La Biennale Charleroi Danse sonde les pulsations du monde et des êtres

Unearth de © Jubal Battisti

C’est dans le lien au passé qu’on construit le futur”. Voici le créneau porteur d’avenir que nous annonce Fabienne Aucant. La nouvelle directrice de Charleroi Danse revient sur les points forts de la première Biennale chorégraphique qu’elle programme.

« Mais notre saison est rose!” C’est ainsi que débute cette rencontre avec Fabienne Aucant. La nouvelle directrice répond à notre interrogation et notre impression sur la noirceur des scènes chorégraphiques actuelles, tout en faisant allusion à la nouvelle charte typographique de Charleroi Danse, fond rosé et lettres ondulantes. “C’est un mouvement d’oscillation… On pourrait trouver certains spectacles sombres. Mais en réalité, on y parle de vulnérabilité. Et du monde, aujourd’hui.” Elle souligne là l’essence de Charleroi Danse. Un ADN profondément ancré dans le pays carolo, s’ouvrant en même temps à une programmation chorégraphiée, internationale, de qualité et d’innovation. Soulignons que la tâche à laquelle elle s’attaque est ardue: celle de reprendre ce paquebot qu’est le Centre Chorégraphique, à la tête duquel Frédéric Flamand créait, en 1992, la première Biennale. Frédéric Flamand a toujours été fasciné par l’architecture: il a notamment travaillé pour plusieurs créations avec les architectes Zaha Hadid et Jean Nouvel. Ce chorégraphe a aussi créé le Plan K, dans les anciennes raffineries de Molenbeek, l’actuelle Raffinerie où sont accueillis certains spectacles de la saison et de la Biennale. Frédéric Flamand souhaitait faire dialoguer présent du Pays Noir et passé, pour voir l’avenir. Un projet porté également,
à sa façon, par Fabienne Aucant.

Subtilité du clair-obscur

La nouvelle directrice ne peut s’empêcher de s’exclamer: “La poésie des scènes est telle…!” Une poésie qu’elle peut proposer dans sa Biennale via le très emportant Rive, noirs et blancs d’envols, mais telluriques et ancrés (lire ci-dessous). “La danse c’est une sorte de libération, jamais on ne tombe réellement dans la noirceur. C’est un moment où on lâche tout, on oublie. Puis on peut penser, intellectualiser. Après. » Et donc choisir au plus instinctif ce qu’on propose dans une programmation, nous confie celle qui parle avec les mains, la voix et le cœur. “Je ne peux pas vraiment dire que j’ai travaillé avec une thématique particulière pour cette Biennale, même si, forcément, des thématiques se dégagent, qui se répondent. J’aime beaucoup ce travail de tisser, composer, broder.” Les thématiques qu’on sent sourdre? Celles de parler aux émotions, et à tous. Celles d’évoquer une vibration collective aux spectateurs. Celles de proposer un rapport au monde différent, et poétique. Celles de sortir des murs et des lieux érigés en temples de l’esthétique. Souterrainement, on pourrait dire aussi que les volontés sont politiques. Comme celles de mettre en évidence le passé industriel de Charleroi, dans ce qu’il a de plus riche. Ce sera le cas avec 900 Something Days Spent in the XXth Century, de Némo Flouret. L’artiste, né au tournant du siècle, passé par l’enseignement rigoureux et hors lignes conventionnelles à PARTS (il a d’ailleurs dansé au Louvre avec Anne Teresa De Keersmaeker), s’est intéressé à la ville de Charleroi, qu’il a cartographiée en pas, en vibrations -“il sera peut-être de nos prochains projets, participatifs et dansés dans la ville”, confie à ce sujet Fabienne Aucant. Du 12 au 14 octobre, il sera surtout avec son spectacle au Rockerill, ancien site de la Providence, haut lieu de la sidérurgie de la région, où Frédéric Flamand avait créé en 1992 -en même temps que la Biennale de la Danse- son Titanic, spectacle évoquant la révolution industrielle du début du XXe siècle.

https://vimeo.com/636371984

L’instinct pousse également Fabienne Aucant à proposer dans cette biennale un spectacle fleuve de 4 heures, Unearth, de Jefta van Dinther, les 14 et 15 octobre. “Une pièce qui mêle l’individualité et la connexion.” Le chorégraphe suédois y révèle l’hypnotisme des corps, en musique, danse, paroles et lumières. Une expérience immersive, forte, qui laisse, contrairement à ce qu’on pourrait penser a priori, le spectateur libre de son vécu. C’est d’ailleurs sans doute ça, le fil conducteur, la thématique des saisons à venir, et de cette Biennale imminente, que propose la nouvelle directrice de Charleroi Danse: laisser libre de penser, d’aimer ou de détester, d’aller et venir, de s’approprier un territoire, de réinventer une architecture de lieu ou de ville, pourvu qu’il y ait du dialogue, de la médiation. Un pari artistique autant que politique, aujourd’hui. Un pari qui tient compte de ce que nous avons vécu il y a quelques années, et de ce que nous vivons actuellement. Pour construire un demain plus fort. “C’est dans le lien au passé qu’on construit le futur.” L’avenir n’existe que dans ce qu’on vit, construit, compose. En dansant, peut-être plus qu’ailleurs?

Notre critique de Rive, de Dalila Belaza ***(*)

Le 13/10 à la Raffinerie de Charleroi Danse à Molenbeek.

Dalila Belaza, chorégraphe d’origine algérienne, a d’abord travaillé en tant qu’interprète avec sa soeur, Nacera, chorégraphe elle aussi. Elle a puisé de cette expérience une esthétique radicale, où la lumière surgit de la noirceur. Dans ce Rive proposé à la Biennale de Charleroi Danse, elle offre aux spectateurs une traversée aux lisières du tribal et de la transe. À l’origine de ce spectacle, son précédent, À cœur. Elle avait pour celui-ci rencontré et travaillé avec les Lous Castelous, groupe de danse traditionnelle de Sénergues, dans l’Aveyron. Leur danse est ancrée, basée sur le pas de bourrée, soit un pas qui connecte le sol au ciel, qui permet de s’élever parce qu’il puise sa force dans le plus profond de la terre. Avec Rive, Dalila Belaza réussit le pari de connecter cette danse ancienne à une esthétique radicalement contemporaine. En sculptant les lumières, en s’y fondant (c’est la chorégraphe elle-même qui ouvre le spectacle, dans une traversée de scène vrillante et hypnotique), Dalila crée une expérience de transe visuelle, la géométrie des lignes de lumière offrant par la suite un écrin aux rondes scandées. Si ces oscillations peuvent donner physiquement le tournis, on sort après une heure de spectacle fasciné. Et littéralement sans mots.

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