Incendies à Los Angeles, Trump président…: les artistes avaient tout prédit
Les artistes ont l’art de prédire l’avenir. Le scénario des incendies de Los Angeles ou l’élection de Trump étaient déjà écrits. Un pouvoir d’anticipation qui intéresse l’armée.
Le canari dans la mine. L’image va comme un gant aux artistes. Pour prédire l’avenir, mieux vaut s’en remettre aux romans, films et séries dystopiques que de gaspiller son argent chez une cybervoyante ou chez le marabout du coin. Un flair infaillible encore confirmé lors des mégafeux de Los Angeles. Tous ceux qui ont lu Le Déluge de Stephen Markley (Albin Michel), l’un des romans événements de la rentrée de septembre dernier, ont dû se pincer en découvrant que le scénario (du pire) qu’ils venaient tout juste de voir défiler devant leurs yeux était en train de se réaliser pour de vrai. Tout avait été prédit: les causes environnementales des incendies, l’ampleur du sinistre, le recours à des pompiers privés –payés au lance-pierre– par les plus riches… La seule «erreur» du romancier: avoir situé la catastrophe en 2031. Un excès d’optimisme sans doute…
Naturellement, on en vient à se demander si la suite ne va pas aussi ressembler à l’apocalypse décrite dans le bouquin. A savoir, entre autres joyeusetés, inondations bibliques, cyclones destructeurs, submersion de la Floride… Le tout sur fond d’effondrement des institutions et de montée de la violence. Dans la fiction, le système des assurances ne résiste pas à l’ampleur des dégâts provoqués par le feu, ce qui entraîne une crise économique majeure, qui elle-même perturbe le jeu démocratique, accélère la surveillance de masse dopée à l’IA et attise la montée des extrêmes. Quand on sait que les compagnies ont déjà lâché de nombreux habitants des zones trop à risque, qui ont donc tout perdu, et ne seront sans doute pas en mesure de supporter les milliards de dollars de dégâts, ça promet.
Plus fort que Le Déluge, un autre roman d’anticipation écrit il y a… 32 ans, La Parabole du semeur d’Octavia E. Butler, avait non seulement décrit un brasier détruisant une ville fictive ressemblant fort à L.A. –brasier alimenté par une pénurie d’eau due, déjà, au réchauffement climatique–, mais aussi l’arrivée au pouvoir de Trump. Ou plus exactement d’un fondamentaliste chrétien qui, une fois à la Maison-Blanche, rétablissait une forme d’esclavage moderne. Son slogan? «Make American Great Again». Véridique.
La pionnière de l’afro-futurisme, décédée en 2006, comme aujourd’hui Stephen Markley, ne sont pas de lointains descendants de Galadriel et d’Elrond, les elfes capables de voir l’avenir dans Le Seigneur des anneaux, ils s’appuient juste sur les signes avant-coureurs qui sont pour la plupart à portée de main (le rapport Meadows écrit par des scientifiques du MIT et qui tire la sonnette d’alarme sur les conséquences écologiques de la croissance sans freins date de 1972), leur imagination agissant ensuite comme le fouet qui fait monter la sauce narrative. En 1969 déjà, le philosophe Marshall McLuhan faisait remarquer dans Fragment d’un village global (réédité aujourd’hui chez Allia) que «depuis toujours, c’est l’artiste qui perçoit les modifications causées chez l’homme par les nouveaux médias, depuis toujours c’est l’artiste qui a conscience que c’est dans le présent que se situe l’avenir, et qui se sert de son œuvre comme tremplin».
Si cette aptitude prophétique de la production culturelle se vérifie régulièrement (pour ne citer que quelques exemples gravés dans la mémoire collective, 1984 de George Orwell et la surveillance technologique ou les fake news, The Truman Show et la téléréalité ou récemment Black Mirror et la réalité virtuelle…), elle a toujours été perçue avec une certaine méfiance par les décideurs, qui, en gros, assimilaient ces présages à des élucubrations hasardeuses destinées à dénigrer leur action et à semer le trouble. Mais les temps changent. La preuve, les armées font désormais appel à des écrivains de SF, de romans noirs et des illustrateurs pour les aider à anticiper les pires menaces du futur. La France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis intègrent ainsi dans leurs rangs des commandos d’artistes. Un changement de cap motivé par l’échec à déjouer les attentats du 11 septembre 2001, dont la principale raison aurait été… le manque d’imagination.
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