Préquel du célèbre roman de Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, la série Merteuil imagine la jeunesse de la marquise et politise le propos. La pop culture n’a plus l’exclusivité des produits dérivés…
HBO Max a mis en ligne une nouvelle série en costumes adaptée d’un classique inoxydable de la littérature française, Les Liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Rien de bien nouveau en apparence, le célèbre roman épistolaire ayant fait l’objet d’innombrables déclinaisons plus ou moins fidèles à l’original et plus ou moins modernisées, autant pour le petit –par exemple en 2003 avec Catherine Deneuve pour France 2– que pour le grand écran, avec, entre autres, la version magistrale aux trois Oscars de Stephen Frears, dans laquelle Glenn Close donnait ses lettres de noblesse au libertinage. Merteuil marque toutefois une rupture par rapport à ses prédécesseurs: au lieu de mettre en scène les jeux pervers entre Valmont et la marquise, fil rouge écarlate du livre, les six épisodes de la série imaginent la jeunesse de la future intrigante, interprétée ici par Anamaria Vartolomei.
Un préquel en bonne et due forme donc, comme on en ramasse à la pelle depuis une bonne décennie dans l’industrie du divertissement. Furiosa: une saga Mad Max, la trilogie Le Hobbit, Dune: Prophecy (qui se situe… 10.000 ans avant Dune)… Raconter la genèse d’un grand récit populaire ou la jeunesse d’un de ses protagonistes est devenu une recette prisée des studios et des plateformes au même titre que les spin-off, ces franchises qui se concentrent sur un personnage secondaire de l’intrigue. Une voie souvent couronnée de succès sur laquelle s’aventure notamment Les Animaux fantastiques, produit dérivé de Harry Potter. Avantages de ces différentes formules: limiter les risques économiques, surfer sur la nostalgie et le goût pour les univers narratifs tentaculaires du public, déverrouiller des fins fermées (ou ressusciter des héros morts), remettre au goût du jour le message et le graphisme d’une saga.

Sacrilège, crieront sans doute certains en découvrant la liberté prise par le tandem à la barre de Merteuil, à savoir Jean-Baptiste Delafon (à l’écriture) et Jessica Palud (à la réalisation). Pas tant sur l’initiative de faire de la marquise une figure féministe soluble dans la culture post-MeToo, ou de rajeunir les cadres (Vincent Lacoste joue l’amant diabolique), ou encore de verser une louche de sentimentalisme –trois traits absents du texte original, qui est moins l’histoire d’une vengeance contre un homme que contre la condition des femmes à l’époque, comme l’explique l’académicienne Chantal Thomas, spécialiste du XVIIIe siècle, dans Télérama. Mais plutôt dans le fait de rajouter un étage à un chef-d’œuvre sans demander l’avis de son créateur (et pour cause, il est mort en 1803). Se posent les mêmes questions que si on adossait une annexe à l’architecture contemporaine à une église romane.
De ce point de vue, la série marque, l’air de rien, un tournant. Elle ajoute un prologue à une œuvre de référence du patrimoine, et pas, comme c’était le cas jusqu’ici, à un blockbuster de la pop culture. Autant on est habitué à triturer, à «mèmer» et à étendre (par l’avant, par l’arrière ou sur les côtés) un univers fictionnel contemporain –parfois à l’initiative des créateurs eux-mêmes comme avec Star Wars ou Le Seigneur des anneaux–, autant la question devient plus délicate quand il s’agit, comme ici, d’un monument du passé. N’y a-t-il pas un risque de diluer l’œuvre originale dans un gloubi-boulga moderne insipide? Voire à lui faire dire autre chose? Et quid du risque de surexploitation? On pourrait très bien imaginer un préambule à Don Quichotte. Ou au Petit Prince. Ou carrément à la Bible. Au risque dans ce cas de déclencher une nouvelle guerre de religion… Mauvaise idée.