Ennemi public, saison 2: « On rentre plus dans l’intimité des personnages, c’est plus profond, moins policier »

© RTBF
Nicolas Bogaerts Journaliste

Suspense relancé dans la deuxième saison d’Ennemi Public. Stéphanie Blanchoud et Angelo Bison reprennent le collier pour tenter d’élucider une nouvelle disparition d’enfant. De quoi réveiller les démons qui sommeillent encore à Vielsart.

Deux années séparent les événements de la première et de la deuxième saison. Autant de temps écoulé entre les deux tournages. Suffisamment pour que Chloé Muller ait quitté les forces de police, tenté de reprendre une vie normale, jusqu’à ce qu’un couple la sollicite pour retrouver sa fille disparue. Dans des conditions qui vont, une nouvelle fois, obliger l’ex-officier de police à affronter son passé: la disparition de sa soeur, dont la première saison nous avait donné des nouvelles dans un ultime rebondissement. « On rentre plus dans l’intimité des personnages, c’est plus profond, moins policier », résume Stéphanie Blanchoud, qui reprend le rôle de Chloé Muller, laquelle va devoir, pour résoudre cette affaire aux résonances intimes, faire appel à Béranger. « Leur couple est étrange, il y a à la fois une prédation, une tension sexuelle, un rapport père-fille. Chloé Muller a besoin d’être confrontée à Béranger », raconte pour sa part Angelo Bison, dont la prestation dans le rôle du criminel devenu profiler est encore une fois impressionnante de crescendo tendu et sibyllin. Un chien perdu sans collier en qui sommeille un chien de la casse (lire son portrait ci-dessous): ses yeux ronds et insondables, sa corporalité brisée et son âme noire peuplent ses silences de mille nuances et méritent à coup sûr un prix d’éloquence. Le couple qu’il forme avec Stéphanie Blanchoud, elle aussi tourmentée par bien des fantômes, est celui des meilleurs ennemis. Dans cette deuxième saison, vengeance, manipulation et paranoïa survivaliste s’engouffrent dans une réalisation au cordeau qui réserve bien des surprises.

Ennemi public, saison 2:

Secte survivaliste

Jessica, la soeur de Chloé Muller, est en vie. C’est en tout cas ce que laissaient entrevoir les dernières minutes de la premières saison, dans un ultime rebondissement promettant une suite. Cette saison développe le sort réservé à la jeune fille, incarnée par Pauline Étienne, enlevée par une sorte de secte survivaliste peuplée de femmes, mais menée par un gourou chevelu et franchement peu ragoûtant, qui semble adepte des châtiments corporels de tous types. « Ces femmes apprennent à se battre, à subvenir à leurs besoins, à se battre, nous explique la comédienne, visiblement ravie d’avoir intégré le casting de la seconde saison. Cela rappelle les tendances survivalistes qui amènent certaines personnes, en vertu des changements climatiques, à se préparer à l’autarcie. Ici, dans un délire sectaire, les filles sont enlevées très tôt, manipulées, convaincues que leur famille ne les recherche pas, ne les aime plus. » Dans cette nouvelle famille toxique, traversée de parano et d’abus de pouvoirs, des liens se créent, comme des rivalités, et offrent un récit parallèle qui ne tarde pas à se mêler à l’enquête de Chloé. « Jessica n’est pas comme les autres, elle est la seule à se confronter à son passer, au monde extérieur. Elle n’hésite pas à se mettre en danger et à sortir, ce qui ne sera pas sans conséquence. » La jeune actrice, révélée au cinéma dans Élève Libre et La Religieuse, a fait ses armes télévisées dans Le Bureau des légendes d’Éric Rochant (saisons 2 et 3) mais goûte le retour au pays: « C’est agréable de retrouver des acteurs belges -des super acteurs!- dans une série belge formidablement écrite, avec des réalisateurs qui ne lâchent rien, vont au bout de leurs idées, de la psychologie des personnages, dans un dialogue permanent avec toute l’équipe ». Rencontré l’hiver dernier lors du tournage de cette nouvelle saison, le réalisateur Matthieu Frances s’était ouvert sur le fait que des conditions de tournage un peu plus confortables que précédemment leur avaient permis d’aborder l’image avec plus d’intensité: « Sur certaines scènes clés, nous nous sommes promis avec Gary (Seghers, coréalisateur, NDLR) de nous accorder plus de temps, pour faire plus de découpages, plus de prises, des plans séquences pour. Cela nous a permis de mieux explorer les scènes, ainsi qu’aux acteurs, à qui je voulais donner plus de temps. Nous voulions aller le plus loin possible dans l’économie qui est la nôtre. »

Ombres et obscurité

Taillée au clair-obscur, une deuxième saison qui pénètre notamment les secrets d'une secte survivaliste...
Taillée au clair-obscur, une deuxième saison qui pénètre notamment les secrets d’une secte survivaliste…© RTBF

La photographie assurée par Philippe Therasse s’adapte à chaque lieu, créant les conditions d’un univers visuel singulier, une atmosphère en résonance avec les individus qui la peuplent, et qui s’y retrouvent coincés, prisonniers. L’auberge en faillite de Patrick Stassart est inondée par les ombres et l’obscurité, uniquement troublés par quelques rares trouées de clarté froide et lugubre. Comme si le secret terrible et criminel qui tenaillait sa femme Judith avait fini par tout envahir après avoir éclaté au grand jour en fin de première saison. La lumière artificielle, blafarde et criante de la supérette où il a trouvé un travail de larbin ne fait que placer sa chute un peu plus sous les projecteurs. Le monastère essaie tant bien que mal de se refaire une virginité avec ses travaux de rénovation, commandés par le rigoriste frère Joseph, mais la blancheur de l’immaculée institution s’écaille comme la peinture de ses murs. La lividité des moines ne peut toutefois égaler celle de Béranger (Angelo Bison). Le ci-devant prédateur en quête de rédemption est devenu un pénitent en réclusion. Confiné depuis deux ans en cellule (monastique, mais la différence ne semble que lexicale), son teint cireux ferait pâlir de jalousie le moindre cierge pascal.

« J’ai accepté de rentrer sur cette série parce qu’elle avait ce visuel comme objectif, confie Stéphanie Blanchoud. Le résultat doit beaucoup à Philippe Therasse, qui met les comédiens en valeur. J’ai conscience d’être dans un plan soigné, une lumière qui est belle. » Sa lumière à elle a la banalité d’un quotidien rangé des forces de police, rongé par des visites en hôpital psychiatrique, mais prend une texture d’abysse quand Chloé Muller a le sommeil tourmenté par le souvenir de sa soeur, le remords, les angoisses nocturnes. « Nous avons travaillé avec beaucoup de précision les visages, les grains, les contrastes », dit encore Matthieu Frances. « On a voulu être moins sage et lisse, il a fallu salir un peu, aller dans les contrastes, chercher les clair-obscur. » Ces choix délibérés donnent aux premiers épisodes visionnés une atmosphère lourde, pesante, parfois entretenue un peu trop superficiellement par des dialogues qui laissent filer les tensions manifestement à l’oeuvre. Mais c’est dans les derniers instants, là où le rythme se délie, que la mise en scène accouche de trouvailles, de rebondissements, de suspense, éléments essentiels pour nous emmener, encore une fois, sur la piste de nos fantômes communs.

Angelo Bison, la prunelle de ses yeux

Le comédien bruxellois d’ascendance italienne a brûlé les planches avant de crever l’écran dans Ennemi Public.

Ennemi public, saison 2:
© DR

« À 17 ans, j’ai quitté l’usine, parce que je voulais devenir comédien. Je suis parti sous les quolibets et les moqueries des autres gars. » Angelo Bison, l’acteur qui donne sa chair, ses prunelles et son corps au monstre Béranger a laissé derrière lui un poste d’électricien aux faïences des Frères Boch, à La Louvière, pour le Conservatoire de Bruxelles et les cours de Claude Étienne. Il s’est construit sur les planches durant plus de 20 ans dans des pièces et des seuls en scène où sa carcasse, son phrasé et son regard perçant ont fait des merveilles. Il a été Charlie-Jambe-de-Bois ou Sancho Pança dans des textes signés Paul Emond. Il a incarné le philosophe Louis Althusser, figure géniale de la pensée qui a sombré vers la folie et le meurtre de sa propre femme, dans l’adaptation au théâtre de son autobiographie, La Vie dure longtemps. Comme Béranger, un monstre sur lequel se ruer la bave aux lèvres.

Qui de lui ou de la caméra s’était dérobé si longtemps au regard de l’autre? La rencontre a finalement eu lieu lors de la première saison d’Ennemi Public: « La confiance des réalisateurs et des scénaristes a été essentielle. Comme celle des chefs op’. Pour un premier grand rôle à la télévision, celui de Béranger reste quelque chose de très fort à vivre, et le passage du théâtre, que je pratique beaucoup et depuis longtemps, à l’écran n’est pas quelque chose qui réussit à tout le monde. » Angelo Bison reste fidèle à cette idée que l’exploration, la découverte, l’expérimentation guident le travail de l’acteur. Lui qui « aime les silences au théâtre », dit de Béranger, son personnage, qu’il « parle à travers ses yeux, capables d’affronter la mort, alors que personne n’arrive à dépasser leur prunelle. » À quoi s’arrime-t-il pour aller chercher cette matière complexe et douloureuse? « C’est le mystère de la comédie, je n’arriverais pas à le décrire de manière pragmatique. Je ne cherche pas à analyser. Je préfère laisser les choses s’échapper plutôt que les maîtriser. »

Un homme de conviction

A-t-il eu peur du rôle? « Après Le Silence des Agneaux et surtout M le Maudit , et encore puis des dizaines d’autres, que pouvait-on encore bien faire avec un psychopathe, tueur de cinq enfants? Eh bien les scénaristes ont choisi d’écrire un type ordinaire, d’une banalité confondante, un quidam. Il n’y a rien ou pas grand-chose qui indique sa méchanceté. Cette banalité fait la particularité de ce psychopathe, de ce monstre. Rien ne l’annonce, il n’y a rien de spectaculaire, de théâtral, d’ostentatoire. Du silence. Ce personnage est insondable, et rien n’est souligné. » Ce père de deux enfants dit déguster sereinement la reconnaissance qui lui vient dorénavant de par-delà nos frontières, mais les thématiques qui traversent la série (meurtres et abus d’enfants, rédemption, réinsertion…) et qui secouent encore aujourd’hui notre mémoire collective sont pour lui des enjeux cruciaux: « Je n’ai pas de réponse mais je suis un homme de conviction: il faut mettre ces questions dans le débat public, les prendre à bras le corps. » Regarder le monde au fond des yeux, encore et toujours.

Ennemi Public (saison 2) ***(*)

Les femmes en blanc de The Leftovers, la communauté sous l’emprise d’un gourou dans The Sinner, l’ahurissante implantation de la secte d’Osho aux USA racontée par la série documentaire Wild Wild Country… Spirituelles, millénaristes ou survivalistes, les sectes ont fait des apparitions remarquées sur le petit écran. Lorsque les scénaristes d’Ennemi Public s’en emparent, ils donnent une nouvelle direction au récit, un nouveau biotope toxique et bâillonné à explorer, disséquer et déconstruire, comme ils l’ont fait pour l’abbaye et le village de Vielsart. Tout semble affaire de murs dans cette nouvelle saison. Et de la manière d’en sortir. Les moines et les habitants sont cloitrés dans la paranoïa ou la honte. Patrick Stassart (Philippe Jeusette, remarquable en homme brisé) s’isole et ronge ses remords dans sa maison quasi déserte. Chloé Muller s’est murée dans un demi-silence dont elle va devoir s’extirper pour renouer un pacte dangereux avec Béranger. Lui qui n’aspire qu’à sortir de l’enceinte de l’abbaye. Autour des kidnappées est érigée une enceinte symbolique de mensonges et de manipulation, dont s’échappe régulièrement Jessica, la soeur de Chloé, à la recherche d’objets la raccrochant à un réel incertain. Passé le démarrage aux dialogues toussotants et légers, chargés d’exposer les nouvelles situations des protagonistes tout en lançant déjà les pistes des ordalies à venir, la série trouve son rythme en fin de deuxième épisode, dans le money time et un suspense rondement menés. Le duo Blanchoud-Bison tout en tension rentrée promet de faire des étincelles, les prestations de Philippe Jeusette et de Jean-Jacques Rausin seront à suivre, tandis que l’arrivée au casting de Pauline Étienne en Jessica, soeur de Chloé et personnage éthéré, entre figure de Vouivre et la Manon de Pagnol, donne une palette émotionnelle nouvelle à une série qui n’en manque pas.

  • Série créée par Antoine Bours, Gilles de Voghel, Matthieu Frances et Christopher Yates. Avec Stéphanie Blanchoud, Angelo Bison, Pauline Etienne, Philippe Jeusette, Jean-Jacques Rausin.
  • Diffusion: dimanche 20h55 sur La Une.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content