Rencontre avec Sophie Breyer et Mara Taquin qui virevoltent dans La Ruche

© LARA GASPAROTTO

Elles ont sensiblement le même âge, ont débuté leur carrière à peu près en même temps, et s’entendent sur leur vision du métier. Le 1er juin, elles partageront l’affiche de La Ruche de Christophe Hermans. Rencontre avec deux jeunes comédiennes belges qui comptent, Sophie Breyer et Mara Taquin.

On se réjouit de les réunir, elles se réjouissent de se retrouver. “C’est marrant, se souvient en riant Mara Taquin, quand j’ai commencé, on me disait: “T’as pas une sœur comédienne? Parce que tu ressembles vachement à une actrice liégeoise, Sophie Breyer.” Moi ça m’énervait, je me disais qu’on ne pouvait pas être deux sur le même créneau! Et puis finalement on s’est retrouvées à jouer des sœurs, comme quoi…

Mara Taquin et Sophie Breyer (à droite) confirment leur talent avec ces rôles de Claire et Marion, deux sœurs que la maladie de leur mère emprisonne. © PHOTOS LARA GASPAROTTO

Mara Taquin, vous l’avez peut-être vue dans Ennemi Public, Hors norme de Toledano et Nakache, ou Rien à foutre d’Emmanuel Marre et Julie Lecoustre. Sophie Breyer était elle à l’affiche de La Trêve, de Laetitia de Jean-Xavier de Lestrade adaptée du livre d’Ivan Jablonka, ou de Baraki, actuellement disponible sur Netflix. Toutes les deux se sont donc fait connaître grâce aux nouvelles séries belges. Une bonne école pour ces jeunes comédiennes, qui ont découvert leur métier sur les plateaux plutôt qu’en cours. “Ça s’est révélé très formateur pour moi, explique Sophie Breyer, même si le temps de la télé n’est pas celui du cinéma. On a moins d’espace pour approfondir les personnages, mais on apprend l’efficacité.” “C’est sûr qu’il y a le risque d’être cataloguée, renchérit Mara Taquin, mais ce que j’aime aussi, c’est que la télé est un format accessible à tous les publics, et ça c’est intéressant.

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Des expériences particulièrement formatrices, qui leur ont offert une belle visibilité, mais à des années-lumière de l’aventure vécue sur La Ruche, qui leur a laissé le goût de la liberté dans le jeu. “La façon dont Christophe Hermans a abordé le projet est très particulière, confirme Mara. C’est exceptionnel d’être impliqué sur un film de A à Z comme on l’a été. On a pu réécrire l’histoire avec Christophe, avec nos propres mots, ce qu’on avait compris de nos personnages.” “Le dispositif était réfléchi en fonction de l’énergie de nos personnages, complète Sophie. Moi je joue la grande sœur, totalement dans le contrôle, qui pense devoir assumer seule la responsabilité de sa mère malade. Du coup, Christophe me demandait d’être très présente, il me donnait beaucoup d’informations, alors que parallèlement, il déresponsabilisait Mara, qui joue elle la jeune sœur qui cherche à se distancer de sa mère. Au début, Mara n’avait même pas le scénario!

Le cinéaste cherche à inventer dans la vraie vie sa famille de fiction. Il multiplie les stratagèmes pour mettre les comédiennes en condition. Alors qu’il sait depuis des années que Sophie Breyer, qu’il a rencontrée dans un stage de jeu quand elle était adolescente, sera son héroïne, il décide de faire passer un casting à Mara Taquin, en l’invitant à boire un verre au cours duquel débarque Sophie, dans son personnage de Marion. Idem, la première rencontre avec Ludivine Sagnier, qui joue la mère, et Bonnie Duvauchelle, sa fille dans la vraie vie qui joue la sœur cadette, se fait dans des conditions de jeu, de longs essais qui durent toute une journée, “où tout devenait très poreux entre les personnages et nous, se rappelle Sophie. Elle continue: “Trois semaines avant le tournage, Christophe nous a invitées à investir le plateau, à nous installer dans l’appartement qui servirait de décor pour qu’on y trouve nos marques, qu’on y soit chez nous.

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Car cette ruche, sorte de gynécée où se réfugient la mère et ses trois filles, unies par un douloureux secret est un lieu coupé de l’extérieur, qui les protège, mais aussi les enferme. Malgré elles, chacune des filles y a son rôle. “Marion, c’est la grande sœur, explique Sophie, elle a une vie et des envies, mais qui sont vite sacrifiées sur l’autel de l’hypothétique guérison de sa mère (lire aussi le dossier du Weekend sur la vie avec une personne bipolaire). Avec Christophe, on s’était dit que Marion voulait agir comme un bon père de famille. Mais elle n’est pas prête à être adulte, d’autant qu’elle interprète ça comme une loyauté sans faille, alors que la situation exige de prendre du recul.” Ce recul caractérise justement la position de Claire, incarnée par Mara, “qui malgré tout l’amour qu’elle a pour sa mère fait preuve de plus de lucidité. Elle voudrait convaincre ses sœurs de prendre leurs distances, mais comprend bien qu’elles ne sont pas encore prêtes à suivre cette voie.” “En fait, chaque sœur est une facette de ce que peut vivre un enfant face à la défaillance d’un parent”, renchérit Sophie. Ce que raconte La Ruche, conclut Mara, c’est cet amour, et cet enfermement. Quand on naît dans une famille, quoi qu’il s’y passe, c’est ça notre normalité, c’est ça notre vérité.

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Les deux jeunes comédiennes ont énormément appris, et même grandi sur le plateau. Mara: “C’était éprouvant, mais ce tournage nous a marquées à vie, je crois. La confiance que m’ont donnée Christophe et l’équipe m’a permis d’oser comme jamais, de me lâcher.” Pendant quelques semaines, elles sont dans le jeu absolu. D’ailleurs, l’équipe technique est hyper préparée, toujours prête à suivre les improvisations, épousant l’inspiration des comédiennes. Sophie: “Cette liberté-là, c’est super rare. C’était très organique, on n’était jamais interrompues par la technique, on devait juste jouer. Être Marion, réagir aux émotions de Claire. Sans compter qu’on a pu apprendre à se comprendre dans le jeu, découvrir comment on fonctionne.” Mara confirme: “Maintenant je sais ce dont je suis capable. On a été très loin dans ce film, et dorénavant je sais où poser mes limites.

Nouvelle génération, nouvelle ère

Un tremplin précieux pour aborder la suite de leur carrière en somme. Une carrière dont elles rêvent à voix haute, imaginant des rôles riches et divers, des joies et éventuellement des accidents de parcours, mais aussi et surtout, un épanouissement personnel, en accord avec leurs valeurs, celles de leur génération. “Moi je crois en une nouvelle ère du cinéma, inclusive, bienveillante, féministe. Pas forcément dans un sens militant, mais plutôt dans la complexité de ce qu’on propose aux personnages, s’emballe Mara. Je ne veux pas juste être belle, ou posée dans le plan pour dire une réplique qui arrange tout le monde, je veux que ça ait du sens.” “Ces rôles-là sont encore rares, poursuit Sophie, même si les choses sont en train de bouger. Notre génération parle, questionne les choses, pointe certains problèmes, notamment concernant les questions de genre et la représentation des femmes dans les fictions.” “Si je lis un scénario, et que je trouve qu’une scène, une réplique ou une réaction ne fonctionnent pas, sont trop clichés, je veux pouvoir en parler, enchaîne Mara. On peut tous utiliser des raccourcis dans l’écriture, mais il faut être capable de l’accepter.” “Exactement, continue Sophie, avoir des discussions avec des auteurs et autrices capables d’autocritique, c’est une donnée fondamentale. On vient tous d’endroits différents sur ces questions, mais faisons évoluer les choses ensemble.

Ludivine Sagnier est la reine bipolaire de cette ruche qui cache un douloureux secret.
Ludivine Sagnier est la reine bipolaire de cette ruche qui cache un douloureux secret. © PHOTOS LARA GASPAROTTO

L’art de choisir ses rôles

Forcément, elles sont à un moment de leur carrière, mais aussi à un moment de l’Histoire où ces problématiques se rencontrent dans le monde du cinéma: male et female gaze, coordination des scènes d’intimité, représentation des minorités… Des trajectoires comme celles d’Adèle Haenel se posent en modèle d’exigence, mais aussi en aspiration à un changement, qui mènerait vers une façon de faire du cinéma débarrassée de certains modes de fonctionnement toxiques. “Il y a aussi de nouvelles générations à l’écriture et à la réalisation, se réjouit Sophie, qui sont sensibles à ces questions d’inclusivité, de sexisme. Là je discute avec une jeune cinéaste qui m’a expliqué comment elle voyait son équipe, son tournage, comment y interroger les traditionnels rapports de force ou de domination que l’on peut encore trouver sur certains plateaux, et c’est hyper galvanisant. Tout le monde peut s’emparer de ces questions.

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Toutes ces questions sont aussi au cœur de leur façon de choisir leurs rôles, pour “découvrir des univers différents, se donner des défis, apprendre de nouvelles choses, mais aussi en s’intéressant à la manière dont sont pensés les projets, pour éviter “de perpétuer des clichés de merde, pardon pour le vocabulaire, s’enflamme Mara. “On m’a donné un excellent conseil pour juger les rôles qu’on me propose, confie Sophie. Il y a trois critères qui rentrent en ligne de compte: les critères artistique, humain et financier. Il faut que deux d’entre eux au moins soient réunis.

Sophie et Mara ont les yeux qui brillent, mais les pieds bien sur terre. Être comédienne, c’est une aventure, mais c’est aussi un métier. Le mythe de l’artiste désintéressé, très peu pour elles. L’important, c’est “que nos choix soient raccord avec nos convictions. Le cinéma, c’est bien, mais on a une vie à côté, et on doit veiller à la préserver.” Osons rêver que les projets qu’elles habitent à l’avenir soient en phase avec le nouveau monde qu’elles sont en train de construire.

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