Dans l’atelier d’Élise Ancion, des marionnettes liégeoises attendent de remonter sur scène

Élise Ancion, au milieu de l'héritage paternel, auquel elle va redonner vie, avec la complicité de Bouli Lanners. © DR

À Liège, la marionnette est une histoire ancienne. Familiale aussi! Avec son mari Bouli Lanners, Élise Ancion perpétue un héritage paternel tout en le modernisant. Visite d’atelier à la Couverture chauffante, un cocon duquel résonneront bien des histoires dès janvier.

Élise Ancion est metteuse en scène et costumière, formée à l’Insas. Elle a bifurqué vers l’univers du costume, de scènes théâtrales ou des plateaux de cinéma “parce que j’ai appris ça avec ma mère, et que ça m’a toujours parlé”. Une mère forte, cofondatrice avec son mari du théâtre de marionnettes liégeoises Al Botroûle, aux tournées internationales. Une mère dont la machine à coudre pour habits de marionnettes trônait dans la salle à manger. On y reviendra.

On a rendez-vous avec Élise devant la Couverture chauffante, “leur” futur lieu, à Bouli Lanners et à elle. Un cocon juste derrière la gare des Guillemins, l’ancien atelier de peintre de Bouli, auparavant ancien garage et bar d’amis de quartier. Plus loin dans le temps, c’était un lieu de repos de chevaux: un bac en pierre noire, posé contre un mur, est toujours là pour le prouver. On y entre: en travaux, les ouvriers nous laissent y pénétrer. C’est petit, on s’y sent comme à la maison. Sauf que c’est plutôt le lieu des marionnettes: castelet-théâtre de marionnettes au cadre de scène fait d’une ancienne table de billard, petites coulisses suffisamment grandes pour que deux montreurs (Élise et Bouli) et un “planket” -petite main supplémentaire, puissent s’y tenir pour donner vie aux marionnettes, et des tiroirs pour accessoires et décors sous la scène. Un théâtre voulu par Élise et son mari, par héritage familial et amour de cet art plus politique qu’il n’y paraît, un art qui correspond à leurs valeurs. Avec Texas, leur chienne, Élise nous emmène visiter cet endroit de poche où mille choses peuvent se dire, s’écrire et se vivre. “Trente places pour du théâtre de marionnettes pour adultes et grands enfants”, nous explique-t-elle, regard clair et verbe haut, mais doux. Le théâtre de la Couverture Chauffante ouvrira en janvier 2024.

Héritage

Sur le chemin qui mène à l’entrepôt des marionnettes, Élise Ancion explique le pourquoi du lieu: le décès l’an dernier de son père, “Jacques” (jamais elle ne dira papa) Ancion, sculpteur de formation, venu à la marionnette, qui leur a légué ce petit patrimoine. Une des premières choses que l’on apprend, en rencontrant les marionnettes héritées et achetées par le couple de parents, c’est le travail du bois: “La tête est en tilleul, un bois tendre à sculpter, mais résistant. Les jambes sont faites d’un bois moins noble, souffrant des vers.” Ce sont ces marionnettes, dont certaines plus que centenaires, d’autres de Gaston Engels, dernier montreur sur la foire de Liège, sculpteur aussi, qu’Élise et Bouli doivent réparer: elles ont souffert de dix ans d’inactivité. L’établi fait face à l’entrepôt où Bouli les répare, repeint leur visage. En face de l’établi encore, une tringle avec les marionnettes “remises sur pieds”, habillées par Élise, “par exemple, avec d’anciens échantillons de tissus d’ameublement, une idée de récup’ et de circuit ultra court importante pour nous”. Cette importance de dire aujourd’hui en partant d’hier se ressent et se voit. Pas seulement dans l’amour qu’a Élise d’habiller, mais dans la façon dont elle les porte, en force et douceur. Et au-delà de ses mots passe une histoire.

Une histoire de taille

Les marionnettes ont leur hiérarchie. Le corpus littéraire des anciens marionnettistes, dans La Bibliothèque bleue, récits historiques concis, est une déclinaison des mythologies de toujours: Berthe aux Grands Pieds, les Chevaliers de la Table ronde, les quatre fils Aymond -neveux de Charlemagne dont l’histoire constitue un classique de la marionnette liégeoise… “C’est le Game of Thrones d’hier”, sourit-elle. Il y a les géants, tout grands, puis les rois -à Liège, c’est Charlemagne. Ensuite, les chevaliers et les princesses… Enfin, le petit peuple. Et les femmes, souvent acariâtres, chiantes et moches -“vieilles et mal fringuées”, dirait Élise. Des choses que Bouli et elle ont à cœur de changer. Ils ont décidé par exemple de se réapproprier le corpus historique et de le retravailler. Leur première pièce, prévue pour janvier: La Disparue du Bois Saint-Jean, l’histoire de Blanche recherchée par son père, aidé par un chevalier qui doit se faire pardonner du mal fait à Jérusalem. “L’idée, c’est de retravailler l’archétype, mais de l’adapter à aujourd’hui.

Élise nous précise aussi qu’ils ont fait sculpter leurs propres Tchantchès et Nanesse, selon leurs critères. Si vous ne connaissez pas la Cité ardente, ces deux personnages constituent le socle du folklore liégeois: sarrau bleu et foulard rouge, un ouvrier, défenseur des causes justes, et sa compagne, au caractère bien trempé. Un duo qui exprimait la vindicte populaire. Nous en parlons avec Élise devant une marionnette d’Hitler sculptée par Jacques. “C’était une façon d’expulser les choses. En 1930, à Liège, un spectacle parlait d’Hitler, “Nanol” en langage marionnette. La salle était comble, c’était une échappatoire.” Une “échappatoire” essentielle dont Élise parle avec passion, pour rendre à la marionnette son statut: politique, esthétique et narratif. Essentiel. Ce sera toutes les semaines à la Couverture Chauffante, située au 56 rue Mandeville à Liège. Pour à peu près cinq euros la place.

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