Le Lion d’Or décerné à Christiane Jatahy à Venise

Brazilian stage director Christiane Jatahy poses during the 73rd International Theatre Festival in Avignon, southeastern France, on July 10, 2019. - In her play "The Lingering Now", the director tells the story of modern exile from Syria to the Amazon rainforest by echoing the adventures and emotions experienced by Homer's Ulysses. (Photo by Christophe SIMON / AFP) © Christophe SIMON / AFP

L’artiste brésilienne, dont le parcours ces dernières années est intimement lié au Théâtre National, a reçu le Lion d’Or à la Biennale Teatro de Venise. Une reconnaissance artistique, politique, collective.

On savait depuis le 31 janvier de cette année que le Lion d’Or était attribué à l’artiste brésilienne Christiane Jatahy (53 ans) pour l’ensemble de sa carrière. Elle l’a reçu des mains de Stefano Ricci et Gianni Forte, directeurs du secteur théâtre, ce 26 juin à midi, dans un palais vénitien, lors d’une cérémonie sobre dans son décorum, généreuse par les mots de l’artiste, s’exprimant en brésilien, hommage à son pays déchiré.  

Christiane Jatahy a grandi dans une famille d’artistes, héritant très tôt du goût de l’esprit de révolte. Comédienne, réalisatrice, autrice, dramaturge, diplômée de journalisme et philosophie, elle est multiple et a trouvé dans l’écriture scénique le moyen d’unifier ses identités. Cette question, celle des identités, est d’ailleurs le cœur intime de son travail. En 2019, à Avignon, elle présentait le second volet de sa relecture contemporaine de l’Odyssée d’Homère : « O Agora que Demora/ Le présent qui déborde ». Un pari osé, produit par le Théâtre National -où il fut présenté dans la foulée cette saison-là. Un pari hybride dans sa forme, essentiel dans son propos, magistral dans son accomplissement. Bouleversée par les crises migratoires, l’artiste proposait alors un spectacle total, mêlant organiquement cinéma et théâtre, vidéo d’ailleurs et corps présents en salle, brouillant les frontières et les interrogeant. Frontières entre les arts -vidéo et art vivant-, frontières entre les lieux -les camps de réfugiés et le lieu de représentation, frontières entre les corps, frontières entre les êtres. Mais unicité des combats, entre les comédiens et le public, les premiers présents dans la salle, les seconds invités à participer à l’avancée poétique du spectacle. Spectacle pour lequel l’artiste,  épaulée par l’équipe de production du TN, s’était rendue en Syrie, Grèce, Afrique du Sud, au Liban et chez les indiens Kayapa d’Amazonie.

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Sur l’écran géant dressé en fond de scène, on découvre ces personnes rencontrées alors et filmées avec infiniment de respect et d’humanité, visages tantôt fermés, tantôt rieurs, toujours intenses. Corps immobiles, fragiles, forts, abîmés, dressés, mouvants et émouvants. Dans la salle, les comédiens interagissent avec eux, effaçant toutes distinctions de temporalité, lieux, histoires. Les discours à l’écran résonnent dans les monologues adressés à partir de la salle, les chants de là-bas sont amplifiés des accords d’ici, le public danse, chante, mime l’ici et maintenant, le vit intensément. Le spectateur est ainsi littéralement emporté dans ce présent qui déborde. Interrogé aussi. Ce fut encore le cas à Venise, lors de la représentation du spectacle la veille de la remise du prix. Le public a pu alors rencontrer Christiane Jatahy elle-même, avançant à deux reprises au centre du plateau, pour ébaucher une partie de son histoire, pivot essentiel de la pièce. Et c’est là qu’est la richesse du théâtre de l’artiste brésilienne. Mêler infiniment, totalement, l’intime et le politique. Car « Tout est politique, déclarait-elle ce dimanche à l’issue de la remise du prix. Les transformations doivent être organisées collectivement… Le plus que je peux faire en tant qu’artiste est de créer un lien avec le public, pour qu’il puisse développer son propre raisonnement… ». Le théâtre de Jatahy est définitivement mouvant, il émeut son spectateur, dans le sens premier : le fait bouger, déplacer son point de vue, et, peut-être, son agir.

Ce dimanche 26 juin, à Venise,  elle déclarait encore: « Je suis une femme. On regarde souvent les femmes comme si nos corps n’étaient pas les nôtre, mais appartenaient au regard des autres. Et parfois, ça peut être violent, c’est impossible de rester indifférent… » Une phrasé d’une actualité glaçante, deux jours après que la Cour Suprême des Etats-Unis a enterré le droit à l’avortement. Christiane Jatahy a dans la même prise de parole tenu à remercier le support de ses équipes, comédiens, technique, production… Car, on le voit, la lutte continue. Sur le plan individuel, mais, aussi, surtout, en collectif. Pour Christiane Jatahy ça commence sur scène, dans la réinvention de l’ici et maintenant. De notre présent. Nous y reviendrons en novembre, « Après le silence ».

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