L’une se suicide, l’autre, la plus jeune, arrivée à l’âge que sa sœur n’atteindra jamais, décide de faire un exposé sur le suicide. Qui se terminera en déclaration d’amour à sa sœur. Tout au long de la pièce, la sœur vivante dialogue avec celle qui n’est plus, mais qui est terriblement là. “C’est un processus de deuil, explique Berdine Nusselder. Elle cherche les réponses à l’acte, alors qu’il n’y en a pas. Le texte est léger, plein de rires et de querelles. C’est émouvant, honnête, terre à terre. Il n’est pas question de culpabilité, simplement de “ça fait mal que tu ne sois plus là”. Et “sais-tu à quel point tu étais aimée?”” Pour Berdine, l’essentiel est là. Conscientiser. Et peut-être enrayer un processus infernal d’escalade du nombre de jeunes suicidés. Car depuis le confinement, les jeunes se suicident de plus en plus. Un sur six, entre 12 et 20 ans, en Belgique, a des pensées concrètes de suicide. Mais Berdine reste lucide: “Je ne sais pas si une pièce peut changer les choses. Mais parler peut aider. Ouvrir la parole est un processus de guérison. Le plus dur, c’est le silence.

Classe théâtre

La pièce ne sera d’abord jouée qu’en classe. Les deux comédiennes Eva Papageorgiou et Aloula Watel évoluent parmi les bancs des élèves. “Il n’y a pas de scénographie, c’est la classe et les comédiennes face aux élèves. L’axe, c’est le texte et la relation entre les deux sœurs. Dans chaque établissement, il y aura une après-midi avec les profs pour expliquer comment aborder la représentation. Après le spectacle, un workshop d’une heure avec les élèves.” Un accompagnement conçu par l’équipe pédagogique du Théâtre de Liège, qui produit le spectacle, en lien étroit avec la faculté de psychologie de l’ULiège et SOS Suicide. “Casper a écrit ce texte notamment après avoir vu 13 Reasons Why, une série qui fait l’apologie du suicide comme acte de vengeance et de popularité. Or, il faut aborder ce sujet avec sensibilité, pas avec sensationnalisme. Il faut valoriser les sentiments de tous. Les émotions négatives font partie de la vie. Il est important de faire entendre aux jeunes qu’ils ne sont pas seuls à avoir des pensées noires, leur donner l’espace pour se trouver eux-mêmes plutôt que de se fondre dans ce que la société, l’autre, l’école, estiment bien pour eux.” Un mantra qui guidera la metteuse en scène dans les classes de Liège puis de Bruxelles, avant de montrer ce travail à un public classique.

Sweet Sixteen, de Casper Vandeputte, mis en scène par Berdine Nusselder, dispositif joué en classe, 13+, info: pedagogie@theatredeliege.be

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